La « nouvelle frontière » de la levée de capitaux

Mathieu Laflamme Et Chanelle Bristol
2025-06-04 11:15:52

Parallèlement aux questions macroéconomiques de l’ère post-COVID, un changement significatif est intervenu dans l’environnement de levée de capitaux d’investissement privé. Le bassin de levée de capitaux d’investissement privé, qui se composait principalement d’investisseurs institutionnels, s’est maintenant diversifié pour inclure également de nombreuses personnes fortunées et des bureaux de gestion de patrimoine et, à l’horizon, des investisseurs individuels.
Preqin, un fournisseur de données et d’analyses sur les marchés privés, a noté, sur la base de ses enquêtes auprès des investisseurs, une grande partie des investisseurs institutionnels prévoient de ralentir le rythme de leurs engagements de capital dans le capital d’investissement privé, ce qui pourrait conduire à une plus grande diversification et, éventuellement, à un changement dans la dynamique du bassin d’investisseurs.
Les interrogations principales relatives concernent les forces sous-jacentes à l’origine de ce changement et l’incidence de ces forces sur le marché du capital d’investissement privé.
Qu’est-ce qui a contribué à ce changement?
Par le passé, les investisseurs institutionnels traditionnels étaient les seuls à pouvoir faire un chèque suffisamment important pour être invités à participer au bassin d’investisseurs de capital d’investissement privé, car les fonds de capital d’investissement privé de plus grande taille exigeaient généralement un investissement minimal de l’ordre de 10 millions $ US ou plus, montant qui était bloqué pendant au moins 10 ans. Les sociétés de capital d’investissement privé ont à présent créé divers mécanismes de fonds qui acceptent des montants d’investissement moins élevés et, dans certains cas, une plus grande latitude pour sortir avant la fin de la vie d’un fonds, ce qui a sans doute rendu les fonds de capital d’investissement privé plus attrayants pour les investisseurs individuels.
Cette évolution peut être imputable au fait que de nombreux investisseurs institutionnels ont atteint le plafond de leurs cibles de répartition pour les fonds de capital d’investissement privé, de sorte qu’ils n’ont aucune latitude pour investir davantage.
De plus, cette tendance qu’ont un plus grand nombre d’investisseurs individuels à investir dans des fonds de capital d’investissement privé pourrait être liée au fait que les sociétés fermées restent généralement fermées plus longtemps (en moyenne pendant plus de 10 ans), ce qui fait qu’une partie importante de la valeur est créée en dehors des marchés publics. C’est ce que montre le ralentissement du nombre de premiers appels publics à l’épargne (PAPE) ꟷ CPE Analytics a indiqué qu’au cours des neuf premiers mois de 2024, seulement 12 PAPE ont été réalisés sur les quatre bourses canadiennes de valeurs (à l’exclusion des sociétés de capital de démarrage et des sociétés d’acquisition à vocation spécifique).
La volatilité du marché public, en particulier à l’ère post-COVID, a peut-être également contribué à ce changement, car les investisseurs individuels sont probablement attirés par les marchés privés restreints avec historiquement des rendements plus élevés dans des secteurs diversifiés que sur les marchés publics. Cambridge Associates U.S. Private Equity Index a indiqué que, sur une base nette (après déduction des frais et des coûts de portage), le capital d’investissement privé a affiché un rendement d’indice supérieur à celui d’indices équivalents du marché public sur une période de 5 à 20 ans.
Sur le plan structurel, les formalités administratives sont moins lourdes lorsque les particuliers et les bureaux de gestion de patrimoine engagent leurs capitaux, par rapport au contexte des contreparties institutionnelles, qui doivent souvent respecter des mandats d’investissement et des processus d’approbation stricts pour pouvoir engager des capitaux. Les particuliers et les bureaux de gestion de patrimoine ont la possibilité d’adapter la répartition de leurs fonds à leurs préférences, en particulier en ce qui concerne les liquidités, tandis que les investisseurs institutionnels ont généralement besoin de contributions et de distributions cohérentes et supplémentaires pour répondre à leurs besoins de liquidité.
Quelle est l’incidence?
Émergence de fonds semi-liquides, de fonds d’investissement à durée ouverte (evergreen) et de fonds communs de placement ꟷ Ces fonds répondent aux problèmes de liquidité auxquels sont généralement confrontés les investisseurs individuels et les bureaux de gestion de patrimoine dans le cadre du modèle traditionnel de fonds de capital d’investissement privé, qui immobilise traditionnellement le capital pour la durée de vie du fonds. En règle générale, ces fonds comprennent un mécanisme de retrait ou de rachat en faveur des investisseurs pour tout ou partie des fonds investis. Ces droits de liquidité font souvent l’objet de mécanismes de plafonnement ou de suspension des rachats ou de suspension des rachats, qui constituent des restrictions à la liquidité et doivent être examinés attentivement par les investisseurs.
Croissance des plateformes numériques ꟷ Ces plateformes sont de plus en plus lancées et élargies, et donnent accès à une gamme d’offres d’investissement privé. En juillet 2024, Private Equity International a recensé 26 de ces plateformes. Six d’entre elles ont levé de manière indépendante plus de 1 milliard $ CA (la plus importante et la plus remarquable étant iCapital, qui a levé un peu plus de 191 milliards $ US).
En règle générale, elles ont des engagements minimaux moins élevés que les fonds traditionnels, donnent accès à un ensemble de fonds sélectionnés qui n’étaient peut-être pas accessibles aux particuliers auparavant ainsi qu’à un certain nombre d’outils de formation et de vérification diligente pour guider les investisseurs. Ces plateformes, dans certains cas, n’exigent qu’un engagement minimal nominal (par exemple, Moonfare, qui n’exige qu’un engagement de 10 000 € pour les investisseurs admissibles aux ELTIF), ce qui permet d’élargir l’accès au-delà des particuliers fortunés.
Évolution de la réglementation ꟷ La réglementation relative aux fonds de capital d’investissement privé évolue pour faciliter les investissements par des investisseurs autres que les investisseurs institutionnels. Barclays a cité comme exemple le Règlement ELTIF 2.0 relatif aux fonds européens d’investissement à long terme. Ce règlement a amélioré l’accès aux fonds du marché privé en introduisant une structure à durée ouverte (evergreen), à capital variable, assortie d’engagements minimaux moins élevés et d’un processus de distribution simplifié. Dans la mesure où un grand nombre d’investisseurs individuels ont accès au marché canadien des fonds privés, il est fort probable que nous assisterons à l’émergence d’une législation semblable au Canada dans un proche avenir, afin de protéger et de réglementer les placements dans des fonds privés effectués par ces investisseurs individuels.
Autres mouvements de capitaux vers les marchés privés ꟷ La croissance des engagements de capital des investisseurs individuels dans les fonds de capital d’investissement privé devrait atteindre 1,2 billion $ US d’ici 2025 (en hausse par rapport à 500 milliards $ US en 2020 et à 200 milliards $ US en 2015), les investisseurs individuels représentant en moyenne 10,6 % des capitaux levés par des fonds de capital d’investissement privé d’ici 2025.
Un facteur important lié à cette croissance peut être attribué à la baisse du nombre de sociétés cotées en bourse affichant des produits d’exploitation importants ꟷ on rapporte que moins de 15 % des sociétés américaines dont les produits d’exploitation sont supérieurs à 100 millions $ US sont des sociétés dont les titres sont détenus dans le public. Les actifs privés offrent aux investisseurs un portefeuille diversifié pour des placements assortis de rendements intéressants, par rapport au nombre limité de PAPE et à la volatilité plus importante des marchés publics.
Bien que les investisseurs institutionnels demeurent la principale source de financement des fonds de capital d’investissement privé, d’autres investisseurs de différentes formes et tailles font progressivement leur entrée sur le marché. Cela pourrait entraîner l’émergence de nouveaux modèles d’investissement et de placements visant à répondre aux principales préoccupations des particuliers plutôt qu’à celles des institutions. De plus, une croissance potentielle de la levée de capitaux au cours des prochaines années, pourrait nécessiter le déploiement de montants significatifs de capitaux supplémentaires sur le marché privé.
Cet article a été publié à l’origine sur le site de McCarthy.
À propos des auteurs
Mathieu Laflamme est co-chef du groupe national de Capital d'investissement privé, et associé au sein du groupe de Droit des affaires chez McCarthy.
Chanelle Bristol est avocate au sein du cabinet McCarthy.