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La responsabilité de l’entrepreneur pour les vices de sol entraînant la perte de l’ouvrage

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Nicolas Gosselin, Julien Tricart Et Sarah Leclerc

2024-10-01 11:15:43

Nicolas Gosselin, Julien Tricart et Sarah Leclerc, les auteurs de cet article. Source : BCF
Nicolas Gosselin, Julien Tricart et Sarah Leclerc, les auteurs de cet article. Source : BCF
Quid du régime de responsabilité légale en cas de perte de l’ouvrage?

Le régime de responsabilité légale en cas de perte de l’ouvrage prévue à l’article 2118 du Code civil du Québec n’a plus besoin de présentation. Ce régime prévoit une présomption de responsabilité pour l’entrepreneur et les professionnels dans diverses situations, sans exiger la preuve d’une faute, et des moyens d’exonération limités.

Plus spécifiquement, la perte de l’ouvrage en raison d’un vice de sol mérite qu’on s’y attarde, particulièrement dans un contexte où la disponibilité de terrains constructibles en milieu urbain se raréfie.

Qu’est-ce qu’un vice de sol?

La jurisprudence nous apprend qu’un vice de sol peut provenir de la présence d’éléments étrangers comme des débris ou des contaminants, mais aussi de la composition géologique du sol.

À ce titre, bien qu’un sol dans son état naturel ne soit pas en lui-même vicié, l’interprétation erronée de sa résistance ou de sa capacité portante est susceptible d’entraîner la responsabilité de l’entrepreneur. L’évolution des techniques de construction permet de croire que tout sol, peu importe sa composition, est constructible, pourvu qu’on y applique les techniques appropriées.

La responsabilité de l’entrepreneur

La seule preuve d’un vice de sol n’engage pas automatiquement l’application de cette présomption de responsabilité : la démonstration d’une « perte de l’ouvrage » dans les cinq ans de la construction est nécessaire.

Il incombera alors à l’entrepreneur de démontrer qu’il a scrupuleusement respecté les expertises, les plans et les devis préparés par les professionnels choisis par le client, ou que la situation résulte de décisions imposées par le client dans le choix du sol ou des méthodes de construction.

Le fait que le terrain recevant l’ouvrage appartienne au client n’est pas suffisant pour écarter la présomption de responsabilité, l’entrepreneur étant tenu d’informer ce dernier si son bien est impropre.

Cette obligation ne signifie toutefois pas que l’entrepreneur est responsable de tous les vices de sol : sa responsabilité serait retenue si le vice avait été décelable au moment où l’entrepreneur a procédé à un examen attentif compte tenu de sa connaissance et de son expertise.

En cas de doute ou d’indices quant à la qualité du sol, l’entrepreneur doit obtenir les expertises requises ou recommander au client de les obtenir. Par exemple, la responsabilité d’un entrepreneur a déjà été retenue puisque celui-ci n’avait pas pris les précautions nécessaires alors que la région où les travaux avaient lieu était connue pour ses sols argileux et que l’utilisation de fondation en béton dans ce contexte aurait dû inciter à la prudence.

À l’inverse, les tribunaux ont considéré qu’en raison de l’implication des clients dans la préparation du terrain avant l’érection des fondations, et la réalisation des plans et des devis, ainsi qu’en l’absence d’indices permettant de déceler la présence d’un sol contaminé, un entrepreneur ne pouvait être tenu responsable de ne pas avoir effectué d’études de sol, ce que les clients avaient eux-mêmes omis de faire.

Dans tous les cas, l’entrepreneur doit appliquer des méthodes de construction adaptées à la nature et à la composition du sol en place. Une étude géotechnique réalisée par un professionnel avant la construction n’est pas suffisante en soi pour se dégager de sa responsabilité. Dans le cas où l’entrepreneur joue également un rôle de vendeur, les dispositions applicables en matière de garantie de qualité seront aussi en vigueur et conféreront à l’entrepreneur, en tant que vendeur professionnel, une présomption de connaissance du vice. Dans ce contexte, l’entrepreneur pourra difficilement se dégager de sa responsabilité en argumentant qu’il ne lui était pas possible de déceler le vice, quand bien même il aurait disposé d’études géotechniques avant la construction ou la vente.

Comment les entrepreneurs peuvent-ils se protéger?

Le régime de responsabilité pour perte d’ouvrage est d’ordre public et ne peut donc pas être contractuellement modifié. La Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel une clause spécifiant que le client était responsable de la résistance et de la capacité portante du sol avait pour effet d’exonérer l’entrepreneur.

Elle a plutôt conclu qu’une telle clause signifiait qu’une étude de sol jugée nécessaire par l’entrepreneur serait à la charge du client, l’entrepreneur ne pouvant reporter sa responsabilité sur les épaules d’un profane. En présence d’un donneur d’ouvrage plus sophistiqué qui s’adjoint les services de professionnels spécialisés, notamment en matière de contrats publics, l’obligation de renseignement de l’entrepreneur est appliquée moins sévèrement.

Ce dernier ne doit toutefois pas « baisser sa garde » en se fiant aveuglément aux résultats d’une étude géotechnique alors que l’excavation révélerait des caractéristiques de sol différentes. Dans ce cas, l’entrepreneur qui n’aviserait pas en temps opportun le donneur d’ouvrage ni ses professionnels risquerait sans doute d’avoir de la difficulté à se dégager de sa responsabilité.

Chaque chantier est évidemment unique, et les généralisations quant aux gestes que doit poser un entrepreneur pour se protéger sont à proscrire. Retenons toutefois que lorsque surgit un litige impliquant une perte de l’ouvrage, les comptes rendus de réunions de chantiers ainsi que les échanges écrits entre le client, l’entrepreneur et les professionnels seront scrutés à la loupe : ce dernier a donc intérêt à bien documenter ses actions.

Finalement, les entrepreneurs ont avantage à s’assurer que les documents contractuels incluent des clauses de révision de prix lorsque les travaux révèlent la présence de conditions de sol qui ne leur avait pas été mentionnée. De nombreux contrats types comportent de telles clauses, par exemple le contrat type du Comité canadien des documents de construction en matière de contrat à forfait (CCDC-2) qui vient récemment d’être révisé.

À propos des auteurs

Nicolas Gosselin est avocat chez BCF. Il pilote des litiges complexes devant les instances judiciaires du Québec et conseille une clientèle diversifiée de promoteurs immobiliers, d’entrepreneurs, de fabricants et de fournisseurs de matériaux.

Julien Tricart est associé et membre du groupe litige civil chez BCF et axe sa pratique sur le litige civil et commercial, le droit de la construction et la responsabilité professionnelle.

Sarah Leclerc est membre de l’équipe litige civil et commercial du cabinet BCF à Québec.

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