Laisser un contrat en suspens : les conséquences involontaires des ententes abandonnées
Mitch Koczerginski
2025-11-10 11:15:08

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment tranché dans une situation que connaissent bien de nombreux acteurs commerciaux : une partie est en défaut contractuel, alors l’autre menace de résilier l’entente si le défaut n’est pas corrigé, et le différend s’éteint sans être résolu pour resurgir quelque temps après.
La décision rendue par la Cour dans l’affaire Caivan (Creekside) Limited Partnership v. Logoteta, 2025 ONSC 1875, présente un exemple incitant à la prudence où une partie innocente devient redevable envers la partie contrevenante parce qu’elle n’a pas mis fin à une convention.
En laissant une entente en suspens, une partie innocente peut la maintenir par inadvertance et risque ainsi d’être déclarée responsable de l’inexécution de ses obligations contractuelles.
Bien que l’affaire en question porte sur une transaction immobilière abandonnée, les motifs de décision de la Cour ont une portée beaucoup plus large. Des problèmes similaires peuvent survenir dans un vaste éventail de contextes commerciaux, dont l’approvisionnement, la distribution, la fabrication et la location immobilière commerciale.
Les faits
Le litige découle d’une convention d’achat-vente visant une maison en rangée en construction à Oakville d’une valeur de 3,3 M$. Après avoir versé deux dépôts totalisant 100 000 $, les acheteurs n’ont pas effectué les deux autres versements totalisant 262 000 $. Le vendeur a alors repoussé l’échéance de paiement au 10 novembre 2022.
Lorsque les acheteurs ont déclaré qu’ils ne seraient toujours pas en mesure de payer, le vendeur leur a envoyé une lettre, le 8 novembre 2022, indiquant qu’il « procéderait à la résiliation » de la convention si le paiement n’était pas effectué avant la date limite et que les dépôts ne pourraient pas être récupérés. Il a toutefois ajouté qu’il « espérait ne pas avoir à en arriver là et attendre la réception des fonds comme prévu ».
Le paiement n’a jamais été effectué. Le vendeur n’a envoyé aucun autre avis et a vendu la propriété à un autre acheteur quatre mois plus tard. Peu de temps après, les premiers acheteurs ont cherché à procéder à la transaction initiale.
Lorsqu’ils ont appris que la propriété avait été vendue, les acheteurs ont affirmé que l’action du vendeur constituait une contravention essentielle à la convention, ce qui, selon eux, leur donnait droit au remboursement de leur dépôt de 100 000 $ et à des dommages-intérêts. Le vendeur a fait valoir que sa lettre du 8 novembre avait déjà entraîné la résiliation de la convention le 10 novembre en raison du défaut de paiement du montant restant.
La décision
La Cour a conclu que la convention entre le vendeur et les acheteurs était toujours valide et que le vendeur en avait enfreint les modalités en vendant la propriété à un autre acheteur. Même si elle a accepté que le refus des acheteurs d’effectuer les paiements requis le 10 novembre 2022 équivalait à une répudiation de la convention, elle a souligné qu’une répudiation ne met pas fin automatiquement à une entente. Il revient à la partie innocente de choisir entre a) accepter la répudiation et résilier la convention, ou b) considérer que la convention se poursuit.
Dans la présente affaire, la lettre que le vendeur a envoyée le 8 novembre était ambiguë. Bien qu’elle ait averti les acheteurs d’une résiliation de la convention en cas de défaut de paiement, elle les priait néanmoins de continuer à exécuter la convention en payant en temps opportun les dépôts restants. Par conséquent, la Cour a conclu que la menace de résiliation du vendeur constituait, en droit, une affirmation que la convention se poursuivait.
Pour en arriver à cette conclusion, la Cour s’est appuyée sur le fait que le vendeur avait déjà accordé une prolongation aux acheteurs à la suite de défauts de paiement. En faisant preuve de clémence, le vendeur avait établi un précédent. La Cour a donc déduit qu’il pourrait de nouveau se montrer indulgent. Compte tenu de ces antécédents, toute communication visant à mettre fin à la convention exigeait une clarté extrême.
Le vendeur a aggravé sa situation en incluant une clause passe-partout dans la lettre du 8 novembre, qui stipulait que tous les droits et recours potentiels du vendeur étaient réservés. Plutôt que de renforcer la flexibilité du vendeur, la Cour a statué que les clauses de réserve générales nuisaient à la clarté requise pour que la lettre constitue une résiliation de la convention. Par exemple, la Cour a noté que les réserves ou droits généraux pourraient être interprétés comme incluant le droit du vendeur de considérer la convention comme étant en cours.
Puisqu’il n’a pas mis fin à la convention, le vendeur a commis une erreur décisive en vendant la propriété à un autre acheteur. La vente de la propriété a empêché le vendeur de respecter sa part de la convention initiale, toujours en vigueur, lorsque les premiers acheteurs ont cherché à reprendre la transaction. La situation s’est donc retournée contre le vendeur, devenu redevable envers les acheteurs malgré leur répudiation antérieure de la convention.
Les principales leçons pour les entreprises
Cette décision souligne que la clarté du langage et de la conduite est essentielle lorsqu’une contrepartie manque à ses obligations ou répudie une entente. Voici les principales leçons à en tirer :
- Si une partie a l’intention de résilier une entente, elle doit l’indiquer de façon claire. Les formulations conditionnelles qui réservent un droit de résiliation ultérieure ou les avertissements de résiliation conçus principalement pour faire pression en vue du respect de l’entente sont source d’ambiguïté. Loin de faciliter une résiliation, de telles communications peuvent au contraire confirmer la poursuite de l’entente.
- Des antécédents de clémence peuvent influencer l’interprétation des communications relatives au non-respect et à la résiliation d’une entente. Si une partie a fait preuve d’indulgence par le passé, la Cour peut présumer qu’il en sera ainsi par la suite. Les communications qui s’ensuivront visant à mettre fin à la relation doivent donc être très claires et sans équivoque.
- Une clause passe-partout de réserve de droits peut avoir l’effet inverse lorsqu’elle est utilisée dans un avis de résiliation. Bien qu’elle serve souvent à préserver la flexibilité de la partie innocente, elle peut introduire une incertitude qui affaiblit la clarté requise lorsque l’on communique une résiliation d’entente.
- Le moment où l’on fait les choses et l’ordre dans lequel on les exécute sont importants. Une partie innocente doit communiquer une résiliation d’entente de façon claire avant de prendre des mesures incompatibles avec sa propre exécution de l’entente.
De nombreuses entreprises hésitent à exercer leurs droits de résiliation afin de préserver la relation ou de concrétiser l’entente. Souvent, elles menacent plutôt les autres parties de résilier l’entente pour les pousser à respecter leurs obligations contractuelles. L’affaire Caivan est un rappel sans équivoque que cette approche peut s’avérer risquée si les menaces ne sont pas suivies d’une résiliation claire et rapide. De plus, en cas de défaut, les communications destinées à favoriser l’exécution d’une entente peuvent, en droit, équivaloir à une affirmation de répudiation.
Dans une telle situation, des mesures comme la conclusion d’une entente avec une autre partie peuvent transformer une partie innocente en partie contrevenante. Compte tenu des conséquences potentielles de laisser une entente en suspens après un non-respect de ses modalités, les entreprises devraient demander un avis juridique rapidement afin d’élaborer une stratégie cohérente en matière de non-respect et de résiliation qui concilie les objectifs commerciaux avec le besoin de précision, de clarté et d’applicabilité.
À propos de l’auteur
Mitch Koczerginski est associé chez McMillan.