Le droit d’inhaler ?
Gabriel Granatstein
2010-07-26 11:15:00
Aux États-Unis, la question se pose souvent.
Souvenez-vous : au cours de l’une des entrevues les plus importantes de sa carrière lors de sa première campagne présidentielle, Bill Clinton a admis avoir « expérimenté une fois ou deux de la marijuana » mais a précisé « ne jamais avoir inhalé ».
Il croyait alors qu’admettre l’inhalation pouvait mettre fin à ses aspirations présidentielles.
Chez nous, au sein du milieu juridique canadien, des rumeurs évoquent que certains individus (et même des avocats chevronnés!) font usage de marijuana ou d’autres drogues.
Pourraient-ils être soumis à des tests de dépistage ?
L’un des aspects les plus intéressants et complexes du droit de l’emploi et du travail concerne précisément la légalité des tests de dépistage chez les employés et candidats à un poste.
Aux États-Unis, les employeurs peuvent imposer ces tests à leur guise.
La situation est bien différente au Canada.
Les drogues (marijuana, cocaïne, etc.) ont beau y être encore illégales, les employeurs canadiens ne peuvent généralement pas sanctionner ou avoir recours à des tests de dépistage.
Une exception : si l'usage allégué de ces substances affecte la performance au travail de leurs employés ou nuit à la sécurité du public ou des autres travailleurs.
Ainsi, candidats à la course aux stages, rassurez-vous!
Le test de dépistage de drogues n’est pas une étape préalable à l’entrevue.
Des textes multiples
Cela dit, les lois régissant le dépistage de drogues et d’alcool au travail ne sont pas toutes contenues dans un seul texte, ce qui complique quelque peu la tâche des employeurs canadiens.
Dans les faits, ni la Loi sur les normes du travail ni la Charte des droits et libertés ne contiennent de dispositions régissant le dépistage de drogues.
Certains employeurs en déduisent que ce domaine n’est pas réglementé.
Ils se trompent.
Les règles concernant le dépistage se retrouvent à l’intérieur de plusieurs textes de lois qui, au fil des années, ont été interprétés par les arbitres et les cours de justice, formant désormais un certain corpus de règles.
De ce casse-tête juridique coup est né un « modèle canadien » de dépistage des drogues.
Le "modèle canadien" en action
En décembre 2009, dans une décision opposant un opérateur de raffinerie à son syndicat, l’arbitre Jean-Pierre Lussier a déterminé que ce « modèle canadien » s’appliquait tout aussi bien au Québec qu’aux autres provinces.
À la base de ce « modèle canadien », le dépistage de drogues est posé comme portant une atteinte déraisonnable et injustifiable à la vie privée des employés et viole leur droit à la dignité.
Ces droits sont protégés à la fois par la Charte des droits et libertés et par la législation fédérale et provinciale.
Et puisque la jurisprudence a comparé la dépendance à la drogue à une incapacité, la Charte trouve application et la toxicomanie est reconnue comme un motif de discrimination.
Les employés souffrant de ce type de dépendance doivent bénéficier d’un accommodement de la part de leur employeur, sans, toutefois, que celui-ci ne devienne une « contrainte excessive ».
Après le principe, les exceptions
Il a été reconnu que les employeurs ont le droit d’imposer des tests de dépistage de drogues aux employés occupant ou postulant pour des postes critiques sur le plan de la sécurité.
Spécifiquement, ces postes sont ceux où un employé jouit d’une supervision limitée et œuvre dans un environnement de travail où les facultés affaiblies pourraient engendrer un accident majeur affectant la santé et la sécurité des employés, ou encore nuire à la santé et la sécurité du public.
Les travailleurs miniers, les pilotes d’avion, les policiers et les travailleurs des raffineries constituent des exemples de ce type d'employés.
Jusqu’à tout récemment, les tests de dépistage de drogues et d’alcool effectués avant l’embauche ont été jugés illicites lorsque l’échec de ces tests engendre une révocation de l’offre d’emploi.
Toutefois, la Cour d’appel de l’Alberta a récemment conclu, dans l’affaire Alberta c. Kellogg Brown & Root, qu’un employeur était pleinement autorisé à ne pas retenir les services d’un candidat chez qui des traces de marijuana ont été détectées.
La Cour a déterminé que, compte tenu du statut de consommateur occasionnel du candidat, ce dernier ne souffrait d’aucune incapacité liée à sa toxicomanie et, par conséquent, qu’il ne s’agissait pas d’une violation des droits et libertés prévus par la Charte.
Cette décision, jumelée à quelques autres décisions récentes, ne sont que des exceptions à une longue tradition jurisprudentielle selon laquelle le dépistage de drogues, dans la grande majorité des cas, est perçue comme étant une violation de la vie privée des individus et contrevient à leur dignité.
En somme, la majorité de la jurisprudence retient l’idée qu’il est peu probable d’être renvoyé pour cause de consommation de drogues, malgré l’illégalité de l’acte, à condition de ne pas consommer au travail, de ne pas se présenter au travail avec les facultés affaiblies et de ne pas occuper un poste où la sécurité de sa personne et d’autrui est un enjeu important.
Ainsi, c’est une bonne chose que le Président Clinton se soit abstenu d’inhaler!
En effet, j’affirmerais sans hésiter que le Président des États-Unis occupe un poste qui est certainement critique sur le plan de la sécurité.
Or, une question demeure : peut-on soutenir que la profession d’avocat est critique sur le plan de la sécurité ? Qu’en pensez-vous ?
Admis au barreau en 2009, Gabriel Granatstein est avocat chez Ogilvy Renault à Montréal, en droit de l'emploi et du travail. Avant de se joindre au cabinet, il a été officier au sein des Forces canadiennes et a notamment été affecté au maintien de la paix en Bosnie. Il demeure membre de la Réserve. Me Granatsteein tient un blogue sur le droit du travail au Québec et est également présent sur Twitter.
Diplômé en droit de l’Université de Montréal (LL.B.), il a auparavant obtenu un baccalauréat en science politique à McGill (B.A.).
GBS
il y a 15 ansNon mais sérieusement, vous avez réussi. Vous êtes rendu encore plus chiant que le schtroumph à lunettes.
Anonyme
il y a 15 ansVous aurez du consulter vos associés
> >>>> Me, votre commentaire est tout à fait gratuit et vous tirez des conclusions sur le fait que l'auteur ne fait pas la différence entre siffer et inhaler.
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> C'est tout à fait normal. Dans la grande majorité des cas, les auteurs signent aussi les textes. Ce que je présumais n'était pas du tout gratuit, puisque c'est basé sur une habitude éditoriale largement répandue.
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> Mme Mignon me fait savoir que, par dérogation à ce standard, elle a elle-même signé le titre alors que Me Granatstein a signé le texte.
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> Bon, j'étais dans le tort. Les précisions ont été faites. Cependant il faut être très étroit d'esprit pour conclure au caractère gratuit de la remarque pour le seul fait que j'ai vu faux. Il n'y a rien de gratuit dans ça. Je me base sur les habitudes journalistiques.
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> En terminant, je ne comprends pas ce que l'expression "tirer des conclusion SUR le fait" signifie.