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Le projet de loi 56 révolutionne les droits des conjoints de fait

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David Tordjman

2024-04-10 11:15:18

Me David Tordjman, l'auteur de cet article. Source: De Grandpré Chait
Me David Tordjman, l'auteur de cet article. Source: De Grandpré Chait
Dans une réforme historique au Québec, le projet de loi 56 vient redéfinir les droits des conjoints de fait. Un avocat analyse le tout…

Un nouveau régime d’union parentale

L’arrêt Éric c. Lola, rendu il y a plus de onze ans par la Cour Suprême du Canada, a marqué un tournant décisif dans la reconnaissance des droits des conjoints de fait au Québec. En continuation de cette évolution juridique, le 27 mars 2024, le projet de loi 56 a été déposé à l’Assemblée nationale du Québec, ouvrant la voie à un nouveau cadre légal pour les couples non mariés. Ce projet vise à établir un nouveau régime d’« union parentale » entre conjoints de fait. En vertu de ce projet de loi, le Québec modifie les dispositions du Code civil du Québec pour préciser que les parents d’un même enfant cohabitant ensemble et se présentant publiquement comme un couple pourront maintenant bénéficier d’une protection similaire à celle des couples mariés en ce qui concerne les actifs relevant du patrimoine familial.

Présentement au Québec, l’union de fait ne confère aucun droit et ne donne aucun avantage financier. Chaque conjoint est propriétaire des biens à son nom et l’autre conjoint n’a aucun recours à faire valoir à l’égard de ces mêmes biens, même si ces derniers ont servi à l’usage de la famille. Il convient de souligner qu’au Québec, plus de quarante pour cent (40%) des couples vivent en union de fait.

Principales dispositions et implications

Le projet de loi 56 entraînera notamment les effets suivants entre conjoints de fait à compter de la naissance d’un enfant issu de leur relation, ou lorsque deux parents d’un même enfant deviennent conjoints de fait (ou le redeviennent) :

  1. La constitution d’un patrimoine familial inclura les biens suivants dont l’un ou l’autre des conjoints est propriétaire : la résidence familiale ou les droits qui en confèrent l’usage, les meubles qui la garnissent ou l’ornent et qui servent à l’usage du ménage, ainsi que les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille.
  2. En cas de séparation, les conjoints devront se partager à 50% la valeur de la résidence familiale, des meubles et des véhicules automobiles acquis après la naissance de l’enfant et utilisés par la famille. Toutefois, les conjoints de fait auront la possibilité de réclamer des déductions au partage du régime pour des biens similaires à ceux dont bénéficient les conjoints mariés.
  3. L’un des conjoints pourra, à la fin de l’union parentale, demander au tribunal qu’il ordonne à l’autre conjoint de lui verser une prestation compensatoire, en compensation de son apport, en biens ou en services, à l’enrichissement du patrimoine de cet autre conjoint. Il faudra notamment prouver l’implication continue de l’un des conjoints dans les activités ou projets de l’autre, peu importe si ces derniers étaient liés à des biens, à des services, ou avaient un but lucratif ou non.
  4. Les conjoints de fait pourront bénéficier des règles relatives à la protection et à l’attribution de la résidence familiale dont bénéficient actuellement les couples mariés. Cela comprend notamment l’attribution d’un droit d’usage pendant l’instance au parent ayant la garde de l’enfant (que l’on soit propriétaire ou non de la résidence familiale), l’interdiction pour le conjoint propriétaire de la résidence de la vendre, de l’hypothéquer ou d’en louer une partie sans le consentement de l’autre conjoint.
  5. Les conjoints de fait pourront, en cours d’union, modifier la composition du patrimoine d’union parentale ou décider d’appliquer ces règles à leurs biens avec l’aide d’un notaire. Ils pourront également convenir d’ajouter des biens autres que ceux déjà mentionnés dans le projet de loi 56.
  6. En matière successorale, l’article 653 du Code civil du Québec est modifié de manière que le conjoint survivant reçoive le tiers de l’héritage du défunt conjoint. Pour les conjoints de fait, le conjoint survivant aux fins de la dévolution est celui qui était lié au défunt par union parentale et qui vivait en communauté avec le défunt depuis plus d’un an.

Il est également important de noter que l’entrée en vigueur de la loi ne sera pas rétroactive. Seuls les conjoints de fait qui sont les parents d’un même enfant né ou adopté après le 30 juin 2025 seront soumis à celle-ci. Toutefois, il sera possible pour les conjoints de fait qui sont les parents d’un même enfant avant le 30 juin 2025 de s’y assujettir volontairement par acte notarié.

Avancées et limitations

Le projet de loi au Québec met l’accent sur le bien-être de l’enfant en ne faisant pas de la durée de cohabitation un critère essentiel pour l’application du régime d’union parentale. Contrairement à certaines provinces canadiennes comme la Colombie-Britannique, où une cohabitation de deux ans est nécessaire pour être reconnu comme conjoint et bénéficier du partage des biens accumulés pendant la relation.

Vers une évolution sociale et législative

Le projet de loi 56 représente donc un équilibre entre le maintien de l’indépendance des couples en union de fait pour gérer leurs rapports patrimoniaux selon leurs préférences et la mise en place de protections pour ces mêmes conjoints de fait ayant des enfants, afin qu’aucun conjoint ne soit lésé à la suite de la rupture de l’union. Toutefois, le projet de loi 56 ne fait pas mention de la possibilité pour un conjoint de réclamer à l’autre une pension alimentaire pour son bénéfice (les conjoints de fait pouvaient déjà réclamer une pension alimentaire pour enfants auparavant).

À propos de l’auteur

Barreau 2020, Me David Tordjman est avocat chez De Grandpré Chait. Sa pratique porte principalement sur le droit de la famille et le litige successoral.

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