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Lorsque le droit fédéral et provincial s’entrechoquent : la Cour suprême réaffirme le cadre applicable

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Glenn Grenier, Lucie Lanctuit Et Olivier Lajeunesse

2025-07-24 11:15:39

Focus sur une récente décision rendue par la plus haute juridiction du pays.

Glenn Grenier, Lucie Lanctuit et Olivier Lajeunesse - Source : McMillan

Dans l’arrêt Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général), la Cour suprême du Canada (la « Cour ») a unanimement réaffirmé l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences, qui empêche un autre ordre de gouvernement d’interférer dans une compétence exclusive (fédérale ou provinciale).

La Cour a réitéré que l’application de la doctrine dépend de la satisfaction de deux conditions, soit 1) un empiétement sur le contenu essentiel (aussi appelé « cœur ») d’un chef de compétence exclusif de l’autre ordre de gouvernement et 2) une entrave au contenu essentiel du chef de compétence exclusif.

Lorsque la doctrine s’applique, les dispositions contestées restent valides, mais sont déclarées inapplicables aux personnes qui ont intenté le recours, puisqu’elles font entrave aux matières qui relèveraient du contenu essentiel de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement. Lorsque les dispositions contestées sont indissociables de l’ensemble d’un régime provincial, celui-ci est déclaré inapplicable.

Faits en litige

Opsis Services aéroportuaires inc. (« Opsis »), Services maritimes Québec inc. (« SMQ ») et Michel Fillion, employé de SMQ (« M. Fillion »), ont reçu des constats d’infraction leur reprochant d’avoir contrevenu aux dispositions de la Loi sur la sécurité privée (« LSP ») une loi québécoise. Ils les contestent au motif que la LSP leur est inapplicable en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences. En effet, leurs activités sont strictement réglementées par la législation fédérale. Opsis est une entreprise qui offre des services de sûreté aéroportuaire à l’aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau.

Ses activités sont régies par le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, pris en application de la Loi sur l’aéronautique, une loi fédérale. SMQ œuvre dans le secteur du transport maritime international et assure des opérations de chargement sur des navires transatlantiques à partir du terminal de Pointe-au-Pic à La Malbaie. Ses activités sont régies par la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et la Loi sur la sûreté du transport maritime, deux lois fédérales.

Les affaires impliquant Opsis et SMQ ont été entendues ensemble devant la Cour suprême du Canada.

Motifs de la Cour

1) Exclusivité des compétences et prépondérance fédérale La Cour a indiqué qu’en général, il est préférable d’examiner l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences avant celle de la prépondérance fédérale. Cette méthode se distingue de celle appliquée dans l’affaire Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22.

Cela dit, il n’est pas exclu qu’il puisse être avantageux, dans certaines circonstances, de procéder inversement. Selon la doctrine de la prépondérance fédérale, lorsque les effets d’une loi provinciale sont incompatibles avec une loi fédérale, cette dernière doit prévaloir et la loi provinciale doit être déclarée inopérante dans la mesure de l’incompatibilité.

Dans l’affaire Opsis, la Cour a reconnu que, dans la plupart des cas, il est plus logique et approprié d’évaluer l’applicabilité d’une loi (au moyen de la doctrine de l’exclusivité des compétences) avant son caractère opérant (au moyen de la doctrine de la prépondérance fédérale).

2) Conditions d’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences

a. Empiétement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif de l’autre ordre de gouvernement La Cour a conclu que l’application de la LSP aux activités d’Opsis, de SMQ et de M. Fillion constitue un empiétement sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif de l’autre ordre de gouvernement.

i. Affaire Opsis Dans cette affaire, la Cour a réaffirmé que l’aéronautique relève de la compétence exclusive du Parlement fédéral en raison de son pouvoir de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867).

Cette compétence comprend non seulement la réglementation de l’exploitation d’un aéronef, mais également la réglementation de l’exploitation des aéroports et des aérodromes. Cet arrêt s’inscrit dans la lignée des décisions Johannesson v. Municipality of West St. Paul, (1952) 1 R.C.S. 292, Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), (1997) 2 RCS 581 et Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, (2010) 2 RCS 536. La Cour a donc conclu que les tâches associées au mandat d’Opsis relèvent incontestablement du contenu essentiel de la compétence en matière d’aéronautique en ce qu’elles sont liées à la sécurité du transport aérien lui-même. Ces activités incluent la surveillance caméra des emplacements intérieurs et extérieurs de l’aéroport et l’opération des systèmes informatisés du centre d’appels.

ii. Affaire SMQ Dans cette affaire, la Cour a déterminé que la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires (shipping) est attribuée au Parlement fédéral aux termes du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette compétence est vaste et « englobe les aspects de la navigation et des bâtiments ou navires qui se rapportent à des objets nationaux exigeant une réglementation uniforme dans tout le pays, sans égard à leur portée territoriale ». La Cour a précisé que « (m)ême en l’absence d’un précédent explicite à cet égard, il ne fait pas de doute que la sécurité des installations maritimes et de leurs opérations est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires ». La Cour a conclu que les activités de SMQ s’inscrivent précisément au cœur de cette compétence, compte tenu du lien évident entre la sûreté des installations maritimes et les opérations de SMQ, qui visent à assurer la sécurité du terminal de Pointe-au-Pic.

b. Entrave au contenu essentiel du chef de compétence exclusif Pour déterminer s’il y a entrave, la Cour refuse d’adopter une approche étroite consistant à examiner uniquement les dispositions relatives à l’obtention des permis d’agent et d’agence. Elle analyse le régime de permis globalement, bien que cela puisse varier en fonction des particularités d’un litige et de la loi contestée. Pour évaluer les sources d’entrave, la Cour examine divers aspects litigieux de la LSP. Selon elle, deux aspects du régime de permis de cette loi constituent des entraves :

1) Le premier, qui concerne le permis d’agent, découle des pouvoirs du Bureau de la sécurité privée, l’organisme administratif créé par la législature provinciale, lorsque celui-ci détermine qu’il y a eu une contravention aux normes de comportement en matière de sécurité privée (article 30 de la LSP). Le Bureau a donc le dernier mot sur la manière dont Opsis et SMQ doivent mener leurs activités, même si elles relèvent de la compétence fédérale en matières aéronautique et maritime.

2) Le deuxième, qui concerne le permis d’agence, découle des pouvoirs du Bureau lorsque ses directives concernant l’exercice d’activités de sécurité privée ne sont pas suivies (article 29 de la LSP). Le Bureau est donc habilité à dicter à Opsis la manière d’exécuter ses activités de sécurité aéroportuaire, voire à suspendre son permis d’agence si elle refuse de suivre les directives, même si ces activités relèvent de la compétence fédérale en matière aéronautique.

c. Déclaration d’inapplicabilité La Cour a convenu de déclarer que l’ensemble du régime de permis établi par la LSP, plutôt que seuls les deux aspects susmentionnés, est inapplicable à Opsis, à SMQ et à M. Fillion, étant donné que les dispositions entravantes sont indissociables du tout cohérent que forme la LSP.

Compte tenu de ces conclusions, la Cour n’a pas jugé nécessaire d’examiner les arguments des parties concernant la doctrine de la prépondérance fédérale.

À propos des auteurs

Glenn Grenier est un avocat en litige commercial chez McMillan qui possède une expertise reconnue en droit de la construction et en droit aérien.

Lucie Lanctuit est une avocate plaidante du cabinet McMillan qui possède de l’expérience en matière de litige civil et commercial, et plus particulièrement en matière d’actions collectives et de différends contractuels.

Olivier Lajeunesse est un avocat du groupe de litige et de règlement des différends chez McMillan dont la pratique est axée sur le droit commercial, notamment dans les secteurs de la construction et de l’immobilier commercial.

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