Réforme du droit de la famille et de l’union parentale

Caroline Harnois, Chantal Tremblay Et Adnana Zbona
2025-07-11 11:15:41

Le 30 juin 2025 marquera l’entrée en vigueur d’une réforme importante du droit de la famille concernant les conjoints de fait : l’union parentale. En effet, à compter de cette date, l’arrivée d’un nouvel enfant chez les conjoints de fait entraînera automatiquement la formation du nouveau régime d’union parentale, un cadre légal similaire à celui du patrimoine familial applicable aux couples mariés. Le régime d’union parentale vise à offrir une protection accrue aux familles de conjoints non mariés en créant un patrimoine d’union parentale et en établissant de nouveaux droits et de nouvelles obligations entre les conjoints.
Le patrimoine d’union parentale englobera des actifs comme les résidences de la famille, les meubles et les véhicules utilisés par la famille, à l’exclusion toutefois des biens échus par donation ou succession; L’union parentale octroiera également aux conjoints certains droits jusqu’à maintenant réservés aux conjoints mariés, tels que le droit au maintien dans la résidence familiale, la prestation compensatoire et le droit d’hériter d’une partie des actifs du conjoint décédé sans testament.
Applicabilité
L’article 521.20 du Code civil du Québec se lit comme suit : « L’union parentale se forme dès que des conjoints de fait deviennent les père et mère ou les parents d’un même enfant. Il en est de même lorsque les père et mère ou les parents d’un même enfant deviennent conjoints de fait ou le redeviennent. »
À la lecture de cette disposition, deux critères cumulatifs se distinguent :
le statut de conjoints de fait;
l’arrivée d’un enfant commun.
Le statut de conjoints de fait
Les conjoints de fait visés par ce nouveau régime sont définis dans le dernier paragraphe de l’article 521.20 du Code civil du Québec comme étant deux personnes qui font vie commune et qui se présentent publiquement comme un couple, sans égard à la durée de leur vie commune. Ces personnes sont présumées faire vie commune si elles cohabitent et sont les père et mère ou les parents d’un même enfant. Cependant, si l’un des conjoints est déjà marié, en union civile ou en union parentale, l’union parentale avec un nouveau conjoint, malgré l’arrivée d’un nouvel enfant commun, ne peut se former qu’à compter de la dissolution du mariage ou de l’union civile du conjoint concerné ou la fin de l’union parentale précédente, selon le cas. La nouvelle union parentale ne prend alors effet qu’à compter de la date de la dissolution du mariage ou de l’union civile ou de la fin de l’union parentale précédente.
L’arrivée d’un enfant commun
La présence de l’enfant commun est au cœur de ce nouveau régime : sans enfant commun arrivé postérieurement au 29 juin 2025, il n’y a pas d’union parentale, sauf assujettissement volontaire des conjoints de fait par acte notarié ou devant témoins.
Parents d’un enfant né le 30 juin 2025 ou après cette date
Pour les parents d’un enfant commun né le 30 juin 2025 ou après cette date, l’union parentale se formera dès la naissance ou l’arrivée de l’enfant. Les parents seront alors immédiatement soumis au régime d’union parentale et, sauf stipulation contraire, aux dispositions s’y rattachant, ce qui inclut notamment les dispositions relatives à la résidence familiale, au patrimoine d’union parentale et à son partage, ainsi que celles qui concernent la prestation compensatoire. Il est à noter que la naissance d’enfants communs subséquents n’aura pas pour effet de modifier la date d’entrée en vigueur du régime d’union parentale, alors que celle-ci demeurera la date de naissance du premier enfant commun né le 30 juin 2025 ou après cette date.
Parents d’enfant(s) né(s) avant le 30 juin 2025
En revanche, pour les parents d’un enfant ou de plusieurs enfants communs nés avant le 30 juin 2025, le régime d’union parentale ne s’appliquera pas automatiquement. Toutefois, deux scénarios sont alors possibles :
Premier scénario : Les parents d’un enfant commun arrivé avant le 30 juin 2025 peuvent s’assujettir volontairement au régime d’union parentale, lequel se formera à la date de la signature de l’acte à cet égard. Ainsi, la naissance d’un enfant ou de plusieurs enfants subséquents ne modifiera pas le moment de cette entrée en vigueur.
Deuxième scénario : Le régime d’union parentale s’appliquera aux parents d’un enfant commun arrivé avant le 30 juin 2025 uniquement à partir de la naissance de leur enfant subséquent arrivé après le 29 juin 2025.
Le régime d’union parentale
La résidence familiale
Au même titre que pour les époux, les conjoints en union parentale choisissent ensemble la résidence familiale. À défaut de choix exprès, la résidence familiale est présumée être celle où les membres de la famille habitent lorsqu’ils exercent leurs principales activités. Cette résidence familiale fait l’objet des mêmes protections que celles qui sont prévues pour les époux aux articles 401 à 407 du Code civil du Québec, avec les adaptations nécessaires. Cette protection subsiste pendant les 120 jours qui suivent la cessation de la vie commune.
Le patrimoine d’union parentale
Contenu du patrimoine d’union parentale
L’union parentale entraîne automatiquement la création d’un patrimoine d’union parentale formé de certains biens des conjoints de fait, sans égard à celui des deux qui détient un droit de propriété sur ces biens. Ainsi, en vertu de l’article 521.30 du Code civil du Québec, le patrimoine d’union parentale inclut les biens suivants :
les résidences de la famille ou les droits qui en confèrent l’usage;
les meubles qui garnissent ou ornent ces résidences;
les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille.
À la différence des règles de composition du patrimoine familial des conjoints mariés, les droits accumulés durant l’union parentale au titre d’un REER, d’un régime de retraite de même que les gains inscrits en application de la Loi sur le régime de rentes du Québec ou de programmes équivalents ne font pas partie du patrimoine d’union parentale.
Modulation du patrimoine d’union parentale
Les conjoints de fait pourront moduler la composition du patrimoine d’union parentale en y incluant des biens qui, autrement, n’en feraient pas partie ou encore, en y soustrayant des biens normalement inclus. L’ajout de biens au patrimoine d’union parentale pourra être fait par acte notarié en minute ou par acte sous seing privé devant deux témoins. Toutefois, l’exclusion de biens du patrimoine d’union parentale devra être faite impérativement par acte notarié en minute, sous peine de nullité absolue, conformément à l’article 521.31 du Code civil du Québec.
Renonciation au patrimoine d’union parentale
Contrairement à l’assujettissement des conjoints mariés au patrimoine familial, les conjoints de fait pourront toujours renoncer au patrimoine d’union parentale. Cette renonciation devra être faite d’un commun accord et par acte notarié en minute, sous peine de nullité absolue.
L’article 521.33 du Code civil du Québec prévoit deux cas dans lesquels cette renonciation est possible :
En cours d’union, ce qui impliquera un partage des biens accumulés depuis le début de l’union parentale jusqu’à la date de la renonciation;
Dans les 90 jours du début de l’union parentale, le patrimoine d’union parentale sera alors réputé ne jamais avoir existé. Cependant, le régime d’union parentale continue de s’appliquer en ce qui concerne les autres effets de l’union parentale desquels on ne peut se soustraire volontairement.
Fin du régime d’union parentale
L’union parentale prend fin par la survenance du premier des événements suivants à survenir :
- la cessation de la vie commune;
- le décès de l’un des conjoints de fait;
- le mariage ou l’union civile des conjoints de fait;
- le mariage ou l’union civile de l’un des conjoints de fait avec un tiers.
Cependant, quoiqu’existant par l’effet de l’arrivée d’un enfant commun, le régime d’union parentale ne prendra pas fin par le décès, la majorité ou l’autonomie financière d’un enfant ou de tous les enfants communs.
Partage du patrimoine d’union parentale
À la fin du régime ou encore lors d’une renonciation au patrimoine d’union parentale en cours d’union, il faudra procéder à son partage. Conformément à l’article 521.34 du Code civil du Québec, la valeur du patrimoine d’union parentale, déduction faite des dettes contractées pour l’acquisition, l’amélioration, l’entretien ou la conservation des biens qui le constituent, sera divisée à parts égales entre les conjoints de fait ou, en cas de décès, entre le conjoint de fait survivant et les héritiers. Au surplus, il est important de noter que la valeur nette du patrimoine d’union parentale comprend également la valeur nette du bien visé par le patrimoine d’union parentale, mais qui aurait été exclu par convention du patrimoine d’union parentale par les conjoints de fait. La valeur nette de ce bien exclu sera cependant établie au moment de l’exclusion. Pour le reste, le partage du patrimoine d’union parentale s’apparente aux formalités du partage du patrimoine familial.
La prestation compensatoire
À compter de la fin de l’union parentale, un conjoint de fait peut demander au tribunal qu’il ordonne à l’autre conjoint de fait de lui verser, en compensation de son appauvrissement attribuable à son apport, en biens ou en services, à l’enrichissement du patrimoine de cet autre conjoint de fait, une prestation payable au comptant ou par versements, en tenant compte, notamment, des avantages que procure le patrimoine d’union parentale. Il en est de même en cas de décès; il est alors en outre tenu compte des avantages que procure la succession du conjoint de fait décédé au conjoint de fait survivant.
La vocation successorale des conjoints en union parentale
L’introduction du régime d’union parentale a également un impact notable en matière successorale. En effet, l’article 653 du Code civil du Québec a été modifié afin d’étendre la définition de conjoint survivant au conjoint en union parentale. Ce dernier aura alors vocation successorale dans la succession ab intestat du conjoint de fait décédé et tous les articles qui visent le conjoint survivant incluront le conjoint en union parentale. La dévolution légale s’applique au moment du décès de l’un des conjoints en union parentale. Il faudra cependant user de prudence, en particulier dans les situations complexes d’unions antérieures non réglées au moment du décès du conjoint de fait.
Défis et questionnements
- Comme toute réforme, l’arrivée du régime d’union parentale amène son lot de défis à anticiper. Entre autres, on peut se poser les questions suivantes :
- L’arrivée d’un nouvel enfant après la renonciation au patrimoine d’union parentale entraînera-t-elle la réouverture du droit et l’obligation de faire des démarches afin d’y renoncer à nouveau?
- La femme enceinte d’un premier enfant à naître après le 29 juin 2025 pourra-t-elle prétendre à une vocation successorale si son conjoint décède avant la naissance de l’enfant?
- La reconnaissance de la triparenté entraînera-t-elle des changements à ce projet de loi et, le cas échéant, comment devront-ils être traités?
- En matière d’adoption, l’union parentale sera-t-elle établie à compter de la date du jugement d’adoption ou pourra-t-elle l’être dès le jugement de placement?
- Dans le cas d’une grossesse pour autrui, l’union parentale sera-t-elle établie entre les parents d’intention à compter de l’expiration du délai permettant à la personne porteuse de garder l’enfant?
Il s’agit là de quelques-unes des nombreuses questions importantes qu’il sera pertinent de se poser.
Conclusion
Le régime d’union parentale offrira aux conjoints de fait parents d’un enfant né après le 29 juin 2025 une protection accrue et un cadre légal similaire à celui applicable aux conjoints mariés. Il est recommandé aux personnes concernées de consulter un avocat ou un notaire afin de bien comprendre l’effet de ces changements sur leurs propres droits et obligations.
À propos des auteures
Caroline Harnois fait partie de l'équipe Droit de la famille, des personnes et des successions chez Lavery.
Chantal Tremblay est membre du groupe Droit des affaires au sein du cabinet Lavery. Elle agit notamment dans le cadre de mandats à caractère immobilier nécessitant la rédaction d’offres d’achat, d’actes de vente, d’actes d’hypothèque et de servitudes.
Adnana Zbona est avocate au sein du groupe Litige chez Lavery et règlement des différends et concentre sa pratique en droit de la famille, des personnes et des successions, incluant le divorce, la séparation, la garde d’enfants, le partage des biens, la pension alimentaire pour enfants et pour conjoints.