Se préparer au resserrement de la réglementation des SPFA

Collectif D'auteurs
2025-10-07 11:15:52

D’un océan à l’autre, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada continuent de resserrer la réglementation des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (« SPFA »), parallèlement aux découvertes scientifiques concernant leur présence généralisée dans l’environnement, leur résistance élevée à la décomposition et leurs risques pour la santé.
L’introduction de normes relatives aux sites contaminés et à l’eau potable ainsi que l’abandon prévu de l’utilisation de ces substances dans un certain nombre de produits de consommation et d’applications industrielles courants sont des exemples de ces changements législatifs progressifs.
Bien que l’élimination progressive des SPFA au sein de l’économie et les diverses modifications proposées à la législation fassent l’objet de nombreuses discussions, l’incidence concrète d’un resserrement de la réglementation sur les activités quotidiennes des entreprises est rarement mentionnée. Le présent bulletin vise à combler cette lacune en donnant un aperçu de l’évolution de la réglementation des SPFA et des normes connexes au Canada ainsi qu’en analysant leurs répercussions sur les entreprises au pays.
Définition des SPFA
Les SPFA correspondent à un groupe constitué de milliers de produits chimiques utilisés dans un large éventail de produits de consommation et d’applications industrielles, dont les mousses extinctrices, les cosmétiques, les textiles et les appareils électroniques.
Ils comprennent des composés moins connus mais omniprésents tels que le perfluorooctanesulfonate (« PFOS ») et l’acide perfluorooctanoïque (« APFO »), avec lesquels ils sont souvent confondus. Ces substances sont appelées « polluants éternels », car une fois présentes, elles ne se décomposent pas facilement et restent dans l’environnement pendant de longues périodes.
Ce n’est que tout récemment que leur présence a été relevée dans l’alimentation en eau potable municipale, déclenchant ainsi une grande partie de la réglementation actuelle au Canada et à l’étranger. Le programme de recherche National Health and Nutrition Examination Survey a lancé en 1999 une enquête auprès de la population américaine pour mesurer le niveau de SPFA dans le sang. Les conclusions : ces substances ont été détectées chez presque tous les individus vivant aux États-Unis.
De même, les enquêtes canadiennes de biosurveillance ont constaté que certaines SPFA, comme le PFOS et l’APFO, « sont présentes dans presque toute la population canadienne (dans le sang) ».
Au Canada, deux types de réglementation des SPFA sont en cours d’élaboration : 1) les interdictions et autres restrictions concernant l’entrée de ces substances sur le marché canadien et leur présence dans plusieurs produits et applications; et 2) l’ajout des SPFA aux normes relatives aux sites contaminés et à l’eau potable.
Élimination progressive des SPFA et interdictions
Aperçu de la réglementation
En mars 2025, le gouvernement fédéral a publié deux documents pour faire progresser ses efforts de réglementation des SPFA. Ceux-ci font l’objet d’un autre bulletin (seule la version anglaise est en ligne au moment de la traduction du présent bulletin). Ce qui nous intéresse ici, c’est l’interdiction progressive de l’utilisation des SPFA.
Elles seront d’abord éliminées dans les mousses extinctrices, puis dans divers produits de consommation (cosmétiques, produits de santé naturels, médicaments en vente libre, matériaux d’emballage des aliments, peintures, revêtements, adhésifs, produits d’étanchéité et d’isolation, produits de nettoyage, textiles, farts à ski, etc.), et enfin d’applications industrielles (gaz fluorés, secteurs militaire et du transport, médicaments sur ordonnance, dispositifs médicaux, matériaux pour contact alimentaire, secteurs minier et pétrolier, etc.).
Restrictions relatives à l’utilisation des SPFA
En imposant des restrictions sur la fabrication, l’importation, l’utilisation et la vente de produits contenant des SPFA, la réglementation en la matière transformera de nombreux secteurs, car elle cible directement les entreprises dont les activités dépendent de ces substances.
Puisque les SPFA sont omniprésentes dans les produits de consommation et les applications industrielles, l’adoption de solutions de rechange pourrait entraîner des changements opérationnels et de conception considérables, y compris dans les chaînes d’approvisionnement d’une entreprise.
Pour un fabricant, il peut s’agir de remplacer ces substances ou de les éliminer complètement des produits et des activités, ce qui pourrait notamment signifier : a) s’approvisionner en pièces ou en ingrédients de rechange pour un produit; b) revoir entièrement la conception d’un produit afin d’éliminer les SPFA ou d’intégrer une solution de rechange; et c) modifier les procédés de fabrication ou remplacer le matériel de fabrication.
Pour un fabricant, ces changements apportés aux produits et aux activités sont importants et, dans presque tous les cas, ne peuvent être mis en œuvre rapidement sans beaucoup de recherches et d’essais préalables.
Les importateurs, les distributeurs et les commerces de détail devront recueillir des renseignements importants sur les produits de leurs fournisseurs pour savoir si les produits qu’ils introduisent sur le marché canadien contiennent des SPFA ou non. Cela peut représenter un fardeau, surtout si l’entreprise n’est pas le fabricant des produits ou que ceux-ci ne sont pas assujettis à une réglementation similaire.
Les importateurs, les distributeurs et les commerces de détail constituent généralement des maillons éloignés de la chaîne d’approvisionnement, ce qui complexifie la tâche d’accéder à des renseignements sur les produits, en particulier en l’absence de relation commerciale directe avec le fabricant.
Même lorsqu’il existe des liens commerciaux directs avec le fabricant, il se peut que l’information ne soit pas facilement accessible, car les fabricants s’approvisionnent souvent en pièces ou en produits auprès de tiers, qui peuvent à leur tour avoir des filières d’approvisionnement foisonnantes.
Cet enjeu en matière d’information s’accentue en raison de la complexité des chaînes d’approvisionnement, qui parfois s’étendent sur plusieurs continents et comptent une longue liste de fournisseurs pour une seule partie d’un produit final.
Évaluation des chaînes d’approvisionnement
Les entreprises qui conçoivent et fabriquent leurs propres produits doivent évaluer ceux-ci, ainsi que leurs procédés et leurs chaînes d’approvisionnement, pour savoir si des SPFA y sont introduits ou non. Dans l’affirmative, elles doivent déterminer s’il existe des solutions de rechange, si une nouvelle conception est nécessaire ou si ces substances peuvent être retirées sans modification du produit ou du procédé. Il s’agit d’un processus souvent coûteux qui nécessite beaucoup de temps.
Puisque la première étape de la réglementation devrait être publiée seulement au printemps 2027, les entreprises auront le temps de déterminer si des SPFA sont introduits ou non dans leurs produits et procédés ainsi que de commencer à trouver des moyens de les remplacer ou à établir une nouvelle conception, dans la mesure du possible.
Les fabricants, les importateurs, les distributeurs et les commerces de détail devraient entamer des discussions avec leurs fournisseurs afin de déterminer si les produits qu’ils manutentionnent et utilisent contiennent des SPFA ou non. Ce processus progressif laisse le temps aux entreprises d’évaluer leurs chaînes d’approvisionnement afin d’en assurer la conformité à la réglementation lorsqu’elle entrera en vigueur.
De manière utile, le gouvernement canadien a publié un avis en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement dans lequel il exige que les SPFA soient déclarées si certains seuils de fabrication, d’importation ou d’utilisation au Canada sont dépassés. La date de soumission des renseignements, initialement prévue le 29 janvier 2025, a été reportée au 29 juillet 2025.
Pour de nombreuses entreprises, qui ont dû évaluer la présence ou l’absence de SPFA dans leurs produits ou leur chaîne d’approvisionnement pour la toute première fois, la conformité à cette exigence représentait un défi pour les raisons évoquées ci-dessus. Certaines d’entre elles ont confirmé l’absence de telles substances, tandis que d’autres en ont détecté, précisant notamment le type, la quantité et l’utilisation. Ces dernières ont donc déjà commencé (ou même terminé) de recueillir les données nécessaires pour entreprendre les étapes d’évaluation et d’élimination interne énoncées ci-dessus.
Normes relatives aux sites contaminés et à l’eau potable
Aperçu de la réglementation
Le deuxième type de resserrement réglementaire des SPFA au Canada est l’ajout aux normes relatives aux sites contaminés et à l’eau potable. Ces normes, qui se limitent à des composés en particulier, fixent les concentrations autorisées de SPFA dans les sites contaminés au moment de l’assainissement d’un terrain contaminé et dans l’eau potable.
La situation au Canada concernant ces normes se présente ainsi :
Les plus récentes normes relatives à l’eau potable, publiées en août 2024, comprennent 25 composés SPFA. Le Canada a également établi des recommandations pour la qualité de l’environnement relatives au PFOS.
La Colombie-Britannique est le chef de file au pays de la réglementation des SPFA en ce qui concerne le champ d’application et l’échéancier d’intégration de ces substances dans ses normes. Ses lignes directrices sur la qualité des sources d’eau potable portent sur le PFOS et l’APFO.
Le règlement sur les sites contaminés de la province régit ces SPFA et le sulfonate de perfluorobutane. Les lignes directrices sur la conception de réseaux d’eau potable en Colombie-Britannique classent également les SPFA parmi les « contaminants émergents ».
L’Ontario a publié en mai 2021 des valeurs toxicologiques de référence pour le PFOS et l’APFO dans un document intitulé Human Health Toxicity Reference Values (TRVs) Selected for Use at Contaminated Sites in Ontario.
Le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs de la province surveille également les niveaux de SPFA dans l’eau potable et l’environnement. Il a d’ailleurs financé la recherche sur une nouvelle technologie de traitement qui pourrait réduire la contamination des eaux souterraines par ces substances.
Le Québec a pris des mesures pour lutter contre la contamination des biosolides par les SPFA, notamment par l’intermédiaire de son Code de gestion des matières résiduelles fertilisantes, publié en mars 2025. Celui-ci dépasse les normes de l’Agence canadienne d’inspection des aliments en limitant davantage la concentration admissible des SPFA (y compris du PFOS et de l’APFO) dans les biosolides.
L’Alberta a mis en place des normes relatives au PFOS et à l’APFO dans ses lignes directrices pour l’assainissement des sols et des eaux souterraines de niveau 1 et de niveau 2.
Les quatre provinces de l’Atlantique (Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard) ont adopté, pour évaluer et assainir les sites pouvant être contaminés, les normes de qualité environnementale du RBCA Atlantique, qui traitent des SPFA dans le sol et les eaux souterraines. L’Île-du-Prince-Édouard a également lancé un programme complet d’analyse de ces substances dans l’eau potable.
Le Yukon a proposé un nouveau règlement sur les contaminants, qui comprendra des normes relatives aux SPFA. Il remplacera le Règlement sur les lieux pollués et le Règlement sur les déversements.
Lorsque des SPFA réglementées sont présentes dans un site, la partie responsable de l’assainissement d’un terrain contaminé peut être obligée d’entreprendre des travaux plus complexes, plus coûteux et plus longs pour respecter les normes applicables.
Elle peut aussi devoir obtenir des autorisations environnementales, comme des dossiers sur l’état d’un site et d’autres types d’autorisations d’assainissement et de dépôts auprès de l’organisme de réglementation environnementale de la région.
Puisque les SPFA constituent des « polluants éternels », ces projets d’assainissement peuvent représenter un défi : les terrains contaminés sont particulièrement difficiles, voire impossibles à assainir en raison de limites technologiques et de contraintes budgétaires.
Bien que certains projets aient lieu sur des terrains qui possèdent une source d’eau potable répertoriée, ce qui nécessite l’assainissement des eaux souterraines ou de surface aux fins de conformité aux normes relatives à l’eau potable (en plus des normes relatives à l’assainissement du sol et des eaux souterraines), l’incidence de l’ajout des SPFA aux normes relatives à l’eau potable est beaucoup plus grande que celle de ces projets d’assainissement.
Répercussions pour les municipalités et les petites collectivités
Les municipalités sont principalement responsables de la gestion, du traitement et de la distribution de l’eau potable sur leur territoire. Lorsque les SPFA sont ajoutées aux normes provinciales ou municipales, le traitement peut nécessiter du matériel, des protocoles d’analyse et du personnel supplémentaires pour assurer la conformité. De même, les collectivités rurales et les petites collectivités, qui exploitent souvent leurs propres systèmes de traitement de l’eau potable, auraient encore moins de ressources pour l’achat de l’équipement nécessaire à l’élimination des SPFA dans leurs sources d’eau potable.
Notamment, des normes plus restrictives sur les niveaux de ces substances dans l’eau potable pourraient augmenter les coûts pour les municipalités exploitant de tels systèmes, car les méthodes actuelles de traitement de l’eau n’éliminent pas efficacement les SPFA, et les technologies en mesure de le faire sont coûteuses et leur efficacité reste à prouver. Comme ces changements sont principalement mis en œuvre à l’échelle provinciale, les municipalités doivent d’abord établir un plan pour éviter qu’elles accusent un retard dans l’application des exigences relatives aux SPFA et la mise en œuvre des améliorations nécessaires.
Répercussions pour les entreprises
De nombreux processus d’exploitation industrielle comportent le rejet d’eaux usées dans les égouts pluviaux ou sanitaires municipaux, régi par des règlements locaux précisant les contaminants qui peuvent être rejetés dans les réseaux d’égouts et leur concentration. Si une entreprise a l’intention de dépasser le seuil de rejet des eaux usées prévu par règlement, elle doit obtenir les permis nécessaires délivrés par la municipalité ou conclure des ententes avec celle-ci afin que les rejets soient autorisés.
En échange, l’entreprise versera des droits qui financeront les coûts supplémentaires de traitement engagés par la municipalité et effectuera un échantillonnage régulier aux fins de conformité. Selon la nature des activités et la qualité des rejets d’eaux usées, il est courant, dans le cadre des processus d’exploitation industrielle, d’échantillonner et de traiter les eaux usées sur place avant de les rejeter dans les égouts pluviaux ou sanitaires. On veille ainsi au respect des concentrations de contaminants autorisées en vertu d’un règlement, d’un permis ou d’une entente applicable.
Étant donné que l’ajout des SPFA aux normes fédérales et provinciales relatives aux sites contaminés et à l’eau potable gagne en importance, les municipalités devront également mettre à jour leurs règlements et leurs réseaux en vue de s’y conformer. Quant aux entreprises qui rejettent leurs eaux usées dans le réseau municipal ou qui prévoient le faire, elles doivent surveiller les changements apportés aux normes relatives aux égouts pour satisfaire à ces exigences en mettant en œuvre des paramètres d’échantillonnage supplémentaires et en mettant à niveau leurs systèmes de traitement.
En ce qui concerne les sites contaminés, il arrive souvent que les entreprises n’apprennent la nature des contaminants en cause qu’une fois leur projet d’assainissement bien amorcé. Dans la plupart des cas, la présence de SPFA ne devrait pas modifier les plans de réaménagement d’un site.
Cela dit, avec l’ajout de ces substances aux normes provinciales relatives aux sites contaminés, il se peut que les entreprises constatent une augmentation des coûts et des limites associés aux travaux d’assainissement prévus, de la probabilité d’obligations de gestion continue après assainissement et de la complexité d’obtenir des approbations des organismes de réglementation environnementale. Quand les entreprises connaissent en amont les enjeux liés à l’assainissement de sites contaminés par les SPFA, elles peuvent établir un budget tenant compte de l’envergure des travaux et éviter les retards dans les projets.
Points à retenir
Le resserrement de la réglementation des SPFA au Canada oblige les entreprises à effectuer une vérification diligente et à faire preuve d’adaptation, notamment par l’analyse de la présence ou de l’absence de ces substances dans leurs produits et leurs chaînes d’approvisionnement ainsi que par l’exploration de solutions de rechange.
L’interdiction progressive des SPFA dans plusieurs produits et applications ainsi que leur ajout aux normes relatives aux sites contaminés et à l’eau potable obligeront de nombreuses entreprises à apporter des changements opérationnels importants.
En résumé, la réglementation de ces substances, qui vise à protéger la santé publique et l’environnement, nécessitera une planification minutieuse, des investissements et la collaboration de tous les secteurs pour qu’elle soit respectée et pour qu’elle limite les perturbations dans les activités commerciales. Les entreprises qui relèveront ces défis de façon proactive seront plus à même de s’adapter à l’évolution du cadre réglementaire et de conserver leur avantage concurrentiel.
À propos des auteurs
Talia Gordner est associée chez McMillan.
Ralph Cuervo-Lorens est associé chez McMillan dont la pratique est axée sur le droit de l’environnement, la conformité réglementaire et le règlement des différends.
Claire Lingley est avocate chez McMillan.
Sharon Singh est cocheffe du groupe de pratique Droit des Autochtones et Environnement de McMillan.
Alison McGarry est avocate chez McMillan.
Matthew Chasmar a été étudiant d’été chez McMillan.