La prison plutôt que l’absolution pour un ex-courtier immobilier

La décision de première instance était entachée d’erreurs de principes, selon le plus haut tribunal du Québec…

La Cour d’appel du Québec vient d’infirmer une décision de première instance qui avait accordé une absolution inconditionnelle à Daniel Nolet. L’ex-courtier immobilier avait plaidé coupable d'avoir causé des lésions corporelles par négligence criminelle et d'avoir braqué une arme à feu sur son ex-conjointe.
Les juges Guy Gagnon, Jocelyn F. Rancourt et Frédéric Bachand ont accueilli l'appel du ministère public et substitué à l'absolution une peine d'emprisonnement avec sursis de 12 mois, assortie d'une probation surveillée de deux ans.
L’appelant, le DPCP, était représenté par Me Laurie Gagné, alors que l’intimé était défendu par Me Charles Levasseur, du cabinet Levasseur & Associés Avocats.

L'affaire remonte à la nuit du 18 au 19 juin 2021. Daniel Nolet, consommateur régulier de cocaïne et d'alcool, était dans un état de grande nervosité et craignait pour sa sécurité, croyant voir des personnes sur son terrain. Il a appelé son ex-conjointe pour qu'elle le rejoigne.
Rendue sur place, celle-ci a trouvé l'intimé armé d'un fusil de calibre 12 chargé et prêt à tirer. Alors qu'elle tentait de le rejoindre dans une pièce, l'intimé a tiré un coup de feu. Le projectile a traversé la porte et la femme a été gravement blessée au visage par des éclats de bois, subissant d'importantes séquelles : insensibilité faciale partielle, perte de dents, lèvre déformée, cicatrices et répercussions émotives majeures (hypervigilance, crainte, incapacité à travailler).
Le jugement de première instance

Le juge de la Cour du Québec Christian Boulet avait prononcé une absolution inconditionnelle après avoir notamment tenu compte du faible risque de récidive évalué par le rapport présentenciel et du préjudice professionnel appréhendé par l'intimé, soit l'empêcher de redevenir courtier immobilier. Il y avait vu un « intérêt véritable » justifiant l'absolution.
Le juge de première instance avait aussi qualifié l'intoxication et l'état mental perturbé de l'intimé de facteurs atténuants, suggérant une « mens rea diminuée » et une « responsabilité morale diminuée ».
En appel, le DPCP a fait valoir que la décision du juge Boulet était entachée d’erreurs de principe et que l'absolution inconditionnelle était manifestement non indiquée. En première instance, il réclamait une peine d'emprisonnement de 20 mois.
Les motifs de la décision de la Cour d’appel
La Cour d'appel a accueilli l'appel, identifiant plusieurs erreurs fondamentales dans le jugement de première instance:
1. Analyse incomplète du rapport présentenciel
- Le juge a mal interprété le rapport, ne retenant que le faible risque de récidive, mais ignorant les réserves de l'agente de probation concernant la faible capacité d'introspection de l'intimé et son refus de consulter pour ses habitudes de consommation d'alcool et de drogues.
- L'absolution inconditionnelle est jugée incompatible avec les recommandations de suivi psychosocial qui avaient pourtant contribué à établir le faible risque de récidive. En l'absence d'ordonnance de probation, ces recommandations deviennent lettre morte, nuisant à la réadaptation de l'intimé.
2. Évaluation erronée de l'intoxication comme facteur atténuant
- Le juge a commis une erreur en concluant à une responsabilité et une mens rea diminuées en raison de l'intoxication de l'intimé. Celui-ci a plaidé coupable, acceptant sa responsabilité criminelle entière (insouciance déréglée et acte volontaire de braquer l'arme).
- L'intimé n'invoque pas son intoxication, mais affirme toujours avoir agi par instinct de protection, niant tout lien entre sa consommation et les délits.
- La Cour d’appel rappelle qu'en matière de crimes violents, la consommation d'alcool et de substances est généralement un facteur aggravant ou, au mieux, neutre, sauf en cas de circonstances exceptionnelles non prouvées ici.
3. Erreurs dans l'évaluation des conditions de l'absolution
- Intérêt véritable de l'intimé : Le préjudice professionnel (perte de la capacité de redevenir courtier immobilier) n'a pas été démontré de façon élémentaire, mais est resté une simple possibilité théorique. De plus, la Cour note que l'intimé aurait l'obligation de divulguer sa reconnaissance de culpabilité et sa faillite professionnelle à l'organisme de régulation, même en cas d'absolution.
- Intérêt public : L'absolution inconditionnelle ne répond manifestement pas aux objectifs de dissuasion générale requis par un crime aussi grave. Elle est de nature à soulever un doute sur la crédibilité du système judiciaire, notamment en l'absence de toute mesure de contrôle pour assurer la réhabilitation de l'intimé et la protection de la collectivité.
Selon la Cour d’appel, l'absolution inconditionnelle s'écarte de façon marquée du principe de proportionnalité et des fourchettes de peines habituelles pour la négligence criminelle causant des lésions corporelles (généralement 6 à 24 mois d'emprisonnement).
- Gravité : L'infraction est d'une gravité objective importante, exacerbée par les séquelles graves et permanentes subies par la victime (insensibilité faciale, perte de dents, cicatrices, séquelles émotives importantes).
- Antécédents : L'intimé ne satisfait pas aux conditions des peines les plus clémentes (souvent réservées aux jeunes contrevenants primaires, repentants et empathiques). Il ne propose aucune démarche de réhabilitation (refus de thérapie) ni de dédommagement.
- Absence de précédent : Le tribunal n'a recensé aucune décision ayant prononcé une absolution inconditionnelle pour ce type de crime, ce qui est un indice fort de l'inadéquation de la peine.
La Cour d'appel a donc appliqué de nouveau les principes de la détermination de la peine. Elle a retenu les facteurs aggravants (séquelles graves, gestes répétés de négligence avant le coup de feu, consommation d'alcool et de drogues) et atténuants (geste isolé, plaidoyer de culpabilité, collaboration).
Pour les juges Gagnon, Rancourt et Bachand, la peine appropriée pour atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et spécifique tout en encadrant la réhabilitation de l'intimé est un emprisonnement avec sursis de 12 mois, assorti d’une probation surveillée de 24 mois.