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Vices cachés et coûteux

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Nathan Hassan Omar

2025-09-03 11:15:27

Les acheteurs d’un immeuble affecté de vices cachés peuvent-ils le revendre, puis réclamer à leur vendeur la différence des deux transactions?

Nathan Hassan Omar - source : RSS


Voilà l’une des questions sur lesquelles s’est penchée la Cour supérieure dans l’affaire Ouellette c. Blais, 2024 QCCS 1025, confirmée en appel le 26 mai 2025.

Les faits :

Charmés par une grande résidence ayant fait l’objet de multiples extensions artisanales au fil des ans, les demandeurs s’en portent acquéreurs pour la somme de 740 000 $. L’enthousiasme laisse rapidement place au désenchantement lorsque plusieurs fuites d’eau se manifestent dans les premiers mois suivant l’achat.

La récurrence et l’intensité des problématiques sont telles qu’ils revendent l’immeuble un an plus tard sans garantie légale pour la moitié de son prix d’acquisition. Ils intentent ensuite un recours en vice caché contre leur vendeur, lui réclamant la différence entre les deux ventes ainsi que des dommages-intérêts.

Le défendeur rétorque ne jamais avoir subi d’infiltration d’eau et ajoute que celles en litige découlent à la fois d’un entretien déficient des demandeurs et de conditions apparentes et prévisibles. Avant la vente, les demandeurs avaient obtenu une expertise préachat identifiant plusieurs travaux nécessaires à moyen terme, mais concluant globalement que l’immeuble était dans une condition acceptable. Les acheteurs avaient-ils en main des signes avant-coureurs rendant les vices apparents?

La décision en première instance :

La Cour rappelle d’abord les principes bien établis des recours en vice caché. L’acheteur a le fardeau d’établir l’existence d’un vice caché, grave, existant au moment de la vente et inconnu de lui. Le vendeur peut s’exonérer en établissant que le vice était apparent. Si l’acheteur établit que le vendeur connaissait le vice, des dommages-intérêts peuvent lui être octroyés en sus d’une diminution du prix de la vente ou de sa résolution.

Par ailleurs, le vendeur ne peut pas exclure sa responsabilité s’il n’a pas révélé les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer. Dans un premier temps, la Cour analyse le caractère antérieur, grave et caché des vices. Parmi les nombreux éléments vétustes identifiés dans le rapport préachat, certains ne laissaient pas présager qu’ils engendreraient des infiltrations d’eau.

Dans ce contexte, la Cour met en opposition les notions de vice apparent et de conséquence prévisible. Tandis que l’élément vétuste dénoncé est évidemment apparent, les dommages qu’il cause à d’autres éléments de l’immeuble peuvent être cachés dans la mesure où ils ne sont pas prévisibles.

À titre d’exemple, la valeur de remplacement d’un puits de lumière qualifié de vétuste dans le rapport préachat ne correspond pas à un vice caché, mais les infiltrations qu’il cause et que le rapport préachat ne permettait pas d’anticiper sont qualifiées de vices cachés. Sur une autre note, le défendeur prétendait que des indices non abordés dans le rapport préachat rendaient certaines infiltrations apparentes.

La Cour rejette cet argument en soulignant qu’on ne peut exiger des demandeurs d’être plus informés que les experts qu’ils ont mandatés, surtout dans un contexte où le défendeur affirmait n’avoir connu aucun problème d’infiltration d’eau. La Cour aborde ensuite la question de la connaissance des vices par le défendeur et conclut qu’il les ignorait tous. Il a témoigné n’avoir constaté qu’un seul épisode d’infiltration au cours des cinq années durant lesquelles il a habité l’immeuble et y avoir remédié. Bien que la preuve établisse la survenance d’autres infiltrations durant cette période, rien ne prouve qu’elles étaient visibles.

Le défendeur effectuait un déneigement régulier et soutenu du toit, ce qui a potentiellement empêché la manifestation des problématiques que les demandeurs ont par la suite rencontrées. De plus, certaines infiltrations et réparations semblaient antérieures à l’achat de l’immeuble par le défendeur. Ceci tend à confirmer tant l’existence de vices cachés au moment de l’achat des demandeurs que l’ignorance de ceux-ci par le défendeur.

La Cour rejette l’argument des demandeurs selon lequel le nombre d’infiltrations, leur manifestation rapide après l’achat et l’oubli par le défendeur de dénoncer l’unique épisode d’infiltration qu’il avait constaté suffisent pour établir une connaissance des vices par le défendeur. Enfin, la Cour fixe l’indemnité due aux demandeurs.

Se fondant sur l’affaire LG Construction TR inc. c. Gélinas, 2021 QCCS 5863, les demandeurs avançaient que leur perte correspondait à l’écart de valeur entre leur achat et leur vente et réclamaient divers montants à titre de dommages-intérêts. En matière de vices cachés, les deux recours possibles sont l’action en diminution du prix de vente et l’action en résolution de la vente. En vendant l’immeuble, les demandeurs se sont privés de la possibilité d’intenter un recours en résolution.

La Cour doit par conséquent se livrer à l’exercice difficile d’établir le prix qu’auraient payé les demandeurs s’ils avaient eu connaissance des vices. Dans ce contexte, la Cour souligne que le prix de la vente subséquente de l’immeuble par les demandeurs ne constitue pas en soi une preuve du prix qu’ils auraient payé au moment de leur achat s’ils avaient connu les vices. La Cour tient compte de plusieurs facteurs pour établir ce montant à 225 000 $ (plus de 30% de la valeur d’achat), soit le coût des réparations, la différence entre les prix d’achat et de vente de l’immeuble, la valeur marchande de l’immeuble déterminée par expertise et la valeur du terrain à lui seul (laquelle était élevée et non affectée par les vices de l’immeuble).

Les divers montants réclamés par les demandeurs en sus de la valeur des vices incluaient des améliorations à l’immeuble, des taxes, des primes d’assurance, des permis de construction, ainsi que des troubles et inconvénients. Compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle le défendeur ignorait les vices, ces dommages-intérêts sont rejetés.

De l’avis des demandeurs, l’affaire LG Construction permettait l’octroi de dommages-intérêts malgré l’absence d’une telle connaissance. Or, la Cour distingue cette décision en ce qu’elle se fonde sur le régime de l’art. 2118 C.c.Q. (vices en matière de construction) plutôt que sur celui de l’art. 1726 C.c.Q. (vices cachés en matière de vente). Bien que les décisions citées dans LG Construction soient basées sur le régime des vices cachés, elles impliquent une connaissance des vices par les vendeurs. La Cour ajoute qu’à tout événement, la réclamation des améliorations impliquerait une double indemnisation, leur valeur étant incluse dans le prix de vente de l’immeuble par les demandeurs.

La décision en appel :

Le principal argument du défendeur était à l’effet que les problématiques connues des demandeurs au moment de leur achat, la vétusté de l’immeuble et sa configuration auraient dû les inciter à pousser leur inspection. Or, bien que la preuve révèle des éléments vétustes connus des demandeurs, il n’était pas raisonnablement possible d’anticiper les vices qui en ont découlé, de sorte qu’ils sont demeurés inconnus. La Cour confirme également sommairement l’absence d’erreur de la juge d’instance sur la manière d’établir l’indemnité octroyée aux demandeurs.

Les points à retenir :

  • Il y a une distinction entre un vice apparent et un dommage causé par celui-ci, le second pouvant constituer un vice caché dans la mesure où il n’est pas raisonnablement prévisible;
  • La revente du bien par un acheteur fait obstacle à un recours en résolution de sa part;
  • Le prix d’une revente subséquente d’un bien ne constitue pas en soi une preuve du prix que les acheteurs initiaux auraient accepté de payer s’ils avaient eu connaissance du vice qui l’affecte;
  • De manière générale, on ne peut exiger d’acheteurs qu’ils soient plus informés que les experts chargés du rapport préachat;
  • Dans un contexte de vente n’impliquant pas un contexte de construction, la jurisprudence en matière de vices de construction ne peut être utilisée pour contourner la nécessité de prouver la connaissance du vendeur des vices cachés avant de pouvoir obtenir des dommages-intérêts en sus d’une diminution du prix de vente ou de sa résolution.

À propos de l’auteur

Nathan Hassan Omar est avocat au sein du groupe droit des assurances chez RSS. Sa pratique porte sur l’interprétation de polices d’assurance dans des dossiers complexes.

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