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La requête de la discorde

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Jean-francois Parent

2022-04-06 15:00:00

Les écrits restent, et peuvent valoir une sanction à l’avocat qui a couché sur papier des paroles musclées…
Me Philippe Vallières-Roland. Source: Archives
Me Philippe Vallières-Roland. Source: Archives
Il est acquis que certains procès de droit criminel donnent lieu à des joutes oratoires parfois assez vigoureuses.

C’est le prologue inusité d’une récente décision rendue par le Conseil de discipline du Barreau du Québec, qui s’est penché récemment sur le contenu d’un échange de missives entre un avocat de la défense et un procureur de la couronne.

La décision rendue le 17 mars condamne le criminaliste Me Franco Schiro pour les propos qu’il a tenus dans une requête en inhabilité visant son vis-à-vis de la poursuite, Me Philippe Vallières-Roland.

Une requête « vigoureuse »

Tout commence en 2015, alors qu’un client de Me Franco Schiro, accusé de plusieurs chefs incluant la possession d’armes et le trafic de drogue, est en attente de son enquête préliminaire, prévue pour janvier 2016. La Cour du Québec ordonne son maintien en détention en juin 2015.

Le criminaliste de l’Étude légale Franco Schiro échange avec son adversaire du Directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Vallières-Roland, tout au long des procédures, et les escalades sont fréquentes.

Et elles sont telles que Me Schiro dépose une requête en inhabilité, le 10 mars 2016, avec des mots que Me Philippe Vallières-Roland estime être une attaque à son intégrité professionnelle. L’avocat de la défense estime pour l’essentiel que la poursuite ne s’est déchargée de son fardeau de colliger une preuve probante contre son client, dont le nom reste confidentiel.

La requête de Me Schiro contient ainsi plusieurs passages acerbes, alléguant que le procureur de la couronne « n'a jamais retiré ni rectifié les faussetés affirmées » dans sa communication de la preuve, qu’il aurait tenté d’induire la défense en erreur, et que le procureur « manque à son devoir (…) d'agir avec impartialité, équanimité », et qu’il « ne doit pas faire et/ou tenter de faire une preuve qu'il sait et/ou aurait dû savoir est faux (sic) ».

Le DPCP et son représentant chercheraient aussi à obtenir un « trophée » avec la condamnation du client qu’ils veulent faire condamner « à tout prix », allègue Me Schiro dans sa requête en inhabilité.

C’est le contenu de cette requête qui est visé par la plainte disciplinaire.

Me Giuseppe Battista. Source: Archives
Me Giuseppe Battista. Source: Archives

En audience

Devant le Conseil de discipline, Me Vallières-Roland déclare que « cette requête est la goutte qui a fait déborder le vase ». Il estime qu’on le traite de menteur et qu’on veut l’intimider, d’où la plainte disciplinaire.

La requête de Me Schiro est finalement retirée,le 16 mars 2016, mais les débats se poursuivent devant la Cour supérieure, qui doit trancher une demande de la défense pour faire casser le premier jugement ordonnant le procès du client de Me Schiro, dont l’identité est maintenue confidentielle.

Les avocats des deux parties croisent le fer tout au long du printemps 2016 « dans une atmosphère extrêmement lourde et parsemée d’attaques personnelles », peut-on lire dans sa décision.

Le client de Me Schiro, un individu dont le dossier est un de « grande criminalité », aurait même menacé la poursuite, peut-on lire dans la décision du Conseil.

Me Schiro rétorque que la divulgation de la preuve aurait dû mener à l’abandon des accusations, et que la poursuite a fait des erreurs en présentant les éléments du constat d’infraction lors des procédures, et ce, sans les corriger.

C’est Me Giuseppe Battista qui représentait son collège Me Schiro devant le conseil de discipline. Il affrontait Me Nicolas Bellemare, le syndic-adjoint.

Selon Me Schiro, il est bien connu qu’une façon d’obtenir une déclaration de culpabilité est de prolonger la détention par le biais de délais dans les procédures. Bref, l’attitude de la défense, même vigoureuse, était justifiée, explique-t-il au Conseil.

Joint par Droit-Inc, Me Schiro insiste: « Mon devoir est de défendre non pas mes droits, mais ceux de mon client, garantis par les chartes. J’ai agi de bonne foi, avec professionnalisme, pour offrir une défense pleine et entière. Je suis surpris qu’un avocat de la défense qui fait son travail se retrouve dans cette situation. »

Me Nicolas Bellemare. Source: Archives
Me Nicolas Bellemare. Source: Archives
L’arrêt Groia

Devant le Conseil, Me Schiro invoque l’arrêt Groia, rendu par la Cour suprême, pour exhorter le Conseil à conclure « qu’il n’est pas allé trop loin ».

La Cour suprême avait jugé en 2018 que l’avocat a l’obligation de représenter son client avec vigueur et de présenter une défense pleine et entière. La civilité doit donc s’évaluer dans le contexte des obligations professionnelles, selon des balises « axées sur le contexte et (…) suffisamment souples ».

Franco Schiro soutient pour l’essentiel que sa requête en inhabilité, qui l’a conduite devant les instances disciplinaires, « est factuellement fondée et que ses arguments sont légitimes puisqu’il a invoqué des manquements aux devoirs de la partie poursuivante. Il a donné suite à un mandat de son client en respect de son devoir de dévotion. (…) Ses allégations ne sont ni des insultes personnelles ni calomnieuses ».
« Il déclare que Me Vallières-Roland n’est pas intouchable », relate le Conseil de discipline.

Suivant les balises édictées par l’arrêt Groia, « le Conseil doit évaluer s’ils ont été écrits de bonne foi et sont raisonnablement fondés ».

Le hic, c’est que certains points de la défense de Me Schiro militent contre lui : certaines décisions de la poursuite auraient dû par exemple être contestées devant les instances, plutôt que d’être ramenées des mois plus tard dans une requête en inhabilité, estime le Conseil.

Ce dernier estime donc, dans le contexte, que Me Schiro « conteste l’intégrité de son confrère sans fondement factuel et sans croyance de bonne foi basée sur un motif raisonnable ».

Des opinions, pas des attaques

Autre problème, pour le Conseil : si l’allégation que la poursuite soutient une théorie « non fondée » est une opinion plutôt qu’une attaque, le fait de soutenir que la poursuite « s’acharne sans cesse à vouloir faire détenir et condamner le requérant », sont fautifs.

C’est la cour qui ordonne la détention, on n’a pas à s’en prendre à la poursuite « sans fondement factuel et sans croyance de bonne foi basée sur un motif raisonnable ».
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Quant aux allégations de preuve qui ne soutiennent pas l’accusation, le Conseil remarque que les éléments invoqués par la poursuite dans un courriel et que la défense allègue être sans fondements n’ont pas été déposés en preuve.

Encore ici, le Conseil estime que la bonne foi ne peut être invoquée par Me Schiro.

Et c’est ainsi que l’intimé est coupable « à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 4 du Code de déontologie des avocats et de l’article 59.2 du Code des professions », conclut le Conseil, qui ordonne de convoquer tout ce beau monde pour une audition sur la sanction, dont la date n’était pas inscrite au rôle du Conseil au moment d’écrire ces lignes.

À Droit-Inc., Me Schiro soutient pour sa part que la poursuite a fait des allégations que la preuve ne supportait pas. « Je n’ai jamais attaqué mon collègue. Même que je suis intervenu en sa faveur auprès de mon client quand Me Vallières-Roland a dit s’être senti menacé », conclut-il.

Il dit continuer réfléchir à l’éventualité de faire appel de la décision disciplinaire.
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