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L’assuré peut-il prétendre au beurre et être indemnisé pour l’argent du beurre?

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Nathan Hassan Omar

2023-10-30 11:15:00

Focus sur une récente décision rendue par la Cour supérieure en matière de droit des assurances.
Nathan Hassan Omar, l’auteur de cet article. Source: RSS
Nathan Hassan Omar, l’auteur de cet article. Source: RSS
La décision Sainte-Rose-du-Nord rendue par la Cour supérieure présente un intéressant cas de figure survenu dans le cadre d’une demande de type Wellington.

Les faits:

La Municipalité de Sainte-Rose-du-Nord (l’ « Assurée ») bénéficiait de deux polices de responsabilité civile émises par le Fonds d’assurance des municipalités du Québec (l’ « Assureur »), l’une de type assurance de responsabilité générale et l’autre de type erreurs et omissions.

L’intervention de l’Assureur était demandée dans le contexte d’une poursuite intentée contre l’Assurée par Aurel Harvey et Fils Inc. (la « Demanderesse »). La Demanderesse alléguait avoir conclu avec la MRC le Fjord-du-Saguenay (la « MRC ») un bail non exclusif d’exploitation d’une carrière.

La Demanderesse prétendait avoir concassé certains matériaux et les avoir entreposés à un endroit spécifique de la carrière pour son propre bénéfice pour ensuite constater la disparition d’une quantité de 3 878,28 tonnes métriques de sa pile. Selon la Demanderesse, le retrait des matériaux aurait été effectué en partie par l’Assurée sur autorisation de la MRC à « piger dans ses réserves ».

La Demanderesse réclamait de l’Assurée et de la MRC le coût de remplacement des matériaux s’élevant à 152 527,90 $ incluant les taxes et une somme de 25 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

L’Assureur niait son obligation de défendre l’Assurée en invoquant essentiellement (i) l’absence d’événement présentant un caractère accidentel, involontaire ou aléatoire et (ii) que la responsabilité civile de l’Assurée ne saurait être couverte pour des biens qu’elle s’est appropriés et dont elle a conservé la valeur.

L’Assurée répondait que la qualification d’« appropriation illicite » correspondait à une qualification juridique des allégations de pertes de matériaux et ajoutait que l’autorisation de la MRC empêchait l’appropriation d’être illicite ou intentionnelle. Insistant sur l’existence d’une simple possibilité de couverture, l’Assurée appelait la Cour à faire preuve de prudence au présent stade.

La décision:

La Cour conclut d’abord que la prétendue autorisation de la MRC octroyée à l’Assurée emporte une possibilité que l’appropriation non autorisée l’ait été par inadvertance, sans intention malicieuse. Elle conclut donc au caractère accidentel ou involontaire du geste générateur de responsabilité, du moins à ce stade.

La Cour souligne ensuite que le second argument de l’Assureur est séduisant, mais pas concluant au présent stade. La Cour convient ne pas pouvoir permettre à un assuré de conserver la valeur de biens qu’il a acquis sans contrepartie.

Or, se penchant sur les pièces déposées au soutien de la demande introductive d’instance, la Cour observe que des échanges impliquant la Demanderesse font référence à plusieurs quantités différentes de tonnes métriques ayant apparemment disparu et précise ignorer la proportion des matériaux ayant été acquis exclusivement au bénéfice de l’Assurée, les modalités de ces acquisitions par l’Assurée (avec ou sans contrepartie) et les modalités du bail d’exploitation.

Essentiellement, la Cour conclut qu’il est possible que l’audition sur le fond révèle une différence entre la valeur des dommages réclamés par la Demanderesse et la valeur du bénéfice ayant été retiré par l’appropriation des matériaux par l’Assurée.

Bien que cette explication ne se retrouve pas explicitement dans la décision, il est possible de déduire des motifs y étant avancés qu’advenant que l’Assurée ait versé un montant à la MRC pour l’appropriation des matériaux, elle n’aura pas bénéficié de la pleine valeur réclamée par la Demanderesse.

Ce qui est réclamé par cette dernière n’est pas la restitution des matériaux, mais des dommages-intérêts correspondant à leur valeur de remplacement.

La Cour renvoie cette question au fond et conclut à l’existence d’une possibilité de couverture à ce stade. Elle accueille donc la demande de type Wellington.

À propos de l’auteur

Nathan Hassan Omar est avocat au sein du groupe droit des assurances du cabinet Robinson Sheppard Shapiro. Sa pratique porte sur l’interprétation de polices d’assurance dans des dossiers complexes.

Analysant régulièrement des polices d’assurance de biens, de responsabilité commerciale ainsi que d’administrateurs et dirigeants, il a développé une expertise particulière en la matière.

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1 commentaire
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 mois
    Suivi
    Permission d'appel refusée.

    Fonds d'assurance des municipalités du Québec c. Municipalité de Sainte-Rose-du-Nord, 2023 QCCA 1255. 3 octobre 2023.

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