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La Loi 96 : casse-tête à venir pour les détenteurs de marques de commerce non enregistrées au Québec

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Pascal Lepage Et Amélie Quoibion

2023-07-19 11:15:00

La Charte de la langue française a vu le jour en août 1977 à l’Assemblée nationale…
Pascal Lepage et Amélie Quoibion, les auteurs de cet article. Source: Stein Monast
Pascal Lepage et Amélie Quoibion, les auteurs de cet article. Source: Stein Monast
N’ayant pas complètement atteint les objectifs attendus en 1997 selon l’avis du gouvernement Legault, celui-ci a fait adopter, en 2022, le projet de Loi 96 (la « Loi 96 »). Son but : freiner le déclin de la langue française et ramener une relance linguistique au Québec.

La nette prédominance

En vertu de la Loi 96, à compter du 1er juin 2025, il sera obligatoire que le français apparaisse de manière nettement prédominante dans l’affichage public extérieur. Si cet affichage est celui d’une marque de commerce dans une autre langue que le français et est visible depuis l’extérieur d’un local, alors la règle de la nette prédominance devra être respectée.

L’Office québécois de la langue française (« OQLF ») précise qu’un affichage nettement prédominant en français est celui où l’impact visuel du texte rédigé en français est beaucoup plus important que celui rédigé dans une ou plusieurs autres langues.

Concrètement, lorsque l’affichage du texte rédigé en français et dans une ou plusieurs autres langues tient sur un même support, l’espace accordé au texte français, de même que les caractères utilisés, doivent être au moins deux fois plus grands que l’espace accordé et les caractères utilisés pour le texte dans une autre langue que le français.

Si le texte tient plutôt sur plusieurs supports distincts de dimensions identiques, ceux contenant le texte en français doivent être, au minimum, deux fois plus nombreux, et les caractères composant le texte en français au moins aussi grands que les caractères composant le texte en une autre langue.

L’OQLF précise que par « affichage public », on entend tout message qui est affiché publiquement, à savoir :
  • Une enseigne sur la façade extérieure d’un commerce;

  • Une inscription peinte dans la vitrine d’un commerce;

  • Une inscription sur un présentoir ou

  • Une inscription commerciale ou publicitaire sur un véhicule.

  • L’affichage des marques de commerce

    Actuellement, le Règlement sur la langue du commerce et des affaires prévoit une exception concernant l’affichage des marques de commerce reconnues rédigées dans une autre langue que le français qu’elles soient déposées ou non à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC »), au sens de la Loi sur les marques de commerce, pour autant qu’aucune version française de telle marque ne figure au registre de l’OPIC (déposée ou en voie de l’être).

    Cependant, les modifications apportées par la Loi 96 forceront les titulaires de marques de commerce à les enregistrer afin de pouvoir continuer à bénéficier de cette exception. Ces marques non enregistrées ne pourront plus, à compter du 1er juin 2025, bénéficier de cette exemption et continuer d’être utilisées publiquement sans être accompagnées d’autres éléments assurant une présence nettement prédominante du français.

    Aussi, aucune version en français ne devra figurer au registre des marques de commerce pour que son titulaire puisse continuer à bénéficier de l’exception.

    Le niveau de présence de français dépendra donc de la perception visuelle de la marque de commerce visée :
  • Si l’affichage d’une marque de commerce déposée et rédigée dans une autre langue que le français (et dont aucune version française ne figure au registre de l’OPIC) est visible de l’extérieur d’un local, alors le français devra figurer de façon nettement prédominante;

  • Si cette même marque de commerce n’est pas visible de l’extérieur d’un local, alors le français ne devra qu’être suffisamment présent sur les lieux.

  • Dans ce dernier cas, certaines stratégies peuvent être adoptées par les commerçants afin de respecter les nouvelles normes législatives :
  • Utilisation d’un générique;

  • Inscription d’un descriptif des produits ou des services commercialisés par l’entreprise;

  • Inscription d’un slogan;

  • Ajout de toute autre mention en français (ex. affichage d’information portant sur les produits et les services destinés aux consommateurs ou aux personnes qui fréquentent les lieux).

Sanctions possibles

En cas de contravention aux dispositions mentionnées plus haut, des procédures administratives, judiciaires et/ou pénales pourront être entreprises par l’OQLF contre l’entreprise ou la personne contrevenante.

Par exemple, l’OQLF pourra, par le biais d’une injonction, ordonner que soit retirés ou détruits les affichages publics contrevenant aux dispositions pertinentes de la Charte.

Aussi, en cas de non-respect d’une ordonnance rendue par l’OQLF, constituant une infraction, ce dernier pourra renvoyer le dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui pourra alors intenter une poursuite pénale devant la Cour du Québec.

Les pénalités varient de 3 000 à 30 000 $ pour une personne morale. Après une première récidive, ces montants minimal et maximal sont doublés et même triplés dans le cas de toute récidive additionnelle.

En résumé, le casse-tête des mois à venir est le suivant : le délai d’enregistrement d’une marque de commerce auprès de l’OPIC est, actuellement, de près de quatre ans.

Ainsi, afin de pouvoir continuer à bénéficier de l’exception en regard de l’utilisation d’une marque de commerce dans une autre langue que le français à compter du 1er juin 2025, le cheminement de la demande d’enregistrement de cette marque de commerce se doit d’être déjà entamé, et ce, depuis quelques mois au minimum.

Par conséquent, il y a fort à parier qu’il est déjà trop tard pour les titulaires de marques de commerce non enregistrées et rédigées dans une autre langue que le français qui se retrouveront dans l’obligation, au 1er juin 2025, de franciser leur marque.

À propos des auteurs

Pascal Lepage travaille principalement dans les domaines du droit transactionnel et de la propriété intellectuelle chez Stein Monast.

Il pratique le droit commercial et corporatif, notamment dans le cadre du démarrage d’entreprises, de la rédaction et la négociation de conventions d’acquisition et de vente d’entreprises, la réorganisation corporative et fiscale d’entreprises et d’organismes à but non lucratif, ainsi que le financement.

Amélie Quoibion exerce principalement dans le domaine de la propriété intellectuelle au sein du cabinet Stein Monast.

Elle assure la gestion des marques de commerce des clients du cabinet, conseille et accompagne ceux-ci dans l’enregistrement, la valorisation et la protection de leurs marques de commerce au Canada et à l’étranger, rédige et négocie divers types d’ententes liées à la protection de la propriété intellectuelle, notamment des accords de licence ou de droits d’usage.
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