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Un avocat sévèrement blâmé par un juge

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-10-17 15:00:00

Un avocat obtient gain de cause sur une partie de ses honoraires professionnels, mais se fait sévèrement blâmer par le juge…


Louis Riverin - source : archives


Le litige tranché par le juge de la Cour du Québec Louis Riverin opposait Me Jean-Maurice Bellaiche à son ancienne cliente, Géo Tours Inc., et à ses administrateurs, Véronique Megallon Fettaya et Claude Chalom Fettaya. Ce dernier était un grand ami de Me Bellaiche, qui se représentait lui-même.


Jean-Maurice Bellaiche - source : LinkedIn

Géo Tours ainsi que M. et Mme Fettaya étaient pour leur part représentés par Me Alexander Paradissis, du cabinet Dupuis Paquin, avocats et conseillers d’affaires.

Un différend sur fond d’honoraires et d'amitié brisée

L'affaire prend sa source dans un mandat confié à Me Bellaiche par Géo Tours Inc. en 2018. L'entreprise de tourisme cherchait à récupérer quelque 487 000 $ détournés par une ex-employée, France Villeneuve.

Le juge Riverin résume ainsi la complexité de ce mandat: « Alors que Me Bellaiche croit avoir un dossier en béton, expertise juricomptable à l’appui, et qu’il anticipe obtenir gain de cause aisément, sans véritable moyen de défense, ce fut tout le contraire qui se présenta à lui. Le protocole de l’instancereçu de l’avocat de Mme Villeneuve annonce une pléthore de moyens préliminaires, d’incidents et de manques de production de documents. Au lieu et place d’une balade dans le parc, c’est une guerre de tranchées qui s’annonce. »

Alexander Paradissis - source : Dupuis Paquin

Initialement établi sur une base horaire, le mandat a été modifié plusieurs fois, se terminant par un taux horaire de 250 $ avec un budget maximal de 45 000 $.

Les difficultés inattendues rencontrées dans le dossier contre l'ex-employée ainsi que les tensions croissantes sur le paiement des factures durant la pandémie de COVID-19, qui a durement frappé Géo Tours, ont mené à une rupture. Me Bellaiche a finalement cessé d’occuper en mai 2021.

Les positions des parties

Me Bellaiche réclamait 46 225,39 $ pour ses services, ainsi que 18 000,00 $ en dommages moraux pour le stress, l'humiliation et la perte de qualité de vie causés par les « manœuvres » des défendeurs et les difficultés de paiement. Il a également tenté de tenir M. et Mme Fettaya personnellement responsables du paiement, en invoquant leur implication personnelle et la théorie de l’enrichissement injustifié.

Géo Tours contestait le montant, jugeant les honoraires « exagérés et injustifiés ». M. et Mme Fettaya niaient toute responsabilité personnelle, les services ayant été rendus à la société. Ils ont de plus déposé une demande en abus de procédure, arguant que les allégations de Me Bellaiche étaient injurieuses et sans pertinence, exigeant des dommages et intérêts punitifs et le remboursement de leurs frais juridiques.

La décision du tribunal

La Cour du Québec a reconnu le droit de Me Bellaiche à être rémunéré pour son travail, mais a appliqué des corrections à sa facture. Le juge a en effet relevé plusieurs « doublons » de temps et a surtout reproché à l'avocat d'avoir laissé expirer le délai d'inscription du dossier pour le procès.

« Puisqu’il a librement choisi de ne pas le faire [inscrire le dossier], tout le temps consacré pour être relevé du défaut d’inscrire dans le délai doit être supporté par lui-même », a tranché le juge Riverin.

En conséquence, le tribunal a retranché 6,83 heures pour les doublons et 12,75 heures pour le temps inutilement passé à corriger son défaut. La réclamation initiale a été réduite, et Géo Tours a été condamnée à payer 39 568,84 $ à Me Bellaiche, soit 6 656,55 $ de moins que ce que l’avocat réclamait pour ses services.

Rejet des dommages moraux

La demande de dommages moraux de Me Bellaiche (18 000 $) a été totalement rejetée. Le juge a noté que le retard de paiement était compréhensible en pleine pandémie de COVID-19, une période où l'industrie du tourisme était au plus bas. Surtout, la preuve d’« agissements fautifs et abusifs » des défendeurs n’a pas été établie, selon lui.

Le juge a par ailleurs donné raison à M. et Mme Fettaya : ils ne sont pas personnellement responsables du paiement des honoraires car la solidarité n’était pas stipulée et la compagnie Géo Tours est une entité juridique distincte (art. 309 C.c.Q.).

« À la limite de l’affabulation »

La démarche judiciaire adoptée par Me Bellaiche a été sévèrement critiquée par le juge Riverin, qui a accueilli la demande d'abus de procédure soulevée par les défendeurs, dénonçant une utilisation disproportionnée des ressources de la Cour.

Le juge a notamment ciblé :

  • Le manque de fondement de la poursuite personnelle : « Tous les éléments présentés par Me Bellaiche pour les tenir personnellement responsables sont à la limite de l’affabulation et cette demande est clairement abusive et mal fondée », a blâmé le juge.
  • L’excès de zèle et la perte de temps : Le juge a souligné que « plus de trois jours d’instruction et de ressources judiciaires ont été consacrés à un dossier qui, essentiellement, demeure une simple action sur compte pour services rendus ».
  • La conduite générale de l'avocat : Le juge a dénoncé « les nombreuses digressions, la propension à l’exagération, l’usage de superlatifs et de propos à la limite tendancieux ». Me Bellaiche aurait même abordé des éléments personnels et intimes de la vie des Fettaya « de façon tout à fait inappropriée et inutile », selon le juge.
  • La « théorie du complot » : L'avocat a été accusé d'avoir fait un « procès d’intention » et d'avoir élaboré une « théorie du complot » impliquant les défendeurs et même leurs nouveaux avocats.

En raison de ces manquements importants au déroulement de l'instance et du non-respect du principe de proportionnalité (art. 18 C.p.c.), le juge a sanctionné Me Bellaiche sous l’article 342 C.p.c. pour abus de procédure, l'obligeant à verser une compensation aux défendeurs pour les honoraires extrajudiciaires qu'ils ont dû engager pour se défendre de sa conduite démesurée.

Le tribunal a ainsi accordé à Géo Tours la somme de 6 225,00 $ pour les honoraires extrajudiciaires et un montant total de 2 000 $ à M. et Mme Fettaya à titre de dommages moraux.

Me Bellaiche se défend

Invité à commenter le jugement, Me Bellaiche a d’abord remercié Droit-inc de l’avoir porté à son attention, mentionnant ne pas l’avoir reçu.

« Je respecte l’autorité des tribunaux et le jugement de la Cour. J’ai exposé les faits tels que je les ai personnellement vécus avec la partie adverse, lesquels sont décrits dans une demande introductive d’instance ré-amendée au dossier de la Cour, et je n’ai absolument rien inventé. Libre à la Cour de retenir ou de rejeter mes allégués, arguments et conclusions principales ou subsidiaires à leur soutien. C’était néanmoins mon droit de les exposer », a commenté l’avocat.

Me Bellaiche a tenu à souligner qu’il est un avocat intègre, jouissant d’une excellente réputation et d’un dossier sans tâche au Barreau.

Il nous a d’ailleurs fait parvenir l’avis Google publié en novembre 2017 par M. Fettaya, qui y mentionne que Géo Tours utilise les services de Me Bellaiche depuis 25 ans et que « durant toutes ces années, il nous a représentés avec succès et intégrité ».

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