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Tête-à-tête avec Jean Charest

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Dominique Tardif

2013-10-09 15:00:00

Pour sa 100ième entrevue sur Droit-inc, Dominique Tardif, de ZSA, rencontre l’ex-premier ministre du Québec Jean Charest, aujourd’hui associé chez McCarthy Tétrault…

1.Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir une autre profession? La politique était-elle l’objectif de départ, ou est-ce plutôt venu ensuite?

J’ai décidé d’être avocat très jeune, soit vers l’âge de douze ans. L’émission de Perry Mason était très populaire à l’époque : il menait des procès devant jury, défendait la veuve et l’orphelin et…gagnait tous ses procès! J’ai d’ailleurs souvenir d’avoir annoncé à mes parents, bien avant que la politique ne me vienne en tête, que je deviendrais avocat et ferais moi aussi des procès devant jury!

2. Et avez-vous réalisé votre rêve de jeune garçon, quant aux procès devant jury?

Jean Charest a décidé d'être avocat très jeune.
Jean Charest a décidé d'être avocat très jeune.
Absolument! J’en ai fait environ huit, sur une période de trois ans. Après un stage à l’aide juridique, section criminelle, à Sherbrooke, j’ai pratiqué chez Beauchemin Dussault. J’avais ce qu’on appelle une « pratique à volume » et je me retrouvais donc à la cour pratiquement tous les jours. Ayant gradué assez jeune, j’ai commencé à pratiquer le droit à l’âge de vingt-deux ans. Ce fut une école formidable, où j’ai beaucoup appris.

Même si j’avais, au moment d’entrer en politique, fait des démarches pour la maîtrise, ayant travaillé sur des navires de la marine marchande pendant mes études et développé un intérêt pour le domaine, les plans ont changé lorsque je me suis rapidement retrouvé député!

3. Quels sont les plus grands défis professionnels auxquels vous avez fait face au cours de votre carrière?

J’ai, au cours des trente dernières années, vécu bien des choses, dont celui d’avoir le privilège d’agir comme législateur sur une période de vingt-huit ans.

Quant à mes plus grands défis, le fait d’avoir été l’un des premiers à plaider en matière de Charte canadienne en est certainement un. Comme étudiant en droit, les deux cours qui m’avaient le plus impressionné et captivé étaient, justement, ceux de rédaction & interprétation des lois et de libertés publiques. Ayant commencé à pratiquer en 1981, j’ai eu la chance de pouvoir plaider très peu de temps sur la Charte, après qu’elle soit entrée en vigueur le 17 avril 1982.

Le dossier qui m’a, quant à lui, le plus marqué sur le plan législatif comme ministre fédéral est celui de la Loi canadienne sur l’environnement, que nous avons votée. Nous étions, en effet, à la frontière de la science, à la frontière des politiques sociales & économiques ainsi qu’à la frontière du droit, puisqu’il s’agissait vraiment de droit nouveau. Même si la Loi a malheureusement été abrogée par le gouvernement conservateur, elle a survécu jusqu’à tout récemment.

Quant aux dossiers de fond, un autre grand défi fut celui de l’adoption de la loi exigeant la parité hommes-femmes aux conseils d’administration de vingt-deux grandes sociétés québécoises.

Enfin, je note, depuis mon retour à la pratique du droit, que le milieu juridique a évolué de façon extraordinaire. On semble, en effet, attacher une prime très importante à l’obtention de résultats et de consensus. S’ensuit plus de médiation et moins d’affrontements, et plus de recherche de solutions qu’avant, ce qui est certainement très encourageant.

4. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?

Sans hésitation : l’accès aux tribunaux et à la justice. Il s’agit à mes yeux d’un enjeu extrêmement important, et ce, à deux niveaux : sur le plan financier et sur le plan de la communication.

En effet, il en coûte non seulement très cher au citoyen moyen pour avoir accès au système judiciaire, mais il est aussi souvent difficile de bien en comprendre les rouages. L’expression voulant que « nul ne peut ignorer la loi » n’est malheureusement pas une règle qui s’adapte très bien à la vie réelle des gens, tellement les règles sont nombreuses.

Il est donc important de trouver une façon de mieux communiquer le contenu de ces lois et règles, en faisant un effort de pédagogie pour rendre les concepts plus accessibles. C’est d’ailleurs dans cette même ligne de pensée que j’ai accepté de participer à la soirée bénéfice d’Educaloi le 20 novembre prochain, où je parlerai de l’importance du langage clair en droit pour une justice plus accessible.

5. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?

Je pense qu’elle n’a pas beaucoup changé : je crois, sans vouloir me faire cynique, que la perception voulant que les avocats soient des gens plus ou moins ratoureux et plus ou moins honnêtes a toujours existé. Comme dans toute profession, certains sont meilleurs, d’autres le sont moins et quelques-uns sont malheureusement malhonnêtes.

Les gens se font cependant, à mon avis et au contact des avocats, une idée positive des services qui sont rendus et des gens qui pratiquent le métier. Pensons notamment aux services formidables que rendent les avocats de l’aide juridique, ou encore à la quantité de travail pro bono qui est faite. Les avocats sont généralement des individus qui s’intéressent beaucoup à la société, comme ils y sont pour travailler avec les lois et trouver des solutions. Cela a pour résultat de créer une communauté intéressante et qui cherche à rendre service.

6. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière comme avocat et ayant des ambitions politiques? Comment s’y prend-on pour réussir?

J’ai, bien sûr, adoré la politique! Il y a d’ailleurs une partie de la vie en politique que les gens ne voient pas, ou voient moins: si le travail est intense, il est aussi très valorisant, puisqu’on travaille à aider les gens. On y rencontre des gens très intéressants, on voyage beaucoup, et, surtout, on est en première ligne de tout ce qui se passe dans notre société – avec le pouvoir d’y contribuer.

La politique est typiquement vue comme quelque chose de mystérieux et de difficile d’accès. Pourtant, si l’on a des ambitions politiques, il ne faut pas se « laisser démonter » par ce que l’on voie dans les médias, ou encore avoir le réflexe de penser qu’il n’y a pas de place pour nous ou que cela nous est inaccessible…bien au contraire.

La meilleure façon d’y arriver est probablement de demander conseil à quelqu’un qui en a fait, question d’en apprendre plus sur les groupes, sur les façons de faire, etc. Il est important d’avoir un mentor qui puisse nous guider vers la bonne porte d’entrée, nous aider à déterminer comment être utile et nous diriger vers les bonnes personnes et le parti qui nous convient. Et rappelons-nous : il n’y a pas d’âge pour faire de la politique!

En vrac…

Le dernier bon livre qu’il a lu : La Malédiction d’Edgar (auteur : Marc Dugain)

Un film qu’il aime et recommande à ceux qui veulent en apprendre plus sur le Québec et le cinéma québécois: La Grande Séduction (réalisateur : Jean-François Pouliot)

Sa chanson fétiche (et sans jeu de mots malgré le titre!) …Born to run (Bruce Springsteen)!

Ce qu’il a souvent dit à son caucus et à son Conseil des ministres en situation de controverse ou de contestation : « Stay cool, stick to the plan »

Une expression de son père : « Il y a trois choses à faire dans la vie pour réussir : travailler, travailler et travailler! »

Son péché mignon? La gourmandise! Il adore recevoir et cuisiner, d’autant plus que c’est une activité que l’on fait avec ceux qu’on aime.

Vous le croiserez peut-être chez...Joe Beef, rue Notre-Dame.

Il aimerait retourner…à Édimbourg, en Ecosse : la ville lui a fait le même effet que celui que la ville de Québec a sur les gens qui la voient pour la première fois. Quant à l’Irlande, où il a des racines, il y retournerait volontiers!

Le personnage historique qu’il admire le plus est… John A. Macdonald, le premier des Premiers ministres du Canada. C’est un personnage fascinant et intéressant, qui avait compris bien des choses au sujet des Canadiens et de ceux qu’on appelait à l’époque les Canadiens-français, notamment quant au fait que le Canada était possible à travers le fédéralisme plutôt que via un état unitaire.

S’il n’avait fait ni politicien ni avocat, il serait sans doute…chef cuisinier ou aubergiste!!

Bio

L’Honorable Jean Charest est associé au bureau de Montréal de McCarthy Tétrault. Il apporte une expertise inestimable aux clients du cabinet grâce à sa connaissance approfondie et à sa vaste expérience de la politique publique, du secteur des affaires au Canada et des questions internationales. En tant que conseiller stratégique doté d’une perspective unique, il accompagne les clients dans le cadre d’opérations, de projets et de mandats internationaux particulièrement complexes en les guidant à travers les rouages du monde des affaires à l’échelle mondiale.

Fort d’une carrière de près de 30 ans consacrée au service public, M. Charest est l’une des personnalités politiques les plus connues du Canada. M. Charest est élu pour la première fois à la Chambre des communes en 1984, et, à l’âge de 28 ans, il devient le plus jeune membre du Conseil des ministres de l'histoire du Canada lorsque lui est confié le ministère d’État à la Jeunesse.

En 1991, il est nommé ministre de l’Environnement, et, un an plus tard, il dirige la délégation canadienne au Sommet de la Terre de Rio sur l’économie et l’environnement. Son leadership ne passe pas inaperçu car le Canada y joue un rôle clé comme premier pays parmi ceux du G7 à annoncer son intention de signer la convention-cadre sur les changements climatiques et celle sur la biodiversité.

En 1993, M. Charest est nommé ministre de l’Industrie et vice-premier ministre du Canada.

En 1994, Jean Charest est nommé chef du Parti progressiste-conservateur, devenant ainsi le premier Canadien-Français à prendre la tête du parti. Il occupe ce poste jusqu’en 1998 lorsqu’il devient chef du Parti libéral du Québec. M. Charest remporte ensuite trois mandats consécutifs lors des élections provinciales de 2003, 2007 et 2008, ce qu’aucun autre parti n’avait réussi à accomplir depuis 50 ans.

Entre 2008 et 2012, malgré la crise financière et économique mondiale, le Québec connaît, sous le leadership de Jean Charest, une période de prospérité : la province enregistre une plus forte croissance économique que celle des États-Unis, de l’Europe, du Canada et de l’Ontario. Son gouvernement lance un important programme d’infrastructures.

En matière d’environnement et de changements climatiques, le gouvernement Charest est un leader mondial. Le plan d’action qu’il met en place pour lutter contre les changements climatiques inclut des mesures innovatrices en matière d’énergie, de transport en commun ainsi que la première redevance sur le carbone en Amérique du Nord.

L’héritage de Jean Charest inclut un projet majeur pour le développement durable du Nord du Québec : le Plan Nord. Le Plan couvre une superficie de 1,2 million km2 (deux fois la superficie de la France) et s’étend à l’ensemble du territoire du Québec situé au nord du 49e parallèle.

En matière d’énergie, le gouvernement Charest met de l’avant des projets hydro-électriques et éoliens majeurs. Ces initiatives permettront au Québec de maintenir sa position au 4e rang des plus grands producteurs d’énergie hydro-électrique propre et renouvelable au monde, après la Chine, le Brésil et les États-Unis.

Sur le plan des relations internationales, le gouvernement Charest est l’administration la plus active de l’histoire du Québec. Le premier ministre Charest dirige de nombreuses missions économiques dans les pays émergents, incluant la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil. Il est conférencier au Forum économique mondial de Davos et aborde des sujets variés comme l’environnement, les changements climatiques, le commerce international et la mobilité de la main-d’œuvre.

M. Charest participe également à quatre Sommets de la Francophonie regroupant plus d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, et reçoit dans la ville de Québec le Sommet de 2008.

Il est par ailleurs l’initiateur d’une entente sans précédent sur la mobilité de la main-d’œuvre conclue entre la France et le Québec, entente applicable à plus de 80 métiers et professions.

Une des réalisations majeures de Jean Charest sur le plan international est le rôle stratégique qu’il joue dans l’amorce des négociations d’un partenariat économique élargi entre l’Union européenne et le Canada, au lendemain de l’issue décevante du Sommet de Doha.

M. Charest croit profondément à la participation et au rôle des femmes en politique. En 2006, son gouvernement adopte une loi exigeant la parité hommes-femmes aux conseils d'administration de 22 sociétés d’État. De plus, en 2007, son Conseil des ministres compte autant de femmes que d’hommes parmi ses 18 membres.

M. Charest a reçu des distinctions et des prix prestigieux, dont les suivants :
• Membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada, juin 1986 (Canada)
• Commandeur de la Légion d’honneur, février 2009 (France)
• Bavarian Order of Merit, juillet 2007 (Allemagne)
• Grand Croix de l’Ordre de la Pléiade, novembre 2007 (Francophonie)
• Prix Woodrow Wilson Award for Public Service, octobre 2011 (États-Unis)
• Médaille de l’Academy of Distinguished Canadians and Americans of the Maple Leaf Foundation, novembre 2009 (États-Unis)
• Prix Statesman Award de la Foreign Policy Association, juin 2011 (États-Unis)
• Prix South Australian International Climate Change Leadership Award, décembre 2010 (Australie)

M. Charest a été chargé de cours au département des sciences politiques de l’Université Concordia. Il continue d’être actif dans la politique publique et dans diverses activités communautaires. Il a obtenu un diplôme en droit de l’Université de Sherbrooke en 1980, et a été admis au Barreau du Québec en 1981.
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