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Commission Charbonneau: un délai abusif ?

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Jean-claude Hébert

2015-02-02 11:15:00

Avocat spécialiste en droit criminel, l’auteur revient sur le « laxisme », le mandat, les pouvoirs et les obligations de la commission d’enquête …

Me Jean-Claude Hébert est un avocat plaideur avocat devant les tribunaux de compétence pénale, administrative et disciplinaire
Me Jean-Claude Hébert est un avocat plaideur avocat devant les tribunaux de compétence pénale, administrative et disciplinaire
Le délai de grâce sollicité par la commission Charbonneau est-il justifié ? Sûrement pas au motif que « la justice n’a pas de prix ». Une commission d’enquête n’est pas une institution judiciaire. Elle est plutôt le prolongement du pouvoir exécutif, dont elle sert les fins et à qui elle fait rapport.

La magistrature est tout aussi indépendante que peut l’être une commission d’enquête. Pourtant, l’institution judiciaire fonctionne à l’intérieur d’un cadre financier déterminé et approuvé par l’État, en commission parlementaire. Pourquoi une commission d’enquête serait-elle au-dessus de la loi ?

Ici, les apparences sont trompeuses. Assumée par un juge, la présidence d’une commission d’enquête ne transforme pas un organisme gouvernemental en cour de justice. D’ailleurs, les commissaires l’ont répété à satiété : ils n’ont pas la compétence requise pour statuer sur la responsabilité civile et/ou pénale de quiconque.

Quelles sont les véritables causes du laxisme de la commission Charbonneau dans la conduite de ses travaux ? Les opinions sont multiples ; les facteurs le sont tout autant. Cependant, en période de rigueur financière, le gouvernement doit être responsable et exiger une reddition de compte. La centaine de préavis de blâme expédiés tardivement ne peut servir d’excuse pour une prolongation des travaux.

Le mandat de la commission Charbonneau n’est pas de distribuer formellement des blâmes. La Loi sur les commissions d’enquête du Québec est claire : aussitôt l’investigation terminée, les commissaires doivent faire rapport au gouvernement du résultat de l’enquête et de la preuve reçue. Il incombe à l’exécutif d’ordonner l’adoption des mesures justifiées par la nature de la preuve et du rapport (article 6).

Pour être en mesure de remplir utilement ses rôles d’investigation, d’éducation et de recommandation, une commission d’enquête doit tirer des conclusions de fait dans un rapport. Celles-ci peuvent écorner la réputation de témoins ou de personnes mises en cause. Il s’agit d’un dommage collatéral découlant d’un résumé de preuve et non pas d’un objectif primaire d’une commission d’enquête.

Prenant appui sur une disposition précise de la loi fédérale sur les commissions d’enquête, laquelle est inexistante dans la loi québécoise, la Cour suprême (affaire Krever) a statué qu’un commissaire peut constater des faits et tirer des conclusions, même si cette démarche est susceptible « de nuire à la réputation des personnes physiques ou morales ».

Certes, l’exigence d’équité procédurale impose des obligations à une commission d’enquête, au bénéfice des personnes dont les réputations pourraient être malmenées. Toutefois, ce concept juridique ne confère pas à la commission Charbonneau le pouvoir formel de blâmer quelqu’un. Autrement dit, l’équité procédurale crée des obligations à une commission d’enquête, sans toutefois lui conférer des pouvoirs non prévus dans la loi habilitante.

En définitive, la commission Charbonneau pourrait certes faire l’économie de cette longue et laborieuse étape, laquelle n’est pas requise par la loi. D’ores et déjà, les audiences publiques ont permis aux citoyens de constater la conduite blâmable de plusieurs personnes. Nul besoin d’en rajouter une couche et d’écrire un chapitre inutile aux recommandations attendues.

Me Jean-Claude Hébert est un avocat plaideur avocat devant les tribunaux de compétence pénale, administrative et disciplinaire. Il a participé aux travaux de plusieurs commissions d'enquête et est professeur associé au département des sciences juridiques à l'Université du Québec à Montréal.

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