Nathalie Cadieux, professeure à l’Université de Sherbrooke
Nathalie Cadieux, professeure à l’Université de Sherbrooke
Globalement, les avocats « ont l’impression d’être toujours en situation d’urgence », dit Nathalie Cadieux, professeure à l’Université de Sherbrooke. Et c’est pour qualifier et quantifier le phénomène qu’elle travaille avec une équipe de chercheurs, en collaboration avec le Barreau du Québec, sur une étude qui devrait apporter des réponses sur le sujet. Il s’agit d’une première.

Elle s’intitule : « Étude des déterminants de la détresse psychologique et du bien-être dans la profession d’avocat au Québec ». La première phase de cette recherche, de nature qualitative, vient de se terminer.

Mme Cadieux s’est spécialisée en santé mentale au travail chez les professionnels réglementés comme les médecins, les pharmaciens, les ingénieurs et… les avocats.

« Durant mes études doctorales, j’ai remarqué des données préoccupantes concernant les avocats en observant les demandes d’aide adressées au Programme d’aide aux membres du Barreau (PAMBA) qui ont fortement augmenté », raconte la chercheuse.

Une augmentation de 300 % des dossiers

En effet, Mme Cadieux a constaté qu’on est passé de 296 dossiers par an en 2004 à plus de 1000 dossiers par an en 2016. Mais ce ne serait que la pointe de l’iceberg puisque « plusieurs avocats nous ont mentionné avoir recours à une aide extérieure plutôt qu’au PAMBA pour toutes sortes de raisons qui leur appartiennent. »

Une étude de 1998 réalisée par Adrian Hill indique par ailleurs que les avocats seraient six fois plus susceptibles de se suicider que le reste de la population. Des chiffres corroborés par des résultats d’études plus récentes réalisées à l’extérieur du territoire québécois (Bailly, 2000; Carter, 2006; Kammeyer-Mueller, Simon, & Rich, 2012; Ramos, 2013; Sharp, 2011).

Elle a aussi remarqué que peu d’études ont été faites sur le sujet au Québec comparé au reste du Canada, aux États-Unis ou en Europe. « Or, les conditions de travail des professions réglementées sont très liées à la géographie », ajoute Mme Cadieux.

Alors, elle a décidé de poursuivre une étude pour identifier les stresseurs qui étaient susceptibles d’être à l’origine de cette détresse et les leviers de gestion à mettre en place.

Dans cette démarche, le Barreau du Québec agit comme partenaire et a estimé qu’il était prématuré de donner une entrevue à Droit-inc à ce sujet.

Pire à Montréal ?

La première phase a ainsi commencé en 2014. « Nous avons rencontré 22 avocats de différents barreaux et de différents domaines de droit. Rapidement, on nous a dit que pour les avocats montréalais, c’était pire et que leur réalité était très différente. On a donc décidé d’en interroger aussi. Finalement, on s’est rendu compte que les stresseurs n’étaient pas vraiment différents ».

Parmi eux, les heures facturables, les relations sociales au travail avec les clients, les collègues, les supérieurs ou même les juges. Globalement, les avocats « ont l’impression d’être toujours en situation d’urgence ».

L’équipe de chercheurs a également étudié la problématique du rapport hommes / femmes. « La culture d’entreprise en droit est très masculine et hiérarchique alors que la profession se féminise. On peut se demander si la culture s’est adaptée au même rythme que cette féminisation », dit Mme Cadieux.

Selon elle, l’étude qualitative a permis de réaliser que la moitié des avocates disent avoir vécu de la violence psychologique en cours de carrière.

Mme Cadieux évoque aussi un autre problème : « lorsque certains avocats rencontrent des clients, ces derniers se sont déjà renseignés sur internet, sur des sites francophones, mais souvent de France, ou les lois ne sont pas les mêmes. Les avocats québécois doivent donc rétablir leur crédibilité ».

Étude quantitative en route

Maintenant que la première phase est terminée, la deuxième commence. Elle sera quantitative cette fois. Tous les avocats du Barreau seront donc sollicités pour y participer. « Plus le taux de participation sera élevé, plus on sera en mesure de faire un portrait juste de la situation », précise la professeure qui ajoute que le questionnaire est déjà prêt.

À terme, en plus d’évaluer la situation, l’étude devrait pouvoir mettre le doigt sur les compétences qui protège contre la détresse psychologique.

Ses résultats finaux seront rendus en 2019.