Me Emilie Taman anime «The Docket»
Me Emilie Taman anime «The Docket»
Elle est devenue un genre de vedette grâce à son podcast juridique, unique en son genre au Canada: Me Emilie Taman anime «The Docket», un podcast à succès qui aborde les lois canadiennes, le système judiciaire, la profession juridique et la société civile.

Ancienne procureure au Service des poursuites pénales du Canada et ex-candidate du NPD fédéral, la juriste de 41 ans vient d’être désigner par le Canadian Lawyer Magazine parmi les avocats d’influence en 2018, dans la catégorie Gouvernement/organisations sans but lucratif/associations.

La pomme n’est pas tombée loin de l’arbre: elle est la fille de Louise Arbour, que Droit-inc a rencontré récemment alors qu’elle venait d’être nommée représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour les migrations internationales. Émilie Taman baigne depuis longtemps dans un environnement sensible aux inégalités et aux personnes vulnérables.

Barreau de l’Ontario 2006, elle a obtenu son baccalauréat en droit à l’Université de Dalhousie, située à Halifax ainsi qu’un diplôme en sciences politiques à McGill (2000).

Alors qu’elle termine un mandat de deux ans comme enseignante à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa Me Taman est revenue avec Droit-inc sur sa carrière.

Droit-inc : Commençons avec votre podcast sur le droit pénal que vous animez depuis 2015. Comment tout ça a commencé?

Me Emilie Taman : Le podcast s’appelle «The Docket», un mot qui désigne la liste de causes devant être entendues en Cour dans une journée. Mon conjoint Michael Spratt, qui est avocat de la défense en droit pénal, l’avait commencé avec un collègue, puis je l’ai rejoint. Notre but est de rendre plus accessible des controverses ou des questions de droit pénal au public, souvent mal informé.

Ça a commencé parce qu’on aurait aimé écouter un podcast sur l’émission Making a Murderer sur Netflix et qu’on en trouvait pas. Alors on l’a fait nous-même et on a consacré un épisode de podcast à analyser chaque épisode. Par la suite, ma mère juge à la Cour suprême (ndlr : Louise Arbour) nous a rejoint, et le podcast a explosé!

Quels sont les enjeux récents et les problématiques en matière de droit pénal qui vous interpellent?

Là en ce moment on parle d’une autre émission Netflix, The Staircase (ndlr : la série relate l'histoire du procès controversé du romancier Michael Peterson). Sinon, je dirais l’affaire de l’autochtone Colten Boushie tué en Saskatchewan par un fermier, Gerald Stanley. L’accusé a été acquitté par le juge. Dans le podcast, on explique comment on sélectionne les jurys au Canada, et comment on gère les questions de «races» dans un procès criminel. On explique le contexte légal puis on s’engage dans une discussion.

On parle aussi beaucoup de la question des délais dans le système pénal et de l’arrêt Jordan avec des arrêts de procédures dans des procès pour meurtres parce que ça a duré trop longtemps.

Il y a aussi toutes les questions autour des réfugiés et des femmes qui vous préoccupent beaucoup…

Pour les réfugiés, j’ai choisi de m’impliquer dans un parrainage privé de réfugiés syriens à Ottawa. Bientôt je vais parrainer une troisième famille, avec un groupe de voisins de ma communauté. Quand j’étais procureure au Service des poursuites pénales du Canada, j’ai vu beaucoup de fraudes en immigration, j’ai vu comment le système pouvait être vulnérable. Notamment sur ce programme privé de parrainage de réfugiés.

Donc c’était vraiment une volonté personnelle?

Oui. J’ai aussi été bénévole au sein du Programme d’appui au parrainage de réfugiés. Les avocats peuvent aider les gens avec leurs documents, ou encore les informer sur le montant d’argent qu’il faut en banque pour que ça soit approuvé.

Ça rejoint les femmes aussi, car ce sont souvent elles qui se retrouvent les plus vulnérables. Elles ont peur d’appeler la police dans des situations de violence dans leur mariage par exemple, de peur de perdre leur statut.

Pourquoi la cause des réfugiés vous tient-elle tant à coeur?

En 2015, on a commencé à voir un mouvement de société dans lequel les gens s’impliquaient davantage à aider ces personnes parmi les plus vulnérables au monde. Maintenant, on voit aux nouvelles ce qui leur arrive, c’est accessible à tous et c’est choquant. Souvent on se demande ce qu’on peut faire de concret, comment s’engager pour avoir un impact.

Avec ma mère, Haut-Commissaire aux droits de l’homme et procureure générale du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, j’ai vu à quel point il y avait des gens vulnérables. Ici, on est un pays riche, avec beaucoup de ressources. Alors si l’on peut faire quelque chose…

Justement, j’allais vous demander ce que ça faisait d’avoir une mère comme Louise Arbour…

Louise Arbour, ancienne juge et avocate, Crédits photo : Delphine Jung
Louise Arbour, ancienne juge et avocate, Crédits photo : Delphine Jung
(Rires) C’est la seule mère que j’ai connue alors je ne peux pas comparer! Mon frère et ma soeur ne sont pas avocats mais elle les appuie à 100 %. Ma discipline est juste plus rapprochée (rires). J’ai grandi dans un milieu qui mettait l’emphase sur le débat, la justice, l’égalité. Des valeurs qui sont venues de ma mère. Mais j’ai commencé en biochimie! On me demandait tout le temps : vas-tu devenir avocate?, et je disais “non, non, non”!

Par esprit de rébellion!

Oui! C’était une sorte de rébellion académique! (Rires) Mais à McGill, je lisais beaucoup les journaux, et je me suis de plus engagée sur des questions politiques ou de droit. Finalement…(Rires)

Vous venez d’ailleurs d’être désignée par le Canadian Lawyer Magazine comme l’une des avocates les plus influentes en 2018. Vous considérez-vous vous-même comme une «influenceuse», un modèle pour les jeunes?

Être nommée parmi des poids lourds comme le procureur général de l’Ontario ou le juge en chef du Canada, c’était incroyable! (Rires) Après, je ne me pense pas comme quelqu’un qui a de l’influence mais quand j’ai la chance disons «éduquer» sur certaines questions de droit, je le fais.

Je le vois dans mon travail d’enseignante à l’Université d’Ottawa, c’est une énorme responsabilité, surtout auprès d’élèves qui entrent en première année, les futurs avocats. Il faut leur parler de leur rôle comme avocats de la défense, ils sont des «défenseurs» du droit. Je pense aussi qu’il est important de rappeler le contexte dans certains débats publics.

Par exemple?

Sur la question de la décriminalisation des drogues, et le débat entourant la légalisation de la marijuana. Beaucoup de jeunes pensent qu’avec la légalisation qui s’en vient, il n’y a pas de poursuites pour possession de marijuana, mais c’est faux il y en a plein!

D’ailleurs, vous prenez position sur la légalisation de toutes les drogues.

Je pense qu’au moins la décriminalisation est importante. Il y a tellement de barrières pour ceux qui souffrent de la toxicomanie ou qui ont des problèmes de criminalité liés à la dépendance aux drogues...Si l’on regarde le tort que fait la consommation de cannabis contre le tort du système pénal, le deuxième est pire que la drogue elle-même. Ça n’aide pas les gens de les mettre en prison. Il faudrait plutôt accorder plus de ressources pour le traitement et la santé mentale en général.

Vous avez participé à l'élection fédérale de 2015 et à une élection partielle en 2017, comme candidate du NPD fédéral. Pourquoi vous être tournée vers la politique?

Quand j’étais procureure, c’était les années Harper. J’éprouvais des difficultés avec la direction que prenaient nos politiques en droit pénal. Harper prônait des peines plus longues, créait de plus en plus d’infractions, lançait la très critiquée Loi antiterroriste C-51. Je ne pouvais plus continuer à faire mon travail dans un contexte qui allait à l’encontre de mes valeurs. J’en avais marre de me plaindre, je voulais faire quelque chose de concret.

Est-ce que vous êtes plus satisfaite des politiques de Trudeau?

(Rires) Honnêtement, surtout dans mon domaine, je suis très très déçue. Le gouvernement avait promis de réinjecter plus d’égalité dans le système, de renverser la politique d’Harper, ou de régler des questions comme celles des peines minimum ou de la réforme électorale, mais il n’y a pas touché.

Quels sont vos projets maintenant? Comptez-vous vous représenter aux élections d’octobre 2019?

C’est une option que je considère mais je n’ai aucune idée de où va aller ma carrière. Je viens de finir mon contrat d’enseignement à Ottawa. Je voulais me lancer au niveau municipal mais finalement, pour des raisons personnelles, j’en ai conclu que ce n’était pas le bon moment.