Affaire Khuong: Combien le Barreau a dépensé en relations publiques?

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Jean-francois Parent

2019-08-08 15:00:00

Au plus fort de la tourmente qui a agité le Barreau du Québec à l’été 2015, le conseil d’administration a embauché deux firmes de relations publiques. Un avocat veut savoir combien cela a coûté?

Me Lu Chan Khuong. Source : Radio-Canada.
Me Lu Chan Khuong. Source : Radio-Canada.
La crise de confiance qui a secoué le Barreau et ses membres suite à la suspension de la bâtonnière-élue Lu Chan Khuong, au début de l’été 2015, a incité l’Ordre à octroyer deux contrats, de façon verbale, à des firmes de relations publiques afin de gérer l’image du Barreau auprès de ses assujettis.

Sauf qu’encore aujourd’hui, on reste muet sur les entreprises embauchées à cette époque, et les sommes engagées dans cette aventure.

Demande refusée

C’est le procureur spécialisé en droit de l’immigration Albert Bellemare, de Bellemare Vinet à Montréal, qui tente d’obtenir ces informations depuis l’automne 2015.

À cette époque, Me Bellemare demande que le Barreau lui transmette le détail des dépenses encourues dans le cadre de mandats confiés à des spécialistes des relations publiques.

Le procureur spécialisé en droit de l’immigration Albert Bellemare. Source : ImmigrationCanadaQuébec.com.
Le procureur spécialisé en droit de l’immigration Albert Bellemare. Source : ImmigrationCanadaQuébec.com.
Invoquant que l’on n’a pas de preuve documentaire de ces contrats, et que de toute façon ils ne concernent pas « le contrôle de l’exercice de la profession », le Barreau se range derrière la Loi sur l’accès à l’information pour refuser la demande logée par Me Albert Bellemare, à l’automne 2015.

Ce dernier conteste la décision du Barreau devant la Commission d’accès à l’information.

Cette dernière, sous la plume de la juge administrative Lina Desbiens, a donné raison au Barreau le 20 décembre dernier.

La CAI confirme

La juge administrative Desbiens déboute Me Bellemare sur toute la ligne : le principe de l’intérêt public tel qu’énoncé dans la loi ne s’applique pas à des documents portant sur la gouvernance d’un ordre professionnel. Comme il s’agit de documents portant sur les dépenses encourues à la suite de la suspension de Lu Chan Khuong, cela n’a rien à voir avec l’exercice du contrôle de la profession, analyse Lina Desbiens en substance.

Me Sylvie Champagne. Source: Radio-Canada
Me Sylvie Champagne. Source: Radio-Canada
Par ailleurs, le Barreau soutient également que les documents demandés n’existent pas : c’est Me Sylvie Champagne qui a mandaté verbalement deux firmes de relations publiques, avec l’assentiment du CA.

Pas de documents écrits, pas d’accès en vertu de la Loi, poursuit Lina Desbiens dans sa décision.

Il existe bien des factures pour le travail effectué en vertu des mandats octroyés verbalement, mais pas de contrats en bonne et due forme.

Combien, et à qui ?

Ulcéré, Me Bellemare a déposé en février dernier une déclaration d’appel en Cour du Québec, dont Droit-Inc a obtenu copie.

Il veut savoir « où est passé l’argent, qui en a bénéficié et pourquoi ? », explique-t-il à Droit-inc. S’offusquant de ce que la gestion interne de l’Ordre ne soit pas jugée d’intérêt pour les membres cotisants, il estime que « le problème, c’est qu’il est impossible de remettre en question le travail des administrateurs du Barreau, puisqu’on n’a pas l’information pour le faire ».

Dans sa déclaration d’appel, Me Bellemare demande à le Cour d’infirmer la décision de la CAI, qui interprète la loi en refusant l’accès à des documents concernant la gestion d’un ordre professionnel. L’audition est prévue en octobre prochain.
« Rien dans le Code (des professions) où la Loi sur l’accès ne permet de soutenir une telle interprétation », écrit-il.

Invoquant des décisions de la Cour suprême, par ailleurs rejetées par la CAI comme ne « s’appliquant pas en l’espèce », Me Bellemare soutient que l’intérêt public doit être considéré dans toutes décisions relatives à l’accès à l’information.

« À notre connaissance la Loi sur l’accès n’est assortie d’aucune clause nonobstant permettant d’écarter les décisions de la Cour suprême », poursuit-il.

Inquiétudes

Il prend également appui sur la situation pour émettre des inquiétudes quant à la gestion du dossier par le Barreau.

Soutenant que le Barreau « a l’obligation légale de tenir une comptabilité détaillée », et donc de conserver trace de ses transactions avec ses fournisseurs, il demande « comment le Barreau a-t-il pu conclure des contrats pouvant totaliser des centaines de milliers de dollars sans qu’aucune trace documentaire, sauf les factures, ne subsiste ? La naïveté a ses limites », peut-on lire dans la déclaration d’appel.

La requête ne précise cependant pas comment on a estimé la valeur alléguée des contrats. En entrevue, il insiste sur la nature spéculative de ce montant. « Cependant, je serais surpris que nous ayons affaire à des montants modestes, d’autant qu’on sait qu’il y a eu deux contrats, et trois factures », dit-il, ajoutant que le cabinet National, par exemple, exige un dépôt de plusieurs dizaines de milliers de dollars pour offrir ses services.

« Mais comme je l’ai soulevé en plaidoirie, on ne sait pas, alors que c’est tout de même le propos de la Loi sur l’accès à l’information, apprendre et savoir. »

Au Barreau, à qui l’on a demandé les raisons de ce secret, si la conduite des affaires avec des sous-traitants sur la base d'entente verbale est chose courante, et comment cela respecte les normes comptables applicables aux ordres professionnels, on a préféré s’abstenir de commenter, « le dossier étant toujours judiciarisé ».

Droit-inc n’a pas trouvé trace de ces deux mandats précis dans les états financiers du Barreau au 31 mars 2016.

Tout au plus remarque-t-on une augmentation de plus de 620 000 dollars des dépenses des instances décisionnelles cette année-là. Elles passent ainsi à 1,9 million de dollars, par rapport à 1,3 million au 31 mars 2015. Les notes aux états financiers sont muettes quant à cette augmentation de 46% des dépenses affectées au poste « Instances décisionnelles ».

Notons que le Barreau a affiché un excédent de 4,3 millions $ cette année-là.
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