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Le silence ou la réticence concernant la COVID-19 : un jeu dangereux

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Kevin Vincelette Et Marc-andré Groulx

2021-01-27 11:15:00

Un salarié qui cache à son employeur qu’il a passé un test de dépistage de la COVID-19 et qui se présente au travail malgré tout s’expose à un congédiement…

Kevin Vincelette et Marc-André Groulx, les auteurs de cet article. Photos : Site web de BCF
Kevin Vincelette et Marc-André Groulx, les auteurs de cet article. Photos : Site web de BCF
Il semble aller de soi que les consignes émanant des autorités de santé publique ou des employeurs, dans le contexte d’une crise mondiale sans précédent, se doivent d’être respectées intégralement. Cependant, il n’en est pas ainsi aux yeux de toutes et de tous. Pour le dire simplement : un salarié qui cache à son employeur qu’il a passé un test de dépistage de la COVID-19 et qui se présente au travail malgré tout s’expose à un congédiement.

En effet, dans la sentence arbitrale Garda Security Screening v. IAM, District 140 (Shoker Grievance) rendue en Ontario en juillet dernier, l’arbitre Brian Keller devait statuer si un employé dans cette situation méritait d’être congédié.

Les faits sont simples. Le 27 mars 2020, l’employeur communique à l’ensemble de ses employés le guide publié par l’Agence de la Santé publique du Canada, lequel prévoit qu’une personne en attente des résultats d’un test de dépistage doit s’isoler à la maison jusqu’à ce qu’on les lui communique. Un salarié de l’entreprise, qui œuvrait dans un aéroport situé en Ontario, reçoit un résultat positif le 12 avril 2020 et déclare ne pas avoir travaillé du 6 au 8 avril 2020.

Or, l’enquête de l’employeur démontre que ce salarié a travaillé le 6 avril 2020. Lorsqu’il est confronté à sa déclaration par les représentants de l’employeur, le salarié explique qu’il n’avait pas à informer ses supérieurs qu’il avait passé un test de dépistage, puisqu’il ne se sentait pas malade. Il est alors congédié.

L’arbitre saisi du grief de congédiement fait face au même discours de la part du salarié lors de l’audience. Le Tribunal d’arbitrage, ayant juridiction en vertu du Code canadien du travail, rejette le grief logé, essentiellement pour les motifs suivants :
  • Le fait que le salarié ne se sentait pas malade n’est aucunement pertinent;

  • En effet, les consignes des autorités publiques sont claires et diffusées à grande échelle. Il est illusoire de croire, dans le contexte actuel, que le salarié n’était pas au fait de ces directives;

  • L’employeur a de toute façon communiqué ces directives à l’ensemble de son personnel;

  • Le caractère notoire de la pandémie de la COVID-19 et des conséquences potentiellement mortelles pour certaines personnes de cette maladie font en sorte que le salarié a fait preuve d’une grande négligence à l’égard de la santé et de la sécurité de ses collègues et du public en général;

  • Le salarié n’a exprimé aucun remords relativement à sa conduite.

  • Il doit être mentionné que le fait que le salarié ait reçu un diagnostic positif à la COVID‑19 ultérieurement n’a pas eu d’incidence sur le prononcé de la sentence arbitrale. L’arbitre a plutôt mis l’accent sur le caractère foncièrement négligent de la conduite du salarié, lequel a fait preuve d’une réticence.

    Il est important de souligner, par ailleurs, qu’un tel geste n’a pas pour unique conséquence l’imposition d’une mesure disciplinaire envers l’employé fautif.

    Au Québec, un employeur, tel que défini par la Loi sur la santé et la sécurité de travail (la « Loi »), doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique de ses employés. Afin de satisfaire cette exigence, il doit notamment s’assurer que les établissements qu’il régit sont aménagés de façon à assurer la protection des employés et contrôler la tenue des lieux de travail.

    Dès qu’un cas de COVID-19 est confirmé dans un établissement de l’employeur, ce dernier doit suivre les directives émises par les autorités gouvernementales. Parmi les mesures de prévention nécessaires, en sus du nettoyage et de la désinfection des lieux fréquentés par l’employé fautif, l’employeur devra identifier les collègues de travail ayant eu des contacts avec celui-ci.

    De telles mesures entraîneront potentiellement un ralentissement des activités de l’employeur, alors que plusieurs autres employés pourraient être assujettis à une quarantaine.

    Dans ce contexte, bien que la Loi ne formule aucune obligation relativement à l’adoption d’une politique concernant la gestion de la COVID-19 (ou de toute autre maladie infectieuse), il n’en demeure pas moins que cette démarche est fortement recommandée.

    En effet, une telle politique aura l’avantage d’énoncer clairement aux employés la position ferme de l’employeur quant à tout geste fautif pouvant contribuer à la propagation du virus.

    Ainsi, une politique sur la COVID-19 doit minimalement contenir ce qui suit :
  • L’objectif visé par la politique, à savoir assurer la santé et la sécurité du personnel;

  • Une description des mesures de prévention;

  • Une description de la nouvelle organisation du travail (c.-à-d., limiter ou interdire certains rassemblements, respecter la distanciation sociale, etc.);

  • Une liste sommaire des symptômes;

  • Les obligations des employés advenant l’apparition de symptômes; et

  • Les conséquences advenant la violation d’une disposition de la politique.

Ce faisant, l’employeur sera en meilleure posture en cas de contestation par l’employé de la sanction imposée. La communication de directives claires aux employés a constitué un facteur important dans la décision rendue par l’arbitre dans l’affaire que nous venons d’aborder.

À la lumière de l’augmentation du nombre de cas dans la Belle province, il est manifeste que nos tribunaux auront également à trancher sur des violations commises par certains employés.

Bien que nos tribunaux québécois ne soient pas liés par la décision rendue en Ontario, il n’en demeure pas moins qu’elle nous offre un aperçu de l’intransigeance à laquelle s’exposent les employés dans un tel contexte.

Sur les auteurs

Kevin Vincelette et Marc-André Groulx sont avocats chez BCF à Montréal.

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