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À qui confier une éventuelle enquête « neutre » sur l'affaire Camara?

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Radio -canada

2021-02-08 10:15:00

Gros plan sur la balance que porte la statue de la Justice. Qui pourra se pencher sur l'affaire Camara? Des avocats s’expriment...

Me Denis Dionne. Photo : Site web de Maltais Maltais, avocats
Me Denis Dionne. Photo : Site web de Maltais Maltais, avocats
De nombreuses voix se sont fait entendre cette semaine à Montréal pour réclamer la tenue d'une enquête indépendante pour faire la lumière sur les événements qui ont conduit à l'arrestation, l'incarcération et l'inculpation de Mamadi III Fara Camara.

Mais qui pourrait bien la prendre en charge?

Selon l'avocat Denis Dionne, qui a exercé comme procureur de la Couronne à Alma pendant 27 ans, cela ne fait pas partie du mandat habituel du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) de mener de telles investigations.

Les policiers impliqués dans l'affaire Camara n'ont fait que leur travail, souligne Me Dionne, et ne font l'objet d'aucune allégation criminelle. «Alors je crois que le BEI, rapidement, n'est pas un organisme autorisé à agir à ce stade-ci, dans ces circonstances-là», dit-il.

Le BEI a pour mandat de faire enquête «dans tous les cas où, lors d’une intervention policière ou durant sa détention par un corps de police, une personne autre qu’un policier en service décède ou subit une blessure grave ou une blessure causée par une arme à feu utilisée par un policier», selon la Loi sur la police.

Celle-ci mentionne par contre que, dans des cas exceptionnels, le ministre de la Sécurité publique peut aussi lui demander d'enquêter sur tout autre événement impliquant un agent de la paix et ayant un lien avec ses fonctions.

Le DPCP intouchable?

Par ailleurs, la structure actuelle du système de justice ne permet tout simplement pas de remettre en question les décisions du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), ajoute Me Dionne.

«Je ne connais pas – humblement, pour l'instant – quel serait l'organisme qui pourrait avoir l'autorité ou la compétence de mener quelque enquête que ce soit sur une procédure criminelle sous main de justice en cour de justice», a-t-il confié à Radio-Canada.

«Les procureurs de la Couronne, explique-t-il, ont une discrétion lorsque vient le temps d'autoriser une poursuite criminelle ou de la suspendre comme ils l'ont fait dans le cas qui nous occupe, et cette discrétion-là ne peut pas être révisée.»

«La Cour d'appel a déjà mentionné qu'elle ne pouvait pas elle-même ordonner aux procureurs de la Couronne de dévoiler les motifs pour lesquels ils ont autorisé une poursuite criminelle ou pas», rappelle l'ex-procureur.

Me René Verret. Photo : LinkedIn
Me René Verret. Photo : LinkedIn
Son collègue Me René Verret, qui a agi à titre de procureur de la Couronne pendant plus de 33 ans avant de faire le saut au privé, abonde dans le même sens.

«Le DPCP est libre de ses décisions, a-t-il résumé en entrevue à Radio-Canada. Le DPCP n'a pas à justifier ses décisions, ça c'est clair. Par contre, effectivement, si une enquête était déclenchée et ordonnée, il faudrait voir jusqu'où l'enquête pourrait aller à ce niveau-là.»

Car la solution, selon lui, passe peut-être par une enquête ad hoc.

«Ça pourrait être des avocats; ça pourrait être des juges à la retraite; ça pourrait également être d'anciens chefs de police... Il y a beaucoup de gens au Québec qui ont une expérience extrêmement importante qui pourraient mener ce type d'enquête là si elle était ordonnée», estime-t-il.

Québec et Ottawa soufflent le chaud et le froid

La tenue d'une enquête indépendante sur l'affaire Camara a été réclamée par de nombreuses voix cette semaine, dont celle de Valérie Plante, qui s'est fait rabrouer vendredi par la Fraternité des policiers et policières après avoir invité le SPVM et le DPCP à se soumettre à une telle investigation.

En guise de réplique, le cabinet de la mairesse a fait parvenir à Radio-Canada une déclaration dans laquelle il rappelle que Mme Plante a demandé une enquête neutre afin de faire la lumière sur (cette affaire), tout comme l’ont aussi demandé la ministre de la Sécurité publique du Québec et le premier ministre du Canada.

Mais ce n'est pas exactement ce qu'ont dit Geneviève Guilbault et Justin Trudeau.

«Les circonstances ayant conduit à la mise en accusation de M. Mamadi Fara Camara doivent être examinées», a tweeté la ministre de la Sécurité publique jeudi. Nous travaillons avec la Ville de Montréal sur la formule la plus optimale tout en respectant l’enquête du SPVM, qui est toujours en cours.

Quant au premier ministre Trudeau, qui a été questionné sur le sujet vendredi, il a déclaré avoir confiance que les autorités (mettent) en place les mesures nécessaires pour faire la lumière sur cette situation troublante, sans se prononcer clairement sur la forme que pourrait prendre une éventuelle enquête indépendante.

Me Virginie Dufresne-Lemire. Photo : LinkedIn
Me Virginie Dufresne-Lemire. Photo : LinkedIn
Une faute à prouver pour obtenir réparation

Pendant ce temps, l'enquête de la police de Montréal visant à déterminer qui a désarmé et blessé un policier le 28 janvier dans Parc-Extension se poursuit, notamment à LaSalle, où un véhicule suspect a été localisé cette semaine. C'est dans le cadre de cette enquête qu'avait été arrêté, incarcéré et inculpé Mamadi Camara, qui a recouvré sa liberté mercredi au terme des procédures.

Le principal intéressé, qui a finalement été disculpé vendredi des quatre chefs d'accusation portés contre lui, n'a pas encore fait part de ses intentions pour la suite des choses. Pourrait-il par exemple déposer une poursuite en dommages et intérêts pour obtenir réparation?

C'est un scénario plausible, selon Me Virginie Dufresne-Lemire, avocate spécialisée dans les recours contre la police. «Si une faute a été commise par ce policier-là, effectivement, il y a une possibilité de recours contre le policier et contre son employeur, dit-elle. C’est la norme du policier raisonnable. Il faut voir si un policier placé dans les mêmes circonstances aurait posé les mêmes gestes.»

Toutefois, si Mamadi Camara souhaitait intenter un recours judiciaire contre le Directeur des poursuites criminelles et pénales, la tâche serait plus complexe, ajoute Me Dufresne-Lemire.

«Pour poursuivre le DPCP, le niveau de faute à prouver est beaucoup plus élevé, explique-t-elle. Il faut prouver une intention malveillante, une faute intentionnelle. Le fardeau de la preuve est beaucoup plus lourd.»

L'avocate précise que Mamadi Camara a six mois pour décider de poursuivre la police de Montréal ou non, alors que ce délai est de trois ans en ce qui concerne une action en justice contre le DPCP.
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