Opinions

Des enfants négociés comme des marchandises

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Marie-claude Girard

2021-12-13 11:15:00

Une question se pose : est-ce que le gouvernement a vraiment priorisé le droit des enfants dans le PL2 ?

Marie-Claude Girard, l'auteure de cet article. Photo: Site web de Coalition Laïcité Québec
Marie-Claude Girard, l'auteure de cet article. Photo: Site web de Coalition Laïcité Québec
La gestation pour autrui (ci-après « GPA ») permet aux individus seuls, aux couples hétéros infertiles, aux femmes ne désirant pas vivre une grossesse, et aux couples homosexuels de fonder une famille. Mais qu’en est-il des droits et du bien-être des enfants ? Selon l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, " l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

Or, il est préoccupant de constater que le projet de loi 2 du gouvernement du Québec sur la réforme du droit de la famille (PL2) avalise le fait qu’un enfant devienne un objet de contrat avant même d’être conçu. Dans une GPA, les deux partis sont liés par un contrat où l'un va donner quelque chose à l'autre contre frais ou dédommagements. Or,'' ce quelque chose'', objet du contrat, est un enfant. Selon le droit civil, il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions. L'enfant est donc considéré comme dans le commerce, autrement dit comme ''une marchandise''.

Ceci est manifestement contraire à la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, selon les termes du préambule de la ''Déclaration universelle des droits de l’homme''. Aucune protection ne peut être suffisante parce que la GPA est en elle-même une violation de la dignité humaine, tant de la mère que de l’enfant. Traiter une personne comme un objet est une caractéristique de l’esclavage.

De plus, la consécration de la GPA proposée dans le PL2 semble faire fi des nombreuses études montrant l’importance des liens créés entre la mère et l'enfant pendant la grossesse, l'enfant ressentant toutes les émotions de sa mère. Or, dans une GPA, la mère porteuse ne doit pas s’attacher. L’abandon du bébé est programmé dès la naissance. Cela va à l’encontre des pratiques mises de l’avant en périnatalité. Il est impossible que l’enfant ne ressente pas cette distance, et qu'il n’en souffre pas !

Certains diront que la GPA s’apparente à une adoption pour l’enfant. Or, l’adoption a pour but de remédier à une situation difficile existante et de donner une famille à l’enfant, dans son intérêt. Au contraire, par la GPA on crée volontairement une telle situation, pour satisfaire le désir des adultes. Selon les observations du Dr Chicoine, pédiatre bien connu spécialisé dans l’adoption, les enfants issus des GPA ont tendance à vivre les mêmes traumatismes que les enfants adoptés1.

Il est difficile de prétendre que cette pratique commerciale ne crée pas des traumatismes chez l’enfant ainsi conçu et échangé, lesquels peuvent affecter son développement. Le principe de précaution doit s’appliquer ici. Est-ce l'intérêt de l'enfant ainsi conçu d'avoir plusieurs adultes qui revendiquent des "droits" sur lui ? Est-ce son intérêt d'être séparé de celle qui l'a porté durant neuf mois dès sa naissance ? Est-ce l'intérêt des éventuels autres enfants de la mère porteuse de voir qu'on dispose ainsi de leur frère ou de leur sœur ? Comment vont-ils réagir par la suite ? Cela ne peut-il susciter des peurs en eux ?
Aussi légitime que puisse être le désir d'avoir un enfant, le « droit à l'enfant » n'existe pas ! L’adoption existe pour les parents désirant s’impliquer auprès d’un enfant.

Le gouvernement a un devoir absolu de protéger les droits des enfants. En encadrant le recours aux mères porteuses, le PL2 avalise la marchandisation d’un être humain, sans tenir compte du principe de précaution élémentaire en ce qui a trait aux séquelles possibles pour l’enfant ainsi négocié.

Une question se pose : est-ce que le gouvernement a vraiment priorisé le droit des enfants dans le PL2 ?

À propos de l'auteure

Marie-Claude Girard est retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne.


#https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/l-autre-midi-a-la-table-d-a-cote/segments/entrevue/149600/denise-bombardier-jean-francois-chicoine

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4 commentaires

  1. Me(e)
    Me(e)
    il y a 2 ans
    Oui, mais...
    Je suis bien d'accord avec vos préoccupations. Toutefois, l'action d'être mère porteuse existe depuis probablement la nuit des temps. Ne pas encadrer cette pratique permettrait des abus et de l'exploitation, tant pour la mère porteuse que pour la famille désireuse d'avoir un enfant.

    "Traiter une personne comme un objet est une caractéristique de l’esclavage." Effectivement, on peut isoler cet élément et faire un lien entre l'esclavage et la GPA. Il me semble toutefois que c'est un raccourci que d'en venir à une telle conclusion. LE but est de baliser cette pratique afin justement d'éviter les abus.

    La pratique encore courante est de sélectionner une belle future mère dans l'extrême pauvreté dans un pays X, et lui demander sa fertilité en échange de nourriture. La question du consentement est très douteuse.

    Je partage vos préoccupation, mais je les dilue dans un contexte plus large.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 2 ans
    Absence totale de commercialisation.
    L'auteure de cet article fait erreur dès le début dans son analyse.

    Le PL2 n'autorise pas la rémunération dans les contrats de GPA, ceux-ci devant encore et toujours être à titre gratuit.

    Or, le « dédommagement » n'est pas à confondre avec la rémunération. La distinction entre les deux concepts relève du cours d'obligations I en première année du bac en droit.

    La gestatrice dans un contrat de GPA subit quand même d'importants inconvénients en exécutant sa prestation et il est donc normal qu'on lui rembourse certaines dépenses raisonnables encourues dans le cadre de celle-ci, le tout tel que prévu par la Loi fédérale.

    Aussi, puisque l'enfant à naître ne fait l'objet d'aucune contrepartie, on ne saurait parler d'opération commerciale.

    En affirmant le contraire, l'auteure induit le lectorat en erreur et se discrédite au passage.

  3. DEFRANCE
    DEFRANCE
    il y a 2 ans
    philosophe
    La distinction "dédommagement" et "rémunération" est exacte ; mais n'enlève rien à l'objection fondamentale du lien qui se crée dès la conception entre la mère et son environnement avec le bébé : ce que confirment toutes les études sur la question. Mais il ne s'agit ici que la GPA marchande, or la GPA altruiste existe depuis la nuit des temps, est encore pratiquée en certains pays africains et en Polynésie française, et les liens entre la mère porteuse et la mère "civile" sont maintenues et avec l'enfant bien sûr. Voir, entre autres, Françoise Héritier (qui a succédé à Claude Lévi-Strauss à la chaire d'anthropologie du Collède de France) : contre la GPA ''« pour une raison fondamentale, de principe et cette objection concerne aussi bien la GPA pour les couples hétéro qu’homosexués. Elle ne touche d’ailleurs que la GPA marchande : le don altruiste doit toujours être possible et pourrait être reconnu dans la loi française qui interdit lacommercialisation du corps humain et de ses organes. Il nous faut réfléchir dans ce cadre, qui est sain. »'' entretien du 4 février 2013 dans l’hebdomadaire Marianne. Voir aussi : https://bernard-defrance.net/spip.php?article82 et aussi, de Catherine Dolto : https://bernard-defrance.net/spip.php?article79

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 2 ans
      DUCANADA
      Le but de votre intervention n'est pas très clair, mais vous semblez viser toujours ce que vous appelez la GPA « marchande » (autrement dit, commerciale).

      Or, il n'a jamais été question, ni dans la loi canadienne, ni dans le PL-2 québécois, de légaliser la GPA commerciale, laquelle demeure criminalisée en vertu de la Loi sur la procréation assistée.

      Seule ce que vous appelez la « GPA altruiste » est autorisée, avec seulement certaines dépenses légitimes pouvant être remboursées à la gestatrice. Le PL-2 ne changera pas cela, et ne pourrait le faire étant donné que la question est de compétence fédérale.

      Ensuite, la question du lien entre la gestatrice et l'enfant, à mon avis c'est tout simplement tant pis. Ce lien, en présumant même qu'il existe, est brisé régulièrement dans des situations bien moins auspicieuses que la remise d'un enfant à sa mère génétique ou adoptive qui, voulant tellement de cet enfant, a déplacé des montagnes pour que ça se réalise.

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