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Aide juridique : la défense choisit (elle aussi) la grève

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Jean-francois Parent

2022-06-07 15:00:00

L’ensemble des avocats de la défense de la province estime qu’il est temps de passer de la parole aux actes. Et annonce plusieurs journées de débrayage.

Me Élizabeth Ménard. Source: Archives
Me Élizabeth Ménard. Source: Archives
Ils exigent depuis 2019 que Québec réforme en profondeur le système d’aide juridique : les avocats de la défense passent maintenant à l’action.

Et ils se sont dotés lundi soir d’un mandat de grève de 10 journées, échelonnées sur les prochaines semaines.

La première journée de cette grève est prévue pour le lundi 13 juin prochain, alors que tous les avocats de pratique privée du Québec qui effectuent des mandats de l’aide juridique seront aux abonnés absents pendant toute la journée.

« Partout dans le système, on a besoin d’argent, et il est temps que les choses changent », explique la porte-parole du Comité interassociatif des avocats criminalistes, Me Élizabeth Ménard.

Ce comité regroupe quelque 1 000 avocats de la défense issus de la pratique privée et membres de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense (AQAAD), ainsi que les Associations des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil, de Québec et de l’Outaouais (AADM, AADQ, AADO).

Me Ménard, criminaliste chez Ménard Avocats à Montréal, est également présidente de l’AADM.

Aux journées de grève s’ajoutent plusieurs autres moyens de pression, dont des boycotts ciblés, le refus de tous les nouveaux dossiers, et des retards dans les procédures. « Nous prévoyons trois journées consécutives de retard dans les palais de justice du Québec, la semaine prochaine, en plus d’activités de piquetage prévues » partout au Québec, poursuit Me Ménard.

Le vote de grève tenu lundi soir est concurrent au dépôt du rapport du Groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’aide juridique, présidé par Elizabeth Corte, juge en chef de la Cour du Québec de 2009 à 2016.

La pression monte sur le système de justice : les délais explosent, les juges se rebiffent, d’autres associations d’avocats enclenchent des grèves tournantes, et des milliers de justiciables risquent d’être laissés pour compte.

Élizabeth Corte. Source: Archives
Élizabeth Corte. Source: Archives
Un rapport qui répond à plusieurs doléances

Le rapport de 186 pages, que le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette a reçu fin mai et mis en circulation le 6 juin dernier, comporte pas moins de 181 recommandations visant une réforme structurelle du système d’aide juridique québécois.

Entre autres constats du rapport final soumis par le Groupe Corte, on note qu’une majoration globale des tarifs de l’aide juridique n’est pas viable et ne ferait que « perpétuer le principal défaut de la structure actuelle, c’est-à-dire le fait que les honoraires forfaitaires prévus ne reflètent pas la charge de travail nécessaire à l’accomplissement des services couverts ».

« Nous sommes dans l’ensemble très satisfaits des conclusions du rapport, qui reprennent plusieurs des doléances des avocats de la défense », quant à la difficulté pour les avocats qui prennent des mandats de l’aide juridique de bien représenter leurs clients.

Reconnaissance du travail

Depuis des lustres que les avocats de la défense plaident pour que le travail effectué soit non seulement reconnu, mais aussi rémunéré. Le rapport Corte ébauche plusieurs pistes de solutions pour que l’aide juridique — et les justiciables qui en ont besoin — respecte plusieurs principes de justice fondamentale, telle une représentation pleine et entière des droits de l'accusé.

Me Ménard cite plusieurs exemples de solutions tirées du rapport, dont la prise en compte du temps de préparation des dossiers et, surtout, des changements suggérés pour les enquêtes caution. Tarifées à 150 dollars sous le régime actuel, elles ne sont rémunérées que lorsqu’il y a décision judiciaire.

« Or, la plupart des dossiers sont négociés avant la comparution devant le juge. Sauf que si on arrive à une entente avant de se présenter au tribunal, on n’est pas rémunéré », déplore-t-elle.

Pourtant, le travail reste le même : rencontre du client, de sa famille, lecture du dossier, la préparation de l’audience, et la négociation avec la Couronne. Si cette dernière opte pour la remise en liberté avant de procéder, on peut alors dire adieu au chèque.

« On reconnaît également toute la notion du temps de préparation qui varie selon les types d’infraction », une avancée majeure pour les avocats de la défense, qui plaident depuis tout aussi longtemps pour qu’on tienne compte non seulement de la complexité de certains dossiers, mais du fait aussi que l’on compare depuis longtemps des pommes avec des oranges en standardisant les grilles tarifaires sans égards aux particularités de certains dossiers.

Le ministre de la Justice et procureur général Simon Jolin-Barrette. Source: Radio-Canada
Le ministre de la Justice et procureur général Simon Jolin-Barrette. Source: Radio-Canada
Action rapide exigée

C’est pourquoi les avocats de la défense exhortent le ministre de la Justice à agir rapidement en proposant un plan d’action et un échéancier concret pour implanter la réforme tant attendue.

La première journée de grève prévue pour lundi prochain vise à faire bouger les choses, précise Me Ménard. « Si nous obtenons un engagement précis, rapidement, nous allons revoir notre position », poursuit-elle.

Elizabeth Ménard ajoute que les avocats de la défense auront encore plusieurs journées de grève à leur disposition s’ils estiment que les choses ne bougent pas assez vite. « Avec l’été qui arrive et les élections qui se tiendront en octobre, on craint que le rapport ne soit tabletté », et qu’on ne reconduise tout simplement l’entente intervenue en 2020 pour majorer les tarifs.

Ce qui, en soi et comme l’évoque le rapport Corte, ne changera rien au fond de l’affaire, qui réside dans une réforme structurelle majeure.

Les avocats de la défense accordent quelques jours au ministre Jolin-Barrette, soit jusqu’à la mi-juin, pour qu’il détaille ses intentions et, surtout, pour qu’il s’engage sur le chemin de la réforme. « Nous espérons que l’accessibilité à la justice sera respectée. »

Le cabinet du ministre Simon Jolin-Barrette n’avait pas répondu rapidement à Droit-Inc, qui tentait de savoir si le ministre s'engageait à agir rapidement sur les recommandations du rapport et à fournir un plan d'action et un échéancier.

Les 181 recommandations du Groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’aide juridique, présentées dans le rapport final déposé le 27 mai dernier, sont balisées par plusieurs principes directeurs.

On retrouve ainsi « L’accroissement de l’accessibilité à la justice », alors que le Groupe de travail considère l’aide juridique comme un outil d’accès à la justice pour les citoyens, dont ceux qui sont démunis et plus vulnérables. D’où l’importance d’une structure tarifaire.

Pour accroître cet accès à la justice, il faut que le régime d’aide juridique soit doté d’une structure tarifaire qui fasse le maillage entre l’accès à un avocat compétent et la qualité des services rendus.

On veut également valoriser et rendre plus attrayant le régime d’aide juridique pour les avocats de pratique privée, pour notamment convaincre les nouveaux avocats d’y participer et augmenter la participation des avocats, qui délaissent cette pratique de plus en plus.

On mise en outre sur « le respect de l’avocat de la pratique privée », dont le travail doit être reconnu et occuper une place importante dans le régime.

Il faut également une rémunération juste et adéquate pour les services juridiques
rendus.

Il faut de plus d’établir la simplification administrative fondée sur la gestion du risque, le Groupe de travail étant d’avis « que le très faible niveau de risque actuellement observé dans la gestion du régime se fait au détriment de celui-ci, au désavantage des justiciables, et ne favorise pas l’efficience de l’administration de la justice en général ».

Outre ces éléments, les recommandations s’appuient sur des analyses exhaustives des enjeux communs — les recours extraordinaires, les services aux populations autochtones, la gestion des instances, etc. — et des enjeux relatifs à chacun des domaines du droit, en plus d’aborder la question les débours, de la contribution des stagiaires, et du rôle du Barreau du Québec.

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2 commentaires

  1. A
    A
    Le Barreau et le bâtonnier Grondin sont allés contre une des missions du Barreau lorsqu'ils ont signé l'entente, soit celle de valoriser la profession.

    Grondin l'a dévalorisée hautement en faisant ça.
    On ne peut pas protéger adéquatement le public en lançant le message que les avocats valent pas grand chose. Honte à lui.

  2. Pierre Poulin
    Pierre Poulin
    il y a un an
    Jolin-Barette est incompétant
    Depuis l'arrivée de Jolin-Barette comme PG/Ministre, la justice criminelle à Montréal qui était en voie d'amélioration avec Sonia Lebel à la barre ne cesse de décrépiter très rapidement et sans qu'il ne réagisse urgemment. Pitoyable.

    Pierre Poulin
    Ex-avocat 87-17

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