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La loi no 96, une loi novatrice

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Benoît Pelletier

2022-08-22 11:15:00

Un professeur bien connu examine deux types de mesures que propose la loi no 96, soit les modifications constitutionnelles et les dispositions de dérogation…

L'auteur de cet article, Benoît Pelletier. Source: Courtoisie
L'auteur de cet article, Benoît Pelletier. Source: Courtoisie
La loi no 96, qui a été récemment adoptée par l’Assemblée nationale et sanctionnée, suscite son lot de controverses, portant essentiellement sur la constitutionnalité des dispositions qu’elle contient. Nous porterons ici notre attention sur deux types de mesures de cette loi en particulier, soit les modifications constitutionnelles et les dispositions de dérogation.

Sur le chapitre des modifications constitutionnelles, rappelons que la loi no 96 modifie la Loi constitutionnelle de 1867 (loi de 1867) de façon que celle-ci reconnaisse et affirme que « (l)es Québécoises et les Québécois forment une nation » et que « (l)e français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise ».

Cette modification à la Constitution du Canada — qui porte de surcroît sur la Constitution de la province de Québec — ne peut qu’avoir une portée limitée. En effet, elle ne saurait avoir un impact sur les autres provinces, ni sur l’ordre fédéral de gouvernement, ni sur les relations fédérales-provinciales/territoriales en général. Toutefois, ne nous trompons pas, cette modification n’est pas que purement symbolique, en ce sens qu’elle a force de loi, qu’elle a autorité officielle et qu’elle peut éventuellement servir à l’interprétation de lois québécoises, dont la loi no 96 précisément.

Elle pourrait même servir à l’interprétation de la Constitution canadienne sur des questions n’intéressant que le Québec. Tout cela sera laissé à l’appréciation des tribunaux, que j’encourage d’ailleurs non seulement à confirmer la faisabilité et la légalité de cette modification, mais aussi à la mettre en oeuvre de la façon la plus large possible.

Certains croient que les modifications constitutionnelles accomplies par la loi no 96 n’ont aucune valeur ni aucune autorité juridique puisque, selon eux, elles ne font partie que de la version française de la loi de 1867, laquelle n’est officielle qu’en anglais. Ils sont dans l’erreur la plus totale.

En effet, cette dernière loi comporte quelques dispositions qui ont valeur officielle à la fois en français et en anglais. C’est le cas pour certaines modifications apportées au cours des ans par le Parlement canadien à la loi de 1867, notamment des modifications relatives à la représentation des provinces et des territoires à la Chambre des communes.

C’est aussi maintenant le cas pour les modifications accomplies par la loi no 96. Si le Parlement du Canada a pu dans le passé modifier unilatéralement la loi de 1867 et donner une valeur officielle aux versions française et anglaise de ces modifications, les provinces peuvent aussi le faire. De fait, la portée du pouvoir provincial de modification constitutionnelle équivaut à celle du pouvoir fédéral, dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre des compétences constitutionnelles respectives des deux ordres de gouvernement.

En ce qui touche maintenant les dispositions de dérogation contenues dans la loi no 96, elles portent tant sur l’exclusion de certaines des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés que sur celle de la plupart des dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne.

Les pouvoirs et dispositions de dérogation s’inscrivent en droite ligne dans le respect des principes de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté parlementaire. Ils permettent de rétablir un sain équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Pour bien comprendre de quoi il retourne, il faut savoir que les contextes politiques canadien et québécois se caractérisent par les conditions ou facteurs suivants :
  • le Québec n’a pas adhéré et n’adhèretoujours pas au rapatriement, ni à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 qui a accompagné et formalisé celui-ci ;

  • il existe une forte judiciarisation des enjeux sociaux et politiques ;

  • les cours de justice montrent peu de sensibilité (sauf en paroles) à l’égard de la spécificité québécoise ;

  • la Charte canadienne des droits et libertés se voit donner une interprétation inutilement uniformisante par les tribunaux, ce qui laisse peu de place à l’expression de l’originalité du Québec ;

  • le principe du multiculturalisme heurte de plein fouet celui de l’interculturalisme, ce dernier étant pourtant privilégié par les autorités québécoises ;

  • les pouvoirs dérogatoires constituent l’un des seuls moyens dont dispose le Québec — hormis une autonomie constitutionnelle trop souvent grugée par les tendances centralisatrices du fédéralisme canadien — pour faire valoir ses caractéristiques identitaires nationales à l’intérieur du Canada.


Le fédéralisme canadien broie, dans une certaine mesure, sa diversité intrinsèque, dont le particularisme québécois. Il le fait au nom d’une œuvre d’édification du pays (nation building) qui amène nombre de Canadiens à voir le Canada comme un État unitaire plutôt que comme un État fédéral en tant que tel.

Dans cette perspective, où le Québec se sent de plus en plus étouffé à l’intérieur du Canada, l’usage du pouvoir dérogatoire paraît à la fois légitime et bienvenu, en tant que source constitutionnelle d’expression et d’affirmation de l’unicité identitaire du Québec.

Contrairement à ce que certains prétendent, le gouvernement québécois actuel n’abuse pas du pouvoir dérogatoire. Il ne s’en sert que pour des lois à forte saveur identitaire, contestables judiciairement en raison de l’interprétation par trop discutable que font les tribunaux du cadre constitutionnel. Si ce n’était cette interprétation, l’utilisation du pouvoir dérogatoire par le Québec serait moins nécessaire.

Somme toute, la loi no 96 propose, sur maintes questions, une vision audacieuse et novatrice du droit constitutionnel canadien. Espérons maintenant que les cours de justice sauront faire preuve de compréhension à l’égard de pareils choix collectifs, choix qui relèvent de notre architecture constitutionnelle même, plutôt que de s’y opposer. Après tout, la créativité judiciaire ne doit pas s’appliquer à sens unique, c’est-à-dire dans un sens qui favorise strictement Ottawa. Il en est de même pour la déférence judiciaire à l’égard des décisions des parlements et des gouvernements.

À propos de l’auteur

Benoît Pelletier est docteur en droit, avocat émérite, professeur éminent à l’Université d’Ottawa et ex-politicien. Ce texte est d’abord paru à La Presse.
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4 commentaires

  1. Pierre
    Pierre
    il y a un an
    Excellent texte
    Enfin un texte qui prévoit une interprétation qui devrait aider les juges fédéraux à voir clair dans la spécificité du Québec à l’intérieur du Canada.

  2. Aanonyme
    Aanonyme
    il y a un an
    Wow
    Pas un seul mot d'analyse juridique, que de justifications politiques à saveur nationaliste.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a un an
      Et tout cela venant d'un ex ministre du PLQ !
      Un revirement digne de Me Guy Bertrand!

      Ce texte est problement une commande politique venant d'une faction du PLQ en proie à la panique.

  3. Pirlouit
    Pirlouit
    il y a un an
    Chartiste
    Bien que ça soit novateur d'inscrire ça dans la constitution ma grande peur c'est que les adversaires du Québec prétendent qu'en faisant cela on reconnaît la légitimité de la Charte canadienne même si on ne l'a pas signé.

    Sinon texte hautement intéressant.

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