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Lettre de PKP

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Pierre Karl Péladeau

2010-09-27 08:30:00

Les décisions du président de l’Assemblée nationale sont à l’abri des tribunaux, estime la Cour supérieure. Mais peut-il pour autant faire fi de valeurs aussi fondamentales que la liberté de presse? Le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, s’interroge sur Droit-inc.com…

L’Assemblée nationale doit cesser de bafouer la liberté de presse

En septembre 2009, dans le cours normal de ses affaires, le ''Journal de Québec'' soumettait au Président de l’Assemblée nationale du Québec, l’honorable Yvon Vallières, une demande d’accréditation pour deux de ses journalistes, Donald Charette et Karine Gagnon. Le Journal souhaitait que ces derniers deviennent membres de la Tribune de la presse afin qu’ils puissent bénéficier des avantages y afférents. Le quotidien le plus lu de notre capitale nationale voulait ainsi accroître sa couverture d’une actualité politique riche en débats de société intenses et en commissions d’enquête fertiles en rebondissements. Pour mieux informer ses lecteurs, il souhaitait assigner à cette couverture deux journalistes au talent reconnu, dont l’un, M. Charette, avait même eu le privilège d’être président de cette même tribune quelques années auparavant.

Sous prétexte de ne pas s’ingérer dans le conflit de travail en cours au ''Journal de Montréal'', la Tribune de la presse, formée en très grande partie de journalistes concurrents, a amendé à la hâte son règlement afin d’empêcher l’accréditation de nouveaux membres si ceux-ci étaient à l’emploi d’un groupe de presse où une grève ou un lock-out est en cours, ou, plus arbitrairement, « s’il apparaît évident qu’une grève ou un lock-out est en préparation ». Aucune limite géographique n’est stipulée dans ce règlement. Ainsi, une entreprise comme Quebecor Media inc. pourrait se voir privée d’accréditation à la Tribune de la presse de l’Assemblée nationale du Québec simplement parce qu’il semble évident à certains qu’une grève se prépare dans l’un des hebdomadaires manitobains ou albertains de sa filiale Corporation Sun Media, ou dans l’une de ses divisions ou filiales où sont en vigueur 103 conventions collectives touchant 6650 salariés.

C’est donc en vertu de ce règlement amendé que le Président de l’Assemblée nationale a refusé l’accréditation des deux journalistes du ''Journal de Québec'', où n’a pourtant cours aucun conflit de travail. À l’encontre de la logique qui sous-tend l’amendement exposé plus haut, les journalistes en conflit du ''Journal de Montréal'', Yves Chartrand et Mathieu Boivin, continuent quant à eux de bénéficier de leur accréditation auprès de la Tribune de la presse, et ce, malgré la demande expresse de leur employeur de la révoquer. La Tribune justifie donc son refus d’accréditer deux journalistes du ''Journal de Québec'' par une volonté de non-ingérence dans le conflit du Journal de Montréal, mais elle contribue à alimenter ce même conflit par le maintien de l’accréditation de deux journalistes en lock-out, au mépris de la volonté de leur employeur, le ''Journal de Montréal''. En ne révoquant pas l’accréditation de ces journalistes en conflit, dans les faits, la Tribune appuie clairement ruefrontenac.com, un moyen de pression syndical. En fait de non-ingérence, on a vu mieux. Dans ces circonstances, il est difficile de ne pas conclure que Quebecor Media inc. est victime d’une mesure discriminatoire évidente.

Respectueux du droit, nous avons été forcés de nous adresser aux tribunaux dans l’espoir que les journalistes Charette et Gagnon puissent avoir accès aux mêmes services que leurs confrères des autres médias, et qu’ils jouissent pleinement et librement de la liberté de presse garantie à tout média. Le président de l’Assemblée nationale a avancé devant la Cour supérieure que sa décision de les exclure était à l’abri du regard des cours de justice et que les chartes des droits et libertés protégeant nos droits fondamentaux ne s’appliquaient pas à son institution. La Cour supérieure a rendu le 21 septembre son jugement et a décidé, en application de principes de droit constitutionnel, de se rendre aux arguments du président de l’Assemblée nationale. Les tribunaux, quoi qu’ils pensent de leur légitimité ou de leur justesse, ne peuvent renverser les décisions du Président de l’Assemblée nationale, aussi iniques ou illégitimes fussent-elles. Le Président de l’Assemblée nationale jouit donc d’un pouvoir absolu qui ne peut être remis en cause même si l’exercice de celui-ci devait faire fi de valeurs aussi fondamentales que la liberté de presse, pourtant protégée par les chartes.

L’exclusion des deux journalistes du Journal de Québec a été dénoncée comme étant inacceptable par plusieurs, et non les moindres. Le 1er août dernier, Jean-François Julliard, secrétaire général de Reporters sans Frontières, un organisme international voué tout autant à la protection des droits des journalistes qu'à celle du droit à l’information, fustigeait l’Assemblée nationale dans les termes suivants :

''"À l’approche de la rentrée parlementaire, nous estimons ce silence prolongé préjudiciable à l’image du Québec, de sa démocratie et de l’institution que vous présidez. L’Assemblée nationale du Québec, fût-elle solidaire d’employés sanctionnés par un conflit de travail, ne peut se permettre de rejeter une demande d’accréditation à ses travaux présentée par un groupe de presse, encore moins une demande émanant d’un groupe bénéficiant d’une audience auprès de la population. Le maintien du statu quo attente surtout au principe constitutionnel d’égal accès à l’information publique."''

En réponse à la prise de position de cet organisme, dont la crédibilité en matière de liberté de presse ne peut être remise en doute, le président de l’Assemblée nationale a répondu, le 5 août, qu’il attendait l’issue du procès avant de se prononcer à nouveau sur le dossier. Le procès a maintenant connu son issue et conclu que le pouvoir du président de l’Assemblée nationale est absolu.

Nous nous attendons à ce que la liberté de presse cesse d’être bafouée et que les journalistes Charette et Gagnon puissent dès maintenant bénéficier des mêmes droits et services que leurs collègues membres de la Tribune de la presse. À défaut, force serait de conclure que la solidarité syndicale et le corporatisme le plus étroit priment sur l’application de droits aussi fondamentaux en démocratie que le droit du public à l’information, un droit qui ne peut s’exercer sans le respect de la liberté de presse. Un tel précédent, aussi dangereux sur le plan juridique, aura de plus comme conséquence d’entacher les nobles valeurs d’égalité et de liberté que la société québécoise et son régime parlementaire ont forgées depuis des décennies.

Deux journalistes se voient ici nier le droit d’observer et de rapporter les travaux de nos élus afin d’informer le public.

Nous espérons donc que le président d’une institution qui se veut l’incarnation de la démocratie et de la justice saura répondre favorablement à la requête légitime et juste de nos collaborateurs.

Sur l'auteur
Pierre Karl Péladeau est président et chef de la direction de Quebecor Inc., de Quebecor Media Inc. et de Corporation Sun Media. Sa lettre a été publiée dans le Journal de Montréal. Elle est reproduite ici avec son accord.
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9 commentaires

  1. Le Masque
    Le Masque
    il y a 13 ans
    100% D'accord
    Je n'ai pas particulièrement un grand respect pour le style de management de M. Péladeau, notamment dans la façon qu'il gère ses relations de travail, mais là je trouve qu'il a entièrement raison. C'est incroyable que le président de l'Assemblée nationale puisse s'ingérer comme ça dans un conflit, et prendre indirectement position pour une partie.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    C'est un scandale
    Les défenseurs de la presse se montrent avec cet exemple comme les pires détracteurs de la liberté qu'ils nous ressortent habituellement ad nauseam.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 13 ans
      Re : C'est un scandale
      Vu comme il traite ses journalistes c'est foutrement normal : ça s'appelle un renvoi d'ascenseur, ou rendre la monnaie de la pièce.

      > Les défenseurs de la presse se montrent avec cet exemple comme les pires détracteurs de la liberté qu'ils nous ressortent habituellement ad nauseam.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    Ironique
    Cet exemple est très ironique. Ah ah ah le groupe des gentils journalistes ne seraient pas si gentils.

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    Le système marche sur la tête
    Ce sont aux journalistes d'accrédités ou non leurs pairs ? Est-ce que quelqu'un a pensé confronter ce système aux Chartes?

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    Avec un coup pareil ...
    ... tu comprends pourquoi il a voulu les foutre dehors le PKP. Des emmerdeurs ses journalistes et en plus maintenant liberticides !

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    Anagrame
    Protection
    Koalas
    Plûmés

  7. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    PKP et PFK, même combat...
    ...nous faire bouffer de la merde, sous une forme ou sous une autre !

  8. Me
    Me
    PKP a 100% raison.

    Pour ce qui est de son "style de management", ce qui a été dit est d'une hypocrisie innommable. Il paraît comme un démon détestable lorsqu'on le compare à son père, ce qui est stupide en soi. En toute honnêteté il faudrait le comparer aux autres gestionnaires de son temps... il en ressort alors qu'il est en pleine moyenne, ni trop ferme, ni trop généreux.

    Si son papa avait eu la mauvaise idée de faire pleuvoir ses largesses, c'est son problème. Rien n'oblige un manager de maintenir un tel standard.

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