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La cour fédérale impose un nouveau test à l’OPIC

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Frédéric Venne, Vincent Bergeron Et Valmi Dufour-lussier

2022-09-21 11:15:00

Une récente décision de la Cour Fédérale du Canada impose un nouveau test à l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada…

Frédéric Venne, Vincent Bergeron et Valmi Dufour-Lussier, les auteurs de cet article. Source: Site web de Robic
Frédéric Venne, Vincent Bergeron et Valmi Dufour-Lussier, les auteurs de cet article. Source: Site web de Robic
Des avocats de chez ROBIC en font l’analyse.

Ce test, en accord avec la jurisprudence canadienne, s’annonce notamment utile dans le domaine des technologies implémentées par ordinateur, et devrait rendre plus fiables les opinions préliminaires visant à évaluer si une invention informatique comprend de la matière brevetable.

La Cour Fédérale a rendu, le 17 juin 2022, une décision dans le dossier opposant Benjamin Moore au Procureur général, représentant la Commissaire aux brevets. La Cour renvoie deux demandes de brevet devant l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada (OPIC) pour nouvelle détermination de la brevetabilité sur la base d’une grille d’analyse développée par l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC).

Ces demandes avaient été refusées par la Commissaire comme visant un objet non-brevetable en vertu de l’article 2 de la Loi sur les brevets, lequel définit ce que constitue une invention, et donc de la matière brevetable.

Benjamin Moore en appelle de la décision de la Commissaire de lui refuser deux brevets portant sur un système informatique de sélection de couleurs en fonction des émotions d’une personne.

Cette décision se basant sur la pratique antérieure à la décision Choueifaty, les parties étaient d’accord pour que les deux dossiers soient renvoyés à l’OPIC pour nouvelle évaluation de la matière brevetable, mais ne s’entendaient pas sur les instructions qui devraient être envoyées à la Juge pour la réévaluation des demandes.

L’IPIC, une association professionnelle composée d’avocat.e.s en propriété intellectuelle et d’agent.e.s de brevets et de marques de commerce, a demandé l’autorisation d’intervenir afin de proposer sa propre grille d’analyse de la matière brevetable, car celle proposée par l’OPIC ne semblait pas conforme aux enseignements des tribunaux quant à la manière d’interpréter les revendications.

La matière brevetable à l’OPIC depuis Choueifaty

Jusqu’à Choueifaty, l’OPIC évaluait l’objet brevetable en identifiant d’abord le problème à résoudre par l’invention, puis en établissant la solution proposée au problème. Les revendications étaient ensuite analysées pour en extraire les éléments essentiels à la mise en œuvre de la solution ainsi établie.

Dans ce cadre, une revendication était considérée contenir de la matière brevetable si au moins un de ses éléments essentiels visait un objet brevetable. Cette approche rendait difficile la prédiction des conclusions de l’examen d’une demande de brevet visant une invention implémentée par ordinateur.

Dans la décision Choueifaty, la Cour a affirmé que cette approche dite « problème–solution » était contraire à la jurisprudence de la Cour Suprême du Canada. Suite à cette décision, l’OPIC a publié un avis de pratique évacuant l’approche problème–solution, mais a réintroduit un concept inspiré de la décision Amazon de la Cour d’appel fédérale, qui gravite autour de la notion d’« invention réelle ».

Ainsi, tous les éléments d’une revendication sont présumés essentiels. Néanmoins, l’invention réelle est établie en analysant le problème et la solution, et en ne retenant que les éléments essentiels de la revendication à la mise en œuvre de l’invention réelle.

En pratique, cette approche est légèrement plus permissive, mais elle demeure néanmoins imprévisible et ne respecte toujours pas la jurisprudence canadienne. La grille d’analyse proposée par l’IPIC et adoptée par la Cour fédérale constitue un test en trois parties :
#La revendication doit être interprétée en employant la méthode téléologique;
#La revendication dans son entier doit être analysée afin de déterminer si elle ne vise qu’un simple principe scientifique ou conception théorique, ou si au contraire elle vise une application pratique employant un principe scientifique ou une conception théorique;
#Si une application pratique est identifiée, la revendication est finalement évaluée quant aux autres critères de brevetabilité, à savoir la catégorie statutaire de l’invention (réalisation, procédé, machine, fabrication ou composition de matières), les exceptions judiciaires, la nouveauté, l’évidence et l’utilité.

Pendant ce temps aux États-Unis

En plus d’être conforme à la jurisprudence canadienne, cette grille d’analyse est susceptible de rendre nettement plus fiables les opinions préliminaires visant à évaluer si une invention mise en œuvre par ordinateur comprend de la matière brevetable.

Elle sera assurément employée par la Commission d’appel lorsque cette dernière entendra de nouveau les appels de Benjamin Moore. Plusieurs espèrent que l’OPIC s’en inspirera pour mettre à jour sa pratique.

La Loi américaine prévoie elle aussi que tout procédé, machine, fabrication ou composition de matières nouveau et utile peut être breveté. Cependant, les tribunaux américains ont décidé d’interdire les revendications visant certains objets spécifiques.

Depuis l’arrêt Alice, le bureau américain des brevets et les tribunaux emploient un test en deux étapes pour déterminer si une revendication vise un objet brevetable en dépit des exceptions judiciaires.

Ce test a été appliqué de façon variable par les Cours Fédérales américaines. Les lignes directrices du Commissaire américain aux brevets quant à l’objet brevetable sont désormais volumineuses et appliquées de façon disparate par les Examinateurs, ce qui crée un manque de prévisibilité lors de l’examen des demandes de brevet déposées aux États-Unis.

En décembre 2020, American Axle & Manufacturing a déposé une demande devant la Cour Suprême des États-Unis en appel d’une décision qui invalidait une revendication d’un nouveau mode de fabrication d’un arbre de transmission comme visant une loi de la nature.

À la demande de la Cour Suprême, le solliciteur général a déposé le 24 mai 2022 un mémoire au nom des États-Unis dans lequel il déclare que le test applicable a fortement besoin de clarification et demande à la Cour d’entendre l’affaire.

De manière un peu surprenante, la Cour a rejeté la demande de pourvoi le 30 juin 2022. Il semblerait donc que les praticien.ne.s du droit américain des brevets seront maintenu.e.s dans l’incertitude.

Au vu des récentes décisions, tant au Canada qu’aux États-Unis, il reste toujours difficile de prédire la brevetabilité des inventions en informatique.

À propos des auteurs

Frédéric Venne est agent de brevets chez ROBIC. Il se spécialise dans la rédaction et la poursuite de demandes de brevets et la rédaction d’opinions dans le domaine des sciences physiques et de la chimie. Il est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en génie physique de l’École Polytechnique de Montréal.

Vincent Bergeron est leader du Groupe des Technologies émergentes chez ROBIC. Il se spécialise en matière de protection, de défense et de valorisation des actifs de propriété intellectuelle reliés aux technologies de l’information. Il pratique aussi en matière de vie privée, droit d’auteur, marques de commerce, brevets, dessins industriels et secrets commerciaux

Valmi Dufour-Lussier Anciennement chercheur en intelligence artificielle, Valmi Dufour-Lussier travaille aujourd’hui à titre d’avocat spécialisé en propriété intellectuelle. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences cognitives et d’un doctorat en informatique de l’Université de Lorraine. Il a enseigné l’informatique dans plusieurs universités au Canada et en France.
1880

1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Un cas patent de patente !
    Demande de "brevets portant sur un système informatique de sélection de couleurs en fonction des émotions d’une personne" !


    Il est à espérer que ce veudeux de peinture échoue au stade de l'évaluation de l'utilité.

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