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Revoir le processus : les répercussions du projet de loi C-5 sur les approbations de grands projets et la mobilité de la main-d’œuvre

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Catherine Doyle, Kyle Lambert, Sharon G.k. Singh Et Melissa Stoesser Young

2025-07-03 11:15:09

Quid de l’impact du projet de loi C-5 sur les approbations de grands projets et la mobilité de la main-d’œuvre?

Catherine Doyle, Kyle Lambert, Sharon G.K. Singh et Melissa Stoesser Young (source : McMillan)


Dans le but de réduire les obstacles au commerce interprovincial et d’accélérer les projets d’infrastructure d’intérêt national, le gouvernement fédéral a déposé à la Chambre des communes la Loi sur l’unité de l’économie canadienne (le « projet de loi C-5 » ou « projet de loi »). Ce document est divisé en deux parties.

La première, composée de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, vise à éliminer des obstacles fédéraux au commerce interprovincial des biens et des services et à améliorer la mobilité de la main-d’œuvre. La deuxième, composée de la Loi visant à bâtir le Canada, vise à faire progresser d’urgence les projets d’infrastructure qui servent l’intérêt national, y compris les projets d’énergie.

Nous résumons ci-dessous les points essentiels du projet de loi C-5 et examinons les répercussions potentielles de son adoption.

Partie 1 : Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada

La première partie du projet de loi C-5 vise à favoriser le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre en éliminant les obstacles fédéraux au commerce interprovincial des biens et des services et en améliorant la mobilité de la main-d’œuvre au pays. Historiquement, l’existence de cadres réglementaires fédéraux distincts a suscité des obstacles au commerce intérieur et provoqué des retards dans l’autorisation des biens, des services et des professionnels entre les compétences.

Cette partie du projet de loi rend les exigences provinciales et territoriales comparables à celles des organismes fédéraux en prévoyant les éléments ci-dessous.

Biens et services: Le projet de loi C-5 harmonise la réglementation fédérale aux normes provinciales et territoriales. Les biens produits, utilisés ou distribués conformément à une exigence provinciale ou territoriale sont désormais considérés comme répondant à l’exigence fédérale comparable, pour autant que les exigences 1) portent sur le même aspect ou le même élément du bien, 2) visent à atteindre un objectif similaire et 3) remplissent toute condition prévue par règlement. De même, un service satisfaisant aux normes provinciales est considéré comme répondant à des normes fédérales équivalentes, ce qui réduit, voire éliminera, les dédoublements dans les processus de conformité.

Mobilité de la main-d’œuvre: Les organismes de réglementation fédéraux reconnaîtront désormais l’autorisation d’exercer une profession ou un métier délivrée par un organisme de réglementation provincial ou territorial comme comparable à une autorisation délivrée par un organisme fédéral. Par ailleurs, à la demande du titulaire de l’autorisation provinciale ou territoriale, l’organisme fédéral délivrera une autorisation d’exercer cette profession ou ce métier.

En d’autres mots, les travailleurs accrédités (les ingénieurs et les personnes de métier, par exemple) qui sont autorisés à travailler dans une province seront reconnus au niveau fédéral, ce qui améliorera la mobilité de la main-d’œuvre en permettant aux personnes autorisées dans une province d’exercer la même profession ou le même métier dans n’importe quel territoire fédéral.

Pouvoir réglementaire: Pour améliorer la fluidité et réduire les délais, le projet de loi C-5 permet au gouvernement fédéral (gouverneur en conseil) de prendre des règlements qui éliminent les obstacles au commerce interprovincial des biens et des services ainsi qu’à la mobilité de la main-d’œuvre.

Cette nouvelle loi favoriserait une coordination plus efficace des projets dans le secteur infrastructurel en éliminant les obstacles persistants à la réalisation rapide des projets. En 2021, le Business Council of Alberta a conclu que les obstacles interprovinciaux équivalaient à des « droits de douane » de 6,9 % sur les biens échangés au Canada. Le projet de loi vise à réduire ce coût. Les consommateurs auraient ainsi plus de facilité à acquérir certains biens grâce à leur abordabilité accrue, tandis que les promoteurs de projets d’infrastructure devraient réaliser des améliorations opérationnelles et des économies de coûts notables.

Partie 2 : Loi visant à bâtir le Canada

La deuxième partie du projet de loi C-5 vise à accélérer le processus réglementaire pour les projets d’infrastructure que le gouvernement fédéral désigne comme étant d’intérêt national. De tels projets ont pour objet « d’accroître la prospérité, la sécurité nationale, la sécurité économique, la défense nationale et l’autonomie nationale du Canada ». En plus de simplifier le processus d’approbation, le projet de loi vise à protéger l’environnement et les droits des Autochtones, y compris les droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « Déclaration des Nations Unies »).

À ces fins, la deuxième partie du projet de loi prévoit les éléments ci-après.

Désignation des projets d’intérêt national: Le projet de loi C-5 permet au gouverneur en conseil de désigner des projets d’infrastructure comme étant d’intérêt national. Pour ce faire, il peut tenir compte de tout facteur qu’il estime pertinent, notamment dans quelle mesure le projet peut « a) renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada, b) procurer des avantages économiques ou autres au Canada, c) avoir une forte probabilité de mise en œuvre réussie, d) promouvoir les intérêts des peuples autochtones et e) contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques ».

Disposition de présomption: Une fois qu’un projet est désigné comme étant d’intérêt national, les décisions rendues et les conclusions et avis formulés pour qu’une autorisation soit accordée à l’égard du projet sont réputés rendues ou formulés en vue d’approuver le projet. Cette disposition ne donne aucun critère d’approbation, elle ne fait qu’énoncer la méthode d’approbation réglementaire. Elle n’exempte donc pas les promoteurs de l’obligation de se conformer à la législation pertinente.

Processus d’approbation accéléré: Une fois qu’un projet est désigné comme étant d’intérêt national, le ministre doit délivrer au promoteur un seul document d’autorisations et de conditions si a) le ministre est convaincu que le promoteur du projet a pris toutes les mesures qu’il est tenu de prendre à l’égard de chaque autorisation qui est précisée dans le document; b) le ministre a consulté le ministre responsable du texte législatif au titre duquel chaque autorisation est requise, relativement aux conditions dont le document devrait être assorti; c) les peuples autochtones dont les droits reconnus et confirmés par l’article 35 pourraient être lésés par la réalisation du projet sont consultés. Un projet d’intérêt national qui est également soumis à la Loi sur l’évaluation d’impact est en outre exempté de certaines exigences de cette dernière, notamment la période de 180 jours durant l’étape préparatoire.

Protection des droits des Autochtones: Avant de recommander qu’un projet soit désigné comme étant d’intérêt national, le ministre doit consulter tout autre ministre fédéral compétent, tout gouvernement provincial ou territorial compétent et les peuples autochtones dont les droits reconnus et confirmés par l’article 35 pourraient être lésés par la réalisation du projet. Il doit aussi consulter les peuples autochtones avant de délivrer ou de modifier le document d’autorisations et de conditions.

Consultation d’organismes de réglementation: Si un projet relève du mandat de la Régie Canada — Terre-Neuve-et-Labrador de l’énergie extracôtière, de la Régie Canada — Nouvelle-Écosse de l’énergie extracôtière, de la Commission canadienne de sûreté nucléaire ou de la Commission de la Régie canadienne de l’énergie, le ministre doit consulter ces organismes de réglementation. Si la Commission canadienne de sûreté nucléaire ou la Commission de la Régie canadienne de l’énergie sont concernées, le ministre ne peut délivrer ou modifier un document, à moins d’avoir reçu de leur part la confirmation qu’elles sont convaincues que la délivrance ou la modification ne compromettent pas la santé ou la sécurité des personnes, la sécurité nationale ou le respect par le Canada de ses obligations internationales.

Disposition de temporisation: Le processus d’approbation accéléré concernant les projets d’intérêt national sera en vigueur durant un délai fixe de cinq ans suivant l’adoption du projet de loi C-5. Par la suite, aucun nouveau projet de ce type ne pourra y être soumis, à moins que le délai ne soit prolongé par voie législative.

Pouvoir d’exemption aux lois et règlements: Le projet de loi C-5 permet au gouverneur en conseil d’exempter des projets d’intérêt national de l’application d’une loi ou d’un règlement, ou de modifier l’application d’une loi ou d’un règlement à leur égard, y compris les dispositions de la Loi visant à bâtir le Canada.

Enjeux potentiels

Bien que le projet de loi C-5 comporte de nombreux éléments favorables pour les promoteurs de projets d’infrastructure, sa mise en œuvre soulève certaines préoccupations d’ordre juridique et pratique. Vous en trouverez quelques-unes ci-dessous.

Désignation des projets d’intérêt national: La partie sur la Loi visant à bâtir le Canada résumée plus haut confère au gouvernement fédéral le pouvoir de désigner et d’accélérer les « projets d’intérêt national ». Désigner et autoriser un ensemble de projets qui bénéficieront des dispositions de cette loi constituera un défi tant sur le plan politique qu’opérationnel, d’autant plus que des termes comme « obstacles » et « intérêt national » ne sont pas encore clairement définis. Il faudra voir comment la désignation et l’autorisation des projets s’effectueront en pratique.

Interaction avec les autorités provinciales: Il s’agit d’un fait important. Bien que les dispositions de la Loi visant à bâtir le Canada réduisent le nombre d’exigences fédérales en matière d’approbation des projets désignés, les promoteurs continueront, selon toute vraisemblance, de devoir faire appel aux ministères et organismes provinciaux pour faire avancer les projets d’intérêt national. En revanche, plusieurs provinces ont récemment adopté des lois pour simplifier leurs processus à cet égard.

Surveillance environnementale: Pour assurer la confiance du public, tout processus d’approbation accéléré doit respecter et être considéré comme respectant des « normes rigoureuses en matière de protection de l’environnement ». Les organismes de réglementation peuvent éprouver des difficultés à mettre en place rapidement les conditions nécessaires à l’atteinte des objectifs de chaque texte législatif sous le régime duquel une autorisation sera requise pour les projets où les études environnementales requises n’auront pas été effectuées et les données de base pertinentes n’auront pas été rassemblées.

Article 35, Déclaration des Nations Unies et réconciliation: Le projet de loi C-5 n’en est encore qu’au début de l’étape de deuxième lecture à la Chambre des communes que déjà des groupes autochtones de partout au pays soulèvent des préoccupations sur le contenu de la Loi visant à bâtir le Canada et la façon dont le projet a été déposé à la Chambre des communes. Dans la mise en œuvre d’un projet de loi, il faut bien garder à l’esprit les leçons tirées de certains litiges très médiatisés portant sur de grands projets.

Analyse et conclusion

Le projet de loi C-5 reflète l’ambition du gouvernement fédéral récemment affirmée dans un discours du Trône : éliminer tous les obstacles fédéraux au commerce intérieur et à la mobilité de la main-d’œuvre d’ici la fête du Canada. Il reflète également la volonté du gouvernement d’accélérer les projets d’infrastructure d’intérêt national « qui permettront de raccorder le Canada, de resserrer les liens entre le Canada et le reste du monde et de créer des emplois bien rémunérés pour des générations à venir ».

Pour les promoteurs et les entrepreneurs de projets d’infrastructure, le projet de loi C-5 offre des avantages opérationnels. La tentative de simplifier la mobilité de la main-d’œuvre par la reconnaissance accélérée des attestations professionnelles pourrait réduire certains retards d’intégration transfrontaliers, bien que l’embauche dans le cadre de projets d’infrastructure demeure largement de compétence provinciale. Pour éliminer efficacement les obstacles à l’embauche de main-d’œuvre qualifiée dès le début d’un projet et à mi-parcours pour résoudre les problèmes de retards ou de productivité, il faudra d’abord le faire à l’échelle provinciale. Certaines provinces, dont le Québec, ont exprimé leur volonté en ce sens pour les projets relevant de leur compétence. Il semble aussi probable que les provinces proposant de réduire le nombre d’obstacles s’attendent à une réciprocité.

Bien que le projet de loi C-5, dans sa version actuelle, ne désigne pas de projets en particulier, la récente Déclaration des premiers ministres du Canada, des provinces et des territoires sur le renforcement de l’économie canadienne et l’avancement des grands projets a mis en évidence la nécessité au Canada d’« infrastructures structurantes et (de) corridors » tels que les autoroutes, les chemins de fer, les ports, les aéroports, les pipelines, les projets nucléaires, les projets d’énergie propre et conventionnelle, les systèmes de transport d’électricité et les infrastructures à double usage dans les communautés du Nord et de l’Arctique.

Comme nous l’avons déjà souligné, la redondance et l’inefficacité des processus réglementaires gouvernementaux entraîneront des coûts plus élevés et des délais plus longs pour tous les participants aux processus de délivrance de permis et d’approbation dans le cadre de grands projets d’infrastructure. L’absence de certitude à long terme quant à l’obtention des approbations et des permis pose des défis particuliers pour les promoteurs de ces projets qui nécessitent des dépenses en immobilisations élevées et qui ont une longue durée de vie opérationnelle.

Même si, grâce au projet de loi C-5, le gouvernement fédéral vise à éliminer ces défis en offrant une plus grande certitude réglementaire à l’égard d’un ensemble de projets défini, nous nous attendons à ce que les promoteurs de projets continuent de réduire la redondance et l’inefficacité des processus réglementaires en général afin d’attirer les dépenses en immobilisations nécessaires à la construction et au soutien d’autres grands projets d’infrastructure que ceux de cet ensemble.

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, bien que ce projet de loi concerne la réglementation fédérale, plusieurs provinces ont annoncé entreprendre des efforts similaires pour harmoniser la réglementation provinciale et accélérer l’aménagement en infrastructure. En Ontario, le projet de loi 2, Loi de 2025 pour protéger l’Ontario en favorisant le libre-échange au Canada (le « projet de loi 2 ») et le projet de loi 5, Loi de 2025 pour protéger l’Ontario en libérant son économie (le « projet de loi 5 ») ont reçu la sanction royale le 5 juin 2025.

L’adoption récente de ces lois illustre l’approche coordonnée en matière d’élimination des obstacles interprovinciaux (voir notre résumé du projet de loi 2 et du projet de loi 5). La Colombie-Britannique, quant à elle, a déposé le projet de loi 15, Infrastructure Projects Act, qui vise à faire avancer certains projets d’infrastructure publics et privés (voir notre résumé du projet de loi).

À propos des auteurs

Catherine Doyle, associée chez McMillan, concentre sa pratique sur le financement par emprunt, le financement de projets, la construction, les infrastructures et les partenariats public-privé.

Kyle Lambert est un avocat plaidant chez McMillan spécialisé en arbitrages complexes.

Sharon Singh est cocheffe du groupe de pratique Droit des Autochtones et Environnement de McMillan.

Melissa Stoesser Young, avocate en droit commercial chez McMillan, est membre du groupe Ressources naturelles et énergie.

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