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Maltraitance des aînés : Québec poursuivi au civil

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Radio -canada

2022-09-22 13:15:00

Le gouvernement du Québec est poursuivi au civil pour la maltraitance présumée des aînés lors de la première vague de la COVID-19…

Me Gérard Samet. Source: Archives
Me Gérard Samet. Source: Archives
Dans le cadre d’une poursuite civile, deux familles réclament au gouvernement du Québec 9 millions de dollars en dommages pour la maltraitance présumée de leurs parents hébergés en résidence pour aînés lors de la première vague de COVID-19.

Patrick Dumont, Emmanoel Makris et sa sœur, Vickie Vassiliki Makris, réclament chacun des dommages punitifs de 3 millions de dollars en raison d'un « laxisme des règles sanitaires pratiquées lors de la première vague de la pandémie au printemps 2020 » et d’un « manque flagrant de consignes entourant la sécurité des résidents et du personnel ».

Selon le document déposé à la Cour supérieure du Québec le 9 septembre dernier, cette poursuite vise la Maison Wilfrid-Grignon, le Groupe Santé Arbec, le CHSLD Pavillon Philippe-Lapointe, le CISSS des Laurentides et le Procureur général du Québec (pour le gouvernement du Québec et pour le ministère de la Santé).

Selon l’avocat au dossier, Me Gérard Samet - mieux connu sous le sobriquet de Super Samet pour les lecteurs de Droit-inc -, on réclame ces montants en dommages punitifs d’abord et avant tout « pour que ça ne recommence plus ».

« Le système n’a pas bien fonctionné. Il faut qu’il y ait des conséquences. On a laissé des personnes mourir dans des conditions épouvantables. On n’a pas pris de précautions, même si on savait que [le virus] était contagieux et grave », dit Me Samet.

« Pour moi, ce qui est important, c’est d’obtenir justice. Tout le monde le sait, nos aînés ont été sacrifiés », dit Patrick Dumont, qui espère qu’un jugement en leur faveur poussera le gouvernement à améliorer les soins aux aînés.

M. Makris croit qu’une poursuite est la seule façon de faire en sorte que le gouvernement fasse tout en son pouvoir pour qu’une telle tragédie ne se reproduise pas.

« Je me sens comme une victime du gouvernement du Québec pour ce qu'il a fait non seulement à ma famille, mais aussi à beaucoup d'autres familles à travers la province », mentionne-t-il.

Cette poursuite s’ajoute ainsi au recours collectif de 500 millions de dollars autorisé par la Cour supérieure en octobre 2019 contre le gouvernement provincial pour le traitement « honteux » des résidents des centres d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD).

Lancé par le Conseil pour la protection des malades (CPM), ce recours vise le gouvernement du Québec ainsi que 22 CISSS et CIUSSS qui administrent des CHSLD.

Appelé à réagir à l'annonce de cette nouvelle poursuite, Paul G. Brunet, président-directeur général du CPM, estime qu'« il n'y aura jamais assez de poursuites pour faire comprendre à l'État que ce qu'il n'offre pas aux personnes hébergées en termes de quantité et de qualité de soins et de services, il le paiera en compensations ».

M. Brunet reconnaît que ce recours collectif risque de prendre plusieurs années avant d’aboutir. « La grande majorité des personnes victimes de cette maltraitance seront décédées », déplore-t-il.

C’est d’ailleurs pourquoi MM. Makris et Dumont ont choisi l’avenue d’une poursuite au civil dans l’espoir qu’un jugement soit rendu plus rapidement.

Rappelons également qu’une entente de 5,5 millions de dollars a été conclue le 31 mars 2022 entre les résidents du CHSLD Herron, les membres de leurs familles et les propriétaires de cette résidence privée pour personnes âgées en perte d’autonomie.

Allégations de négligence

Le document présenté à la cour cite de nombreux reportages dans les médias qui décrivent la situation chaotique qui régnait dans de nombreux CHSLD ainsi que les témoignages de MM. Makris et Dumont.

Despina Pafou, la mère d'Emmanuel Makris, qui habitait la résidence intermédiaire Wilfrid-Gagnon, à Sainte-Adèle, a été infectée au début de mai 2020. Pourtant, dit M. Makris, la direction de cette résidence continuait de dire aux familles que tout était maîtrisé. « J’ai su que la situation était affreuse quand j’ai lu des articles de journaux. »

Son fils allègue que sa mère a été laissée à l’abandon lorsqu’elle a été placée en isolement dans une chambre. Les travailleurs n’avaient pas l’équipement ni le soutien nécessaires pour affronter la pandémie, déplore-t-il. « Les gens avaient trop peur pour venir la voir. »

M. Makris raconte qu’après plusieurs jours, sa mère, paniquée, a réussi à appeler la police. « Elle leur a dit : ''J'ai froid, j'ai faim, j'ai soif, je suis enfermée dans une pièce et je ne peux pas sortir.'' » Selon M. Makris, les policiers auraient trouvé une résidence en plein chaos et Mme Pafou gisant par terre dans sa chambre.

Despina Pafou a été conduite à l'hôpital, où elle est décédée le 17 mai 2020. M. Makris a seulement pu constater son déclin et dire ses adieux par iPad. « Elle est morte de la pire des manières que je puisse imaginer : isolée, seule, terrifiée », dit-il.

« Tout cela a ruiné ma vie et j’essaie encore de comprendre ce qui s’est passé. C’est une douleur que je ne peux pas décrire et une douleur qui est vécue par des milliers de familles », ajoute M. Makris.

Mouvements de personnel infecté

Le père de Patrick Dumont, André Dumont, a été infecté en avril 2020. C’est un travailleur d’une agence privée venu prêter main-forte qui a transmis le virus à plusieurs résidents.

M. Dumont raconte avoir lui aussi appris l'existence de l’éclosion en écoutant les nouvelles. Il dit que sa famille a subi énormément d’anxiété, ne sachant pas ce qui se passait. « Tout était secret, c’était l’omerta. (...) J'ai appelé, mais je n’ai jamais eu de retour d'appel. J’ai compris que le message était qu'il ne fallait pas en parler. »

Tous les résidents du Pavillon Philippe-Lapointe ont fini par être infectés.

Le père de M. Dumont a survécu à sa première infection, mais a été infecté à deux reprises avant sa mort, survenue en octobre 2021, des complications de la COVID-19.

« On leur fait confiance pour prendre soin de nos aînés. Ils n’étaient pas préparés à ça, ils manquaient d'équipement, de personnel, de formation », dit-il.

Selon Me Samet, ces familles craignent par ailleurs que le rapport de la coroner Géhane Kamel sur les décès survenus en CHSLD soit relégué aux oubliettes. Dans son rapport d'enquête publique, la coroner a affirmé qu’il y a eu « rupture du contrat moral et sociétal » en laissant mourir des dizaines de patients en CHSLD dans des « conditions épouvantables ».

Le CISSS n’a pas souhaité commenter cette poursuite et Santé Arbec n’a pas répondu à nos courriels.

Demande d'excuses

Selon M. Dumont, le gouvernement, le CISSS et le système de santé « ont échappé » la gestion de la pandémie. Il dénonce aussi l’indifférence des autorités. « Il y a eu zéro empathie, zéro compassion. »

C’est d’ailleurs pourquoi M. Dumont souhaite que le premier ministre sortant François Legault présente des excuses formelles à toutes les familles d’aînés en résidence. « S’il avait des couilles, ça se produirait », dit-il sans réserve.

M. Dumont s’explique mal pourquoi, pendant la campagne électorale actuelle, les partis n’osent pas parler de la situation catastrophique qui a régné dans les CHSLD à l'époque.

« Je suis très étonné. On a la mémoire courte au Québec. Ils parlent du troisième lien, du tramway, de l’inflation. Ces choses sont importantes, mais on ne peut pas faire semblant que ça n’a pas existé. »
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