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Huis clos et non-publication

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Catherine Morissette

2013-10-28 14:15:00

La poursuite civile de Joël Legendre contre son ex-gérant, qui serait également son ex-conjoint, révelée hier par le Journal de Montréal n'en finit pas de déchainer les passions. Coming out forcé ou information publique? L'avocate Catherine Morissette analyse avec une grande finesse cette question.

J’ai eu une conversation très intéressante hier soir sur Twitter, avec Véronique Robert, Marie-Claude Barrette, Nadia Seraiocco, Marie Vaillant et même Jeff Fillion.

Le sujet? La poursuite civile de Joël Legendre contre son ex-gérant, qui serait également son ex-conjoint, dont les détails se sont retrouvés dans le journal de Montréal (donc aussi dans le journal de Québec) quelques jours à peine après l’ouverture du dossier au Palais de justice.

Le texte est ici.

Certains parlent de coming-out forcé de monsieur Legendre, qui n’avait jamais parlé publiquement de son orientation sexuelle. D’autres répliques en faisant remarquer que le registre des poursuites civiles est public.

Mais ce qui a retenue mon attention est l’avant-dernière phrase de l’article : « L’animateur réclame aussi au tribunal que les procédures soient tenues à huis clos et sous une ordonnance de non-publication. »

Personnellement, j’y vois un problème d’éthique de la part du journaliste.

En effet, la publication des détails de la requête avant qu’un juge ait eu le temps de se prononcer sur cette demande de monsieur Legendre, rend presque inapplicable une éventuelle ordonnance de non-publication.

Et ça le place dans une position très délicate si un juge accorde effectivement une ordonnance de non-publication.

Mais ce journaliste a fait le choix d’écrire et de publier un article sur des faits qui sont publics par défaut, sauf si un juge décide du contraire, alors qu’il vive avec sa décision et supporte le jugement des gens qui désapprouvent son geste.

Revenons à nos moutons juridiques : qu’est-ce qu’un huis clos et une ordonnance de non-publication? Qui peut l’obtenir? Qu’est-ce que ça implique?

C’est l’article 13 du Code de procédure civile qui s’applique :

''13. Les audiences des tribunaux sont publiques, où qu’elles soient tenues, mais le tribunal peut ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.''

''Cependant, en matière familiale, les audiences de première instance se tiennent à huis clos, à moins que, sur demande, le tribunal n’ordonne dans l’intérêt de la justice, une audience publique. Tout journaliste qui prouve sa qualité est admis, sans autre formalité, aux audiences à huis clos, à moins que le tribunal ne juge que sa présence cause un préjudice à une personne dont les intérêts peuvent être touchés par l’instance. Le présent alinéa s’applique malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12).''

''Les règles de pratique peuvent déterminer les conditions et les modalités relatives à l’application du huis clos à l’égard des avocats et des stagiaires au sens de la Loi sur le Barreau (chapitre B-1).''

Donc, dans un dossier de matière familial, le huis clos est automatique. Mais selon la 2e phrase du 2e alinéa de cet article, les journalistes peuvent tout de même assister à une audience qui est tenue à huis clos.

Pour tout autre dossier civil, la règle de base est le caractère public des audiences, à moins qu’un juge n’ordonne le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.

Pour ce qui est des documents versés au dossier de la Cour, c’est le Règlement de procédure civile qui nous dit que :

'' 2. Accès aux registres et dossiers. Toute personne peut avoir accès aux dossiers de la Cour ainsi qu’aux registres du greffier et du shérif, à leur bureau respectif, tous les jours juridiques, du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 16 h 30.''

Un dossier de la Cour ne peut être consulté qu’en présence du greffier. Si ce dernier est empêché d’y assister, il exige une reconnaissance écrite qui doit demeurer au dossier.

Donc, puisque les journalistes peuvent quand même assister aux audiences et qu’ils ont accès aux documents facilement (et même en obtenir des copies gratuitement), le huis clos accordé par un juge ne servirait à rien s’il n’est pas accompagné d’une ordonnance de non-publication.

Avec les années, la Cour Suprême du Canada a élaboré des critères qui doivent être appliqués lorsqu’une ordonnance de non-publication est demandée par un justiciable.

Voici ce que la Cour a dit :

''Une ordonnance de confidentialité (…) ne doit être rendue que si :''

''1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;''

''2. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.''

'' Et :''

'' Le risque en cause doit être réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve et menace gravement l’intérêt commercial en question.''

L’historique de l’élaboration de ce critère se retrouve dans ce jugement de la Cour supérieure, rendu en 2007.

Petite parenthèse : les dossiers en matière familiale se tiennent automatiquement sous huis clos, mais pas nécessairement sous ordonnance de non-publication.

Par contre, il y a un autre article du Code de procédure civile qui intervient :

''815.4. Aucune information permettant d’identifier une partie à une instance ou un enfant dont l’intérêt est en jeu dans une instance ne peut être publiée et diffusée, à moins que le tribunal ou la loi ne l’autorise ou que cette publication et cette diffusion ne soient nécessaires pour permettre l’application d’une loi ou d’un règlement.''

En outre, le juge peut, dans un cas particulier, interdire ou restreindre, pour le temps et aux conditions qu’il estime justes et raisonnables, la publication ou la diffusion d’informations relatives à une audience du tribunal.

C’est pour cette raison que nous avons pu avoir plusieurs détails dans le dossier de Lola contre Éric, sans que leur vrai nom, ou fonction, n’ait été utilisés (même si dans la réalité, nous en avons su beaucoup plus que ce que la Loi permet).

Bref, je ne suis pas juge et je ne connais pas tous les faits du dossier, donc je ne peux pas déterminer si monsieur Legendre aurait eu des chances d’obtenir une ordonnance de non-publication. Mais je pense qu’il avait une grande côte à remonter.

J’ignore s’il va aller de l’avant avec cette demande, il faut dire qu’il reste probablement beaucoup d’informations à être versées au dossier, entre autre la version de la partie défenderesse. Monsieur Legendre pourrait trouver nécessaire d’interdire la publication de ces informations supplémentaires.

En terminant, je me permets un autre commentaire éditorial : je doute fortement que le journaliste ait mis la main sur cette requête simplement parce qu’il est allé fouiller au plumitif au bon moment.

À mon avis, soit que la partie adverse lui ait fait parvenir la requête, ou c’est un employé du palais de justice qui l’a fait. Mais je ne crois pas du tout à ce genre de coïncidence!

Nous le saurons peut-être un jour!

Note: Ce texte a été originalement publié sur le blogue Catherine Morissette Avocate. Il est reproduit ici avec l'autorisation de l'auteure.
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6 commentaires

  1. Felipe
    Felipe
    il y a 13 ans
    Lien de causalité
    - Joel Legendre n'est plus chez TVA
    - TVA appartient à Quebecor
    - Le Journal de Montréal appartient à Quebecor

    C'est tout.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    L'intérêt public
    Le problème éthique n'aurait pas été le même si M. Legendre n'avait pas été discret sur sa vie privée et s'il avait utilisé son orientation professionnelle à des fins promotionnelles.

    Prenez par exemple le cas de Mme Pauline Marois. Que les registres publics indiquent qu'elle emprunte à la Banque ROYALE du CANADA, succursale de Westmount plutôt qu'auprès d'une institution québécoise pour acquérir sa résidence de Charlevoix ne serait pas vraiment d'intérêt public si elle ne s'affichait pas comme souverainiste et si elle n'avait pas dénoncé le symbole qu'aurait représenté la reconstitution de la bataille des Plaines d'Abraham...

    Je doute que le J de M en parle...

  3. GBS
    GBS
    Le JdM est pas fin.

    PKP est pas fin.

    Je n'aime pas Joel Legendre, mais lui, il est fin.

    Alors je suis pas content de JdM et de PKP.

    Je vais flusher Videotron. Dès que j'aurai un service similaire disponible pour ma TV et Internet.

    Mme service à la clientèle: est-ce que je peux vous demander pourquoi vous mettez fin à votre abonnement?

    GBS: Parce que PKP me fait chier.

    Voilà. Je suis convaincu que ça lui apprendra...

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    Re : L'intérêt public
    > Le problème éthique n'aurait pas été le même si M. Legendre n'avait pas été discret sur sa vie privée et s'il avait utilisé son orientation professionnelle à des fins promotionnelles.
    >

    Orientation sexuelle au lieu de professionnelle. Excusez le lapsus.

  5. grangalo
    grangalo
    il y a 13 ans
    joël legendre pas une grande nouvelle
    Franchement il n'y a rien là pour s'énerver je ne pense pas qu'il y est tant de personnes que ça qui sont surprises par cette nouvelle. Je trouve cela juste platte qu'il se sente inconfortable avec son orientation, ça ne change pas ses qualités en tant que personne et il a toujours le même talent. Cela démontre que le Québec n'est peut-ètre pas aussi ouvert qu'on le dit en matière d'homosexualité. C'est bien cute dans les téléséries mais bien du blabla dans la vrai vie.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Anonyme
      Que le Quèbec soit ouvert à l'homosexualité est une chose, mais la publicité des décisions juridiques est maintenant mondiale et c'est ce dont il faudrait tenir compte avant de publier les décisions et avant de forcer le coming-out de personnes qui visiblement refusent de le faire.
      Peut-être que Joël Legendre voulait éviter de mettre sa vie en danger lors de futurs voyages dans des endroits où l'homosexualité n'est pas tolérée du tout.

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