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Violences conjugales : mieux armer les avocats face aux victimes

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Sonia Semere

2022-11-02 13:15:00

Juripop vient d’organiser une journée de formation pour les avocats. L’objectif ? Leur donner des outils pour mieux épauler les victimes de violences conjugales. Entretien…

 Mes Sophie Gagnon et Justine Fortin Source: LinkedIn
Mes Sophie Gagnon et Justine Fortin Source: LinkedIn
Vendredi 28 octobre dernier s’est tenu le tout premier Juri RDV. 150 avocats et représentants d’organismes d’aide étaient au rendez-vous.

Au programme de cette journée ? Des conférences et des ateliers destinés à mieux former les avocats sur les réalités des violences conjugales.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les enjeux étaient particulièrement importants. Alors que les drames au sein des familles ne cessent de faire la une de l’actualité, les avocats se retrouvent, quant à eux, désarmés face aux victimes qu’ils doivent représenter.

Constatant leurs lacunes et leur manque de connaissances sur ce sujet, l’organisme Juripop a mis en place plusieurs outils pour permettre aux avocats de mieux comprendre les dynamiques qui s’installent dans le cadre d’une relation violente.

Droit-inc a rencontré les deux organisatrices de cet événement, Me Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop et Me Justine Fortin, directrice des programmes en violences conjugales et sexuelles pour l’organisation.

Comment avez-vous senti ce besoin de la part des avocats d’être mieux formés sur les problématiques de violences conjugales ?

Justine Fortin : En mars 2020, au moment du premier confinement, il y a des maisons d’hébergement qui se sont mises à faire de l’éducation sur les réseaux sociaux. Elles étaient là pour dire aux femmes victimes de violences conjugales : « oui on est en confinement mais si vous vivez de la violence, vous pouvez quand même fuir ». Et c’est vraiment là qu’on s’est dit que cela allait engendrer des impasses juridiques sur le droit de la famille.

On a alors rapidement mis en place une ligne téléphonique pour les victimes de violences conjugales. On a reçu, tous les jours, des dizaines d’appels de victimes qui ne connaissaient pas leurs droits ou qui étaient déjà représentées par un avocat mais qui considéraient qu’elles ne recevaient pas un service juridique adéquat.

Malgré la bonne volonté de leur avocat, on voyait une véritable incompréhension sur la réalité des violences. C’est vraiment là qu’on a constaté la nécessité pour les avocats de recevoir une formation, d’avoir des outils pour mieux représenter les victimes et mieux comprendre leur réalité.

Concrètement, comment se traduisent ces lacunes ?

J-F : Sans que cela ne parte d’une mauvaise intention, on remarque que la situation de violence conjugale va être réduite par l’avocat à une voie de fait alors que la recherche montre qu’il s’agit plutôt d’un ensemble de stratégies violentes. Cela passe notamment par le contrôle et la violence psychologique…

Et finalement, en réduisant la violence à un acte physique, quand l’avocat va plaider devant le tribunal, il ne va pas tenir compte de la chose la plus importante dans le contexte de la violence conjugale : la sécurité de la victime.

Juri RDV fait suite au rapport Rebâtir la confiance publié en 2020 qui faisait état des enjeux et des mesures à mettre en place pour aider les victimes de violences conjugales et sexuelles. De quelle manière votre événement répond-il à ces attentes ?

Sophie Gagnon : Le rapport a vraiment martelé l’importance que les victimes et les survivantes de violences conjugales puissent compter sur les services des avocats. Avec notre organisme Juripop on a été mandaté par le ministère de la Justice pour donner suite à cette recommandation.

On a vraiment mis un plan d’action pour assurer la formation des avocats et avocates de pratique privée. Le Juri RDV c’est le premier événement qui rassemblait en personne à la fois les avocats et nos partenaires. Sur notre site web, on a également des formations gratuites pour lutter contre les violences conjugales et les violences sexuelles.

Pourquoi avoir limité cette journée de formation aux violences conjugales et ne pas avoir abordé les questions de violences sexuelles ?

J-F : Nos travaux sur les violences conjugales chez Juripop ont commencé dès mars 2020. On était donc vraiment en capacité de partager des constats mais aussi des mesures mises en pratique ces dernières années.

Nos travaux sur les violences à caractère sexuelle sont plus récents. En revanche, on peut déjà annoncer que les Juri RDV de 2023 seront également consacrés aux violences sexuelles.

Revenons sur les thématiques abordées au cours de l’évènement. Dans une de vos conférences, vous évoquez la concertation socio-judiciaire. Pourquoi est-elle si importante dans l’accompagnement des victimes ?

J-F : La concertation socio-judiciaire c’est le simple fait pour toutes les personnes allouées autour d’une victime de travailler ensemble avec un objectif commun. C’est un point qui n’est pas abordé durant les études de droit.

Quand on est à l’école, on n’apprend pas à appeler les intervenants de la personne qu’on représente, à faire appel à son réseau d’aide ou même à être en lien avec son médecin de famille.

En violences conjugales, la concertation socio-judiciaire, c’est notamment un moyen d’éviter les féminicides. Ce qu’on constate en tant qu’avocat de droit de la famille, c’est qu’on a un rôle très important à jouer. On va être présent pour le divorce, la séparation, le temps parental et la pension alimentaire. On a donc probablement accès à des informations privilégiées qui peuvent sauver des vies.

Ce qu’il faut vraiment dire aux avocats, c’est qu’ils ont un rôle à jouer dans la concertation. La DPJ, le DPCP, l’avocat en droit de la famille, la police et les intervenants en maison d’hébergement doivent pouvoir se parler. Tout le monde doit pouvoir communiquer, c’est vraiment ce qui va faire une différence.

Avec du recul, que diriez-vous de l'accueil fait par les avocats face à cette formation ? Avez-vous senti un engouement de leur part ?

J-F : Tout d’abord je tiens à évoquer le nombre de mails que j’ai reçu après la formation, de personnes intéressées à participer à la prochaine édition. Pour moi, cela est synonyme d’une réussite.

C’est un réel vent de fraîcheur pour les avocats en droit de la famille parce qu’on peut souvent avoir la sensation qu’on est seul et isolé. Là, il y avait 150 personnes qui vivaient la même réalité et à qui on donnait des outils pour mieux travailler.

Finalement, est-ce que votre constat de départ s’est révélé juste concernant leurs lacunes en matière de violences conjugales ?

J-F : Je pense qu’il s’agit surtout d’un manque de connaissances. On a pu le voir dans les ateliers pratiques. En début d’atelier, les avocats avaient une certaine posture et puis cette posture changeait à la fin.

S-G : Pour moi, c’est aussi très important de contextualiser nos travaux. La société dans son ensemble comprend encore très mal ce qu’est la violence conjugale. On pense encore que la violence conjugale prend fin avec la séparation.

Cette incompréhension de la part de la société, elle va aussi se ressentir à l’intérieur du système de justice. Les avocats, ce qu’on leur apprend sur les bancs de l’école, c’est le droit, ce sont les lois, on n’apprend pas vraiment le contexte social de nos pratiques. C’est donc essentiel de miser sur la formation hors des bancs de l’école pour sensibiliser les avocats.

Selon vous, pourquoi les violences conjugales suscitent aujourd’hui un intérêt particulier de la part des personnalités politiques et du milieu de la justice ?

S-G : C’est sûr que le mouvement #MoiAussi a jeté un pavé dans la mare depuis maintenant plus de 5 ans. Pour avoir été au front de ce mouvement là, je constate que les décideurs et les élus se sont vraiment saisis de ces questions et ont mesuré l’ampleur du décalage entre les attentes des victimes de violences conjugales et la réalité du système de justice.

Il faut aussi rappeler la hausse drastique et sérieusement inquiétante des féminicides au Québec depuis ces deux dernières années. Ces évènements marquants ont vraiment fait en sorte que plusieurs volets de la société dont la communauté juridique souhaitent contribuer activement à la fin de ces violences et répondre aux besoins des victimes.
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4 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    violences - armer - face aux victimes
    Amis et amies du bon goût, bonsoir...

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Titre douteux
    "mieux armer les avocats face aux victimes"

    Il serait plus sympathique de "mieux armer les avocats face aux batteurs de femmes"

  3. Aanonyme
    Aanonyme
    il y a un an
    Le mot juste
    Vous ne trouvez pas que "mieux ===outiller=== les avocats face aux victimes" aurait été une formulation préférable?

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Mauvais jeu de mots
    Le titre m'a fait sursauter: "violences conjugales", "armer", "face aux victimes"... Je me suis demandé si les avocats se faisaient agresser par les victimes.

    "Mieux équiper", "mieux outiller", "mieux former"... Il y a l'embarras du choix

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