Source: Shutterstock
Source: Shutterstock
854 employés ont démissionné des palais de justice du Québec, en trois ans…

C’est toutefois à Montréal qu’il y en a le plus avec 309 départs volontaires. Les autres palais de justice ayant le plus haut taux de démissions sont ceux de Gatineau, Longueuil, Québec et St-Jérôme.

Ces informations proviennent d’une compilation de dossiers réalisée par le ministère de la Justice, suite à une demande d’accès à l’information. Droit-Inc a pu obtenir copie de ce document.

Dans celui-ci, il y est inscrit le nombre de départs des employés (greffière-audiencière, technicienne en droit, agente de bureau et adjointe à la magistrature) par palais de justice et par an, du 28 novembre 2019 au 18 novembre 2022.

Gatineau: 64 départs (mutation 7, retraite 2, démission 55)

Longueuil: 77 départs (mutation 17, retraite 4, démission 56)

Montréal: 404 départs (mutation 52, retraite 43, démission 309)

Québec: 130 départs (mutation 28, retraite 16, démission 86)

St-Jérôme: 58 départs (mutation (10), retraite (4) et démission (44)

Le vice-président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), Patrick Audy, se dit surpris de voir autant de démissions dans les palais de justice.

« Au syndicat, nous représentons environ 2500 personnes dans cette catégorie d’emploi-là. Avec ces données, nous constatons qu’il y a pratiquement 35% des gens qui ont démissionné en trois ans. C’est du jamais vu. Je ne pensais pas que l’ampleur du problème était aussi grande », dit-il choqué.

Selon le vice-président, cette vague de démissions pourrait s’expliquer par de mauvaises conditions de travail et le manque de personnel.

« L’effet est double. Tout d’abord, les conditions de travail du secteur public ne suivent plus le marché du travail depuis au moins 20 ans. Aussi, il y a de plus en plus de postes vacants dans les palais de justice, ce qui fait en sorte que les employés doivent faire le travail pour deux ou même trois personnes », ajoute-t-il.

Conditions de travail

Plusieurs employés du secteur public choisissent de quitter les palais de justice pour les cabinets d’avocats, les entreprises privées, le municipal ou même le ministère de la Justice du Canada, où les conditions de travail sont plus intéressantes.

Dans un article de La Presse publié en décembre 2022, on apprenait qu’une technicienne de 2e niveau (sur 3 niveaux) « peut gagner 41,27 $ de l’heure, avantages et vacances compris, soit 27% de moins qu’au privé et 44% de moins qu’au municipal ».

Toutes ces démissions causent de la surcharge de travail chez le peu d’employés restant. Il n’est pas rare de voir des greffiers ou des adjoints à la magistrature faire des heures supplémentaires et travailler dans des délais serrés pour compenser pour le manque de personnel, ce qui provoque de la fatigue supplémentaire.

C’était le cas de Marie Blazy qui était adjointe à la magistrature au palais de justice de Montréal. Elle a démissionné de ses fonctions en janvier dernier, après environ 10 ans d’expérience.

Marie Blazy travaillait pour deux juges à temps plein et 17 juges à la retraite. Elle s’est fait offrir une promotion pour devenir technicienne en droit. Qui dit promotion dit augmentation de salaire pour l’ancienne agente à la magistrature.

« En discutant avec mes collègues, j’ai découvert que j’allais gagner 4000$ de moins par an avec ce nouveau poste. Ce n’était pas une promotion, c’était une fausse promotion », explique-t-elle.

En voyant ses collègues quitter chaque semaine le palais de justice pour travailler au fédéral, au municipal ou dans des entreprises privées, Marie Blazy commençait à trouver l’ambiance de travail lourde.

« Je voyais plusieurs de mes collègues quitter pour des raisons de maladie, puisqu’elles tombaient en dépression à cause de la surcharge de travail », ajoute-t-elle.

Le peu de possibilité d’avancement de carrière au palais de justice a aussi peu à peu fatigué l’ancienne adjointe à la magistrature. « J’avais l’impression d’être coincée dans du sable mouvant. Plus j’essayais de m'en sortir, plus je m'enfonçais », mentionne-t-elle.

Aujourd’hui Marie Blazy travaille comme cheffe du service administratif de Vues et Voix. « Là où je suis, il y a de la reconnaissance pour notre travail. Pas comme au palais de justice », conclut-elle.

Manque de main-d'œuvre

À Montréal, en janvier 2023, 18 juges se retrouvaient sans adjointes et 35 autres juges se retrouvaient avec une couverture non conforme au protocole. Cela représente environ 37 % des juges de la division de Montréal. Ces chiffres augmentent de mois en mois.

Dans la division de Québec, trois juges demeuraient sans adjointes. S'ajoutent à cela un poste de technicienne en administration au bureau de la juge en chef associée non pourvu depuis plusieurs mois.

Dans une lettre rédigée le 3 avril dernier par les juges de la Cour supérieure et dont Droit-Inc a pu obtenir copie, on dénonce le manque de main-d’œuvre dans les palais de justice au Québec.

« Avec autant de postes non comblés, les adjointes qui demeurent en poste doivent toujours en faire plus et plusieurs nous verbalisent leur découragement. Cela n’est sans doute pas étranger à l’exode dont témoigne le haut taux de roulement recensé dans les palais de justice », dénoncent les juges.

En plus des postes vacants qui manquent à tous les niveaux, les juges constatent un roulement de personnel important et une perte d’expertise dans des postes clés, dont celui de maître des rôles.

« La stabilité de nos jugements, une assise pourtant fondamentale d’un État de droit, s’avère même fortement menacée. En effet, il n’est pas rare que l’avis de jugement soit envoyé aux parties des semaines après la signature des jugements rendus; ce qui prolonge d’autant le délai d’appel prévu dans la loi, retarde l’exécution du jugement parfois tant attendu et crée des incertitudes pour les citoyens », peut-on lire dans la lettre.

Dans la lettre, les juges mentionnent qu’ils perdent beaucoup de temps à effectuer des tâches qui reviennent normalement à leurs adjointes, notamment, la tenue et la recherche de dossiers, la recherche de procédures et de pièces, les communications avec le greffe, les avocats et les parties non représentées, la révision de jugement et la gestion proprement dite de leur bureau.

« Il s’agit d’une très mauvaise utilisation du temps des juges. Cela réduit le temps consacré à procéder à des audiences, à des conférences de gestion ou à des conférences de règlement à l’amiable, allonge le temps de rédaction des jugements et diminue la qualité matérielle des jugements publiés », dénoncent-ils.

Ils ajoutent: « Tout cela a assurément un impact sur la qualité de la justice, de même que sur les délais à être entendus et à obtenir jugement. Les citoyens sont les plus grands perdants ».

Selon Patrick Audy, les juges dans cette lettre avertissent le ministère de la Justice qu’il va bientôt y avoir un point de rupture dans les palais de justice.

« Quand ça vient de la magistrature qui s’inquiète sur les prestations des palais de justice et de la justice en général, c’est assez préoccupant. Ça fait du bien de voir que nous ne sommes pas les seuls à dénoncer cette situation », conclut-il.