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ARC : des documents secrets lèvent le voile sur une fraude alléguée de 4,99 M$

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Radio Canada

2025-10-30 10:15:10

Des sources proches de l’Agence recommandent une enquête externe pour colmater les brèches dans ses systèmes de sécurité.


L'Agence du revenu du Canada tente de récupérer un remboursement de 4,99 millions de dollars accordé par erreur il y a deux ans - source : Radio-Canada / Yosri Mimouna


Disant avoir été bernée par des renseignements « faux ou trompeurs », l’Agence du revenu du Canada tente encore de récupérer un remboursement de 4,99 millions de dollars accordé à une petite entreprise à faible revenu il y a deux ans. Selon des documents internes obtenus par l’émission The Fifth Estate de CBC et Radio-Canada, le paiement à Distribution Carflex Inc. est tombé à quelques dollars près du seuil de 5 millions de dollars qui aurait requis un examen supplémentaire pour que le chèque soit émis.

Une source au fait des procédures internes à l’ARC affirme que les systèmes informatiques semblent avoir été déjoués par des manœuvres fiscales qui auraient dû soulever des questions à l’interne avant l’émission du paiement.

Cette transaction aurait dû être examinée par un être humain, mais elle ne l’a pas été, et ça pose problème, a déclaré une source qui connaît les procédures internes de l’ARC. Le nombre de prescriptions d’opioïdes en baisse au Canada CBC/Radio-Canada a accordé la confidentialité à cette source, qui n'est pas autorisée à discuter du fonctionnement interne de l'ARC ou de dossiers fiscaux spécifiques.


Une source au fait des procédures internes à l’ARC affirme que les systèmes informatiques semblent avoir été déjoués par des manœuvres fiscales qui auraient dû soulever des questions à l’interne avant l’émission du paiement - source : Radio-Canada / Félix Desroches

Si le seuil de 5 millions de dollars avait été atteint, les vérificateurs de l'ARC auraient procédé à un examen manuel de la déclaration de revenus et auraient pu remarquer des irrégularités potentielles, indiquent cette source et les documents confidentiels. Carflex a obtenu ce remboursement de 4,99 millions de dollars en affirmant avoir payé des impôts sur un gros gain en capital, bien que les dossiers en preuve devant les tribunaux n’indiquent pas qu’elle avait précédemment procédé au paiement.

Le remboursement émis pour Carflex a d’abord soulevé des questions à la Banque TD, l'institution où l'argent a été déposé, qui en a ensuite informé l'ARC, selon les documents confidentiels. L’émission The Fifth Estate et Radio-Canada ont déjà levé le voile sur une série de dossiers controversés à l’ARC, qui a versé de gros remboursements sans effectuer de vérifications de base, touchant ainsi à la vie privée de dizaines de milliers de contribuables et soulevant des questions sur la crédibilité de l'Agence auprès du public.

Le propriétaire et l'avocat de Carflex n'ont pas pu être joints par courriel ou par téléphone pour commenter. Selon les documents déposés au tribunal, ils ont défendu la validité de leurs transactions et se sont opposés aux tentatives de l'ARC de geler les fonds. Devant la Cour fédérale, l’ARC allègue que Carflex doit remettre les 4,99 millions de dollars au gouvernement, ajoutant que cette firme n’avait pas droit à ce remboursement.

L'ARC relève de la responsabilité du ministre des Finances, François-Philippe Champagne - source : Radio Canada / La Presse canadienne / Adrian Wyld

« Carflex a elle-même créé la situation de trop-payé par l’ARC alors que ses manœuvres pour créer le remboursement sont pour le moins questionnables, si ce n’est frauduleuses », ont déclaré les fonctionnaires de l'Agence en cour.

Demande d’enquête externe

L'ARC utilise un certain nombre de seuils pour déterminer quels dossiers peuvent être traités électroniquement et lesquels nécessitent un examen manuel.

Ces seuils sont utilisés à l’interne et ne sont pas divulgués publiquement. Toutefois, des fraudeurs cherchent constamment à profiter de failles en soumettant de fausses déclarations pour obtenir des remboursements qui tombent tout juste sous ces sommes, a déclaré cette source à CBC/Radio-Canada.

Selon un document confidentiel, les employés de l’ARC se sont rendu compte, après avoir amorcé leurs vérifications dans le dossier Carflex, qu’il n’y avait aucune mesure de prévention en vigueur pour ce genre de situation. Des sources près de l’ARC croient que le gouvernement devrait lancer une enquête externe sur les mesures de sécurité et de lutte contre la fraude. Cette agence relève de la responsabilité du ministre des Finances, François-Philippe Champagne.

« L'Agence ne peut pas s'autoréglementer : elle en est incapable. Elle fera simplement en sorte que les choses aient l'air meilleures qu'elles le sont pour éviter la surveillance », a affirmé une source. « Ça ne dépend pas du ministre responsable : il s'agit d'un comportement administratif bien ancré ».

Une autre source a ajouté que l’Agence devrait être assujettie à une enquête externe complète.


Cela fait maintenant deux ans qu'Ottawa a déposé sa requête en Cour fédérale à Montréal - source : Radio-Canada / Sébastien Labelle
Une série de transactions complexes

La Cour fédérale tente actuellement de démêler les transactions complexes qui ont conduit à l'affrontement juridique entre l’ARC et Distribution Carflex Inc.

Dans une décision rendue en juin, le juge de la Cour fédérale Yvan Roy a déclaré que le remboursement de 4,99 millions de dollars semblait avoir été généré artificiellement. Après avoir examiné les dossiers judiciaires, deux experts fiscaux de l'Université McGill ont déclaré que les fonctions automatisées de l'ARC n'ont apparemment pas remarqué que Carflex réclamait un remboursement pour une facture d'impôt de 2021 qui n’aurait pas été payée.

« Clairement, si vous avez un humain dans le dossier, on va se rendre compte assez vite qu'il y a un problème », constate Raphaël Clément, un avocat fiscaliste et étudiant au doctorat qui a analysé les documents soumis devant les tribunaux avec la professeure de droit Allison Christians.

Raphaël Clément, avocat spécialisé dans le domaine du droit fiscal - source : Radio-Canada / Denis Wong

« Dans les systèmes de l'Agence, tout ce qu'on voit, c'est que l'ARC doit 5 millions de dollars à Carflex. Le remboursement est envoyé dans le compte bancaire sans plus de questions. Tout ça se fait de façon automatique, ajoute-t-il. Pour obtenir un remboursement, il faut avoir préalablement payé (les impôts) ».

Carflex était une entreprise relativement petite qui avait déclaré des dépenses de 380 000 $ en 2020-2021 et seulement 242 000 $ de revenus, selon les dossiers judiciaires.

Des employés de la Banque TD ont remarqué en avril 2023 que le chèque de 4,99 millions de dollars émis pour Distribution Carflex Inc. avait été déposé dans un compte récemment ouvert par une autre entreprise. La Banque TD a alerté l'ARC, qui a alors commencé à examiner les déclarations de Carflex et de son propriétaire, Yvan Drapeau.


Des employés d'une succursale de la Banque TD à Laval ont été les premiers à remettre en question le dépôt de 4,99 millions de dollars - source : Radio-Canada
Un condo à Montréal

Avant que l'agence fédérale ne parvienne à faire geler les fonds dans le compte bancaire de la TD, Yvan Drapeau avait versé au moins 1,5 million de dollars pour l’achat d’un condominium de 2 millions de dollars à Montréal, selon les dossiers judiciaires. Après que son compte bancaire eut été gelé, il a affirmé par écrit qu'il était prêt à se battre pour obtenir le reste de l'argent.

« J'ai parlé à mon avocat ce matin et, à défaut de transférer la somme à ma notaire au (cours) de la présente journée et de m'en fournir une preuve, nous ferons ce qu’il faut pour vous forcer à le faire en procédure d'injonction. La banque n'a pas à me priver de mes liquidités sans préavis et à me mettre dans une situation précaire », a écrit Yvan Drapeau.

L'ARC cherche à interroger le partenaire commercial d’Yvan Drapeau dans cette transaction, Jean-François Malo. Quelques jours après l'achat du condo, la propriété a été transférée à une entité du nom de Fiducie Annie qui, selon les dossiers judiciaires, est sous le contrôle de ce dernier.

Jean-François Malo a invoqué le privilège avocat-client pour éviter de répondre aux questions de l'ARC, affirmant que les fonds liés à cette transaction avaient été transmis par l'intermédiaire d'un notaire. Le juge Roy a rejeté cette justification dans une décision rendue en juin, déclarant que l'existence d'une relation notaire/avocat-client n'a en aucune manière été établie. Par conséquent, le juge a sommé Malo de répondre aux questions de l'ARC dans cette affaire.

Yvan Drapeau avait déjà dépensé au moins 1,5 million de dollars pour l’achat d’un luxueux condominium avant que la Banque TD ne gèle les fonds du compte bancaire - source : Radio-Canada

En réponse aux questions de Radio-Canada, l’ARC a refusé de commenter le dossier Carflex, mais elle a affirmé qu’elle était prête à utiliser tous les moyens nécessaires pour récupérer les dettes fiscales, y compris par la voie des tribunaux. Le stratagème allégué aurait débuté en 2023 quand Carflex a modifié sa déclaration pour l'exercice 2021 en y ajoutant un gain en capital de 32,9 millions de dollars sans aucune pièce justificative, selon les informations fournies par l’ARC devant les tribunaux. Ce gain en capital a entraîné une charge fiscale de 7 millions de dollars. Cependant, Carflex n'a jamais payé cette somme, allègue l’ARC.

L’agence fédérale allègue que l'entreprise a ensuite déposé une déclaration de revenus pour l'exercice 2022, selon laquelle Carflex avait versé 13 millions de dollars en dividendes à ses actionnaires. Ces dividendes auraient permis à l’entreprise d’obtenir un remboursement partiel de 4,99 millions de dollars sur sa facture fiscale de 7 millions de dollars.

L’expert en droit fiscal Raphaël Clément se demande pourquoi l’Agence a remboursé de l’argent qu’elle n’aurait pas reçu. « C’est là où j’ai des questions au sujet des systèmes de l’ARC », lance-t-il.

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