Avocate de la Fonderie Horne et présidente du C. A. de Recyc-Québec en même temps

Radio -Canada
2022-12-21 13:15:00

Deux ex-cadres de Recyc-Québec avec qui nous avons discuté estiment qu'il y a une « apparence de conflit d'intérêts ». C'est aussi l'avis d'un expert en recyclage et d'un professeur spécialisé en droit et en éthique. De son côté, le gouvernement, qui l'a nommée, n'y voit pas de problème.
Selon certaines sources, le double chapeau de Karine Joizil a mis mal à l'aise certaines personnes à l'intérieur de Recyc-Québec, inquiètes pour l'image de la société d'État. Des avocats du ministère de l'Environnement auraient eux aussi grincé des dents en découvrant qu'elle plaidait contre le ministère lui-même.

Karine Joizil a plutôt plaidé le contraire, défendant un argument selon lequel il s'agissait de secrets commerciaux dont la divulgation pourrait nuire à la compétitivité de la multinationale.
L'avocate a refusé de répondre à nos questions. Nous avons toutefois appris qu'elle s'est retirée du dossier quelques semaines après que Radio-Canada a commencé à poser des questions. Entre-temps, la Fonderie Horne a perdu sa cause, en septembre, mais elle a porté l'affaire en appel.
Recyc-Québec ne subventionne pas la Fonderie Horne et n’intervient pas dans le processus d’autorisation ou de contrôle des activités industrielles, pas plus que dans l’application du Règlement sur les matières dangereuses.

Afin de gérer le programme de récupération et de valorisation des produits électroniques, Recyc-Québec a signé une entente avec l’Association pour le recyclage des produits électroniques (ARPE-Québec). La Fonderie Horne est un des points de dépôt de l'ARPE.
Deux chapeaux contradictoires ?
Selon Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, la présidente du C. A. de Recyc-Québec a pris « des décisions professionnelles qui vont à l’encontre d’un gouvernement qui l’a nommée à un poste de très hautes fonctions ».
Un avis partagé par Jeannot Richard, ex-vice-président de la société d'État de 2002 à 2013 : « Elle porte deux chapeaux qui pourraient être contradictoires. »
« Il y a certainement d’autres dossiers dans son cabinet d’avocats qui pourraient lui être donnés (et) qui ne sont pas directement en lien avec le recyclage et même l’environnement. »
Selon Mario Laquerre, ex-directeur à Recyc-Québec de 2008 à 2016, cette affaire « assombrit l’image de Recyc-Québec ». Il pense que l'avocate aurait dû se retirer beaucoup plus tôt et confier ce dossier à quelqu'un d'autre. « Dans un cabinet, il n’y a pas juste un avocat. Ça aurait été mieux de l’éviter », dit-il.

Karine Joizil a le statut d'« administratrice indépendante » et n'est pas rémunérée par Recyc-Québec. « Nous ne pouvons donc évidemment pas demander à Mme Joizil de ne pas gagner sa vie », a répondu à Radio-Canada le cabinet du ministre de l'Environnement, Benoit Charette.
Cet argument ne satisfait pas l'ancien vice-président Jeannot Richard.
« Elle a le droit de gagner sa vie, mais elle devrait démissionner du conseil d’administration, dans ce cas, pour se concentrer sur son travail d’avocate. »
Karine Joizil n'a pas répondu aux questions que nous lui avons adressées. Son cabinet d'avocats nous a répondu que « McCarthy Tétrault a pour politique de ne jamais commenter les dossiers de nos clients et de ne pas divulguer si nous avons agi ou non pour le compte d’une organisation ».
Il n'a pas non plus été possible d'obtenir des réponses à ce sujet de la part de la société d'État : « La direction de Recyc-Québec ne peut légalement et éthiquement pas commenter le sujet, qui relève de la gouvernance au sein du conseil d'administration. »
La Fonderie Horne a aussi décliné notre demande : « Glencore Canada ne commente pas des allégations concernant des tierces parties. »
Pas de problème, selon le ministre Charette
Selon le cabinet du ministre de l'Environnement, « les intérêts de Recyc-Québec ne sont pas en cause » dans cette affaire. Il ajoute que « Mme Joizil travaille pour un grand cabinet d’avocat et est ainsi appelée à représenter de multiples compagnies et individus, dont certains ont des différends avec le gouvernement ».
« Comme il s’agit ici d’un recours qui relève de l’accès à l’information et non des pratiques environnementales, la situation m'apparaît conforme aux attentes que nous avons envers la présidente du C. A. »
La réponse du gouvernement surprend Karel Ménard puisque au cœur des plaidoiries se trouvait un article de la Loi sur la qualité de l’environnement. « Ce n’est pas seulement une question d’accès à l’information : on a une compagnie qui pollue l’environnement depuis plusieurs années, notamment par la valorisation de matières des produits électroniques, dont Recyc-Québec est partie prenante. »

Ce spécialiste du droit de l'information croit aussi que dans ce dossier, « l'accès à l'information et les enjeux environnementaux se mêlent ».
« Au minimum, il y a une apparence de conflit d'intérêts. »
Nous avons cherché à savoir si Karine Joizil avait déclaré un conflit d’intérêts au Secrétariat aux emplois supérieurs. Bien qu'il ait été plusieurs fois relancé, le Conseil exécutif ne nous a pas répondu.
D'autres causes défendues par l'avocate
Karine Joizil avait déjà représenté la Fonderie Horne dans une autre cause jugée en février 2022. L'entreprise était alors opposée au CISSS de l'Abitibi-Témiscamingue. L'entreprise tentait d’obtenir les données brutes de l’étude de la santé publique sur la contamination à l'arsenic et à d'autres métaux lourds des enfants du quartier Notre-Dame.
Le juge a conclu qu'il s'agissait de données personnelles qui auraient permis d’identifier les participants à l’étude.
L'avocate a aussi défendu la Société des alcools du Québec (SAQ) en 2021 dans un dossier d'accès à l'information. « La SAQ est un très gros joueur dans le traitement des matières (résiduelles) », rappelle Mario Laquerre, et elle s'est longtemps opposée à la consigne voulue par Recyc-Québec avant de s'y rallier.
Karel Ménard pense que cela a dû être difficile pour la présidente de prendre position dans des dossiers comme celui-là. Selon lui, « dans certains cas, elle peut être juge et partie ». Il se demande « jusqu’à quel point elle peut influencer les positions de la société d’État ».
Le conseil d'administration a notamment la responsabilité d’adopter le plan stratégique de Recyc-Québec.
Le directeur des relations intergouvernementales d'Équiterre, Marc-André Viau, pense lui aussi que ces différents dossiers placent Karine Joizil en situation d'« apparence de conflit d'intérêts », ce qui aurait le potentiel de « miner la crédibilité » de cette « institution importante ».
Il rappelle que le gouvernement Legault a aussi nommé, au mois de mai 2022, une vice-présidente d'Agropur, Stéphanie Benoit, au conseil d'administration de Recyc-Québec. Or, Agropur a mené une campagne pour s'opposer à l'élargissement de la consigne aux contenants de lait.
Nous avons appris que Stéphanie Benoit n’est plus membre du conseil d’administration de la société d’État depuis le mois de septembre. Contacté par Radio-Canada, Agropur a expliqué que c’est l’horaire des réunions du conseil qui ne convenait plus à Mme Benoit.
Le mandat de Karine Joizil à la tête du C. A. de Recyc-Québec a été renouvelé l'an dernier jusqu'en 2026.
Anonyme
il y a 2 ansÉvidemment Me Joizil a le droit de gagner sa vie comme avocate… mais la légitimité du Conseil d’administration de Recyc-Québec se trouve affectée par cette révélation. Est-ce que l’avocate ne devrait pas simplement démissionner du CA?
A
il y a 2 ansElle n'aimait pas la pratique du droit.
Pendant qu'elle était chez Fasken elle a tout faire pour devenir députée. Candidature après candidature, élection apès élection.