Cour suprême : application plus large du droit à l’avocat
Jean-francois Parent
2022-05-03 12:15:00
« La Cour suprême établit clairement que les policiers doivent s'abstenir de miner la relation de confiance entre un suspect et son avocat », analyse la criminaliste Mairi Springate, qui pratique au cabinet qui a plaidé pour l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Me Springate, du cabinet Jean-Claude Dubé Avocats, agissait comme intervenante devant la Cour suprême.
Lorsqu’il est arrêté en 2013 par les policiers de Gatineau, Patrick Dussault est accusé de meurtre et d’incendie criminel. On l’informe alors de son droit à consulter un avocat en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il téléphone alors à Me Jean-François Benoit, qui lui explique les accusations pesant contre lui et son droit de garder le silence.
Mais voilà, l’avocat a l’impression que Patrick Dussault ne comprend pas, et propose de se rendre au poste de police pour le rencontrer en personne. L’accusé est d’accord, les policiers aussi. Me Benoit conseille à son client de garder le silence en l’attendant. Arrivé au poste, les policiers refusent que Me Benoit rencontre son client, en plus de dire à ce dernier que l’avocat ne s’est pas présenté. Un interrogatoire suit, et Patrick Dussault s’incrimine, ce qui mènera à un verdict de culpabilité pour meurtre au second degré.
Lors de son procès en Cour supérieure, Patrick Dussault a tenté de faire invalider sa déclaration incriminante, au motif que ses droits avaient été violés, mais la juge Hélène Di Salvo rejette l’argument. La Cour d’appel a cassé le jugement de première instance en juin 2020, lequel a été porté devant la Cour suprême, qui vient d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
En règle générale, les policiers sont tenus de respecter le droit de parler à un avocat, mais pas de permettre l’assistance juridique en continu. Sauf quand les policiers agissent pour miner la confiance d’un prévenu envers son avocat, ce que la police gatinoise a clairement fait dans ce cas, tranche la Cour suprême.
Dans l’affaire Dussault, « deux actes distincts du policier ont, ensemble, eu pour effet de miner les conseils juridiques donnés à l’accusé », écrit le juge Michael Moldaver, qui motive la décision.
On a d’abord laissé entendre que l’accusé allait pouvoir rencontrer son avocat suite à l’appel téléphonique. Puis, « en refusant de permettre l’avocat de rencontrer l’accusé, les policiers ont effectivement faussé une prémisse importante des conseils de l’avocat », poursuit la Cour, induisant l’accusé en erreur.
Finalement, ce dernier s’est senti abandonné par son avocat et s’est mis à table. Ce sont ces aveux qui sont contestés, et leur invalidité qui incitent le tribunal à ordonner la tenue d’un nouveau procès.
« La Cour a remis la relation avocat-client au cœur de la protection offerte par l'article 10(b) de la Charte, poursuit Me Springate, qui ajoute que la jurisprudence a eu tendance à restreindre ce qui constitue cette notion de dénigrement de l'avocat au dénigrement verbal. En fait, la Cour vient dire que tout comportement qui a pour effet de miner la relation de confiance avec l'avocat », constitue une violation.
Me Springate se félicite donc que la Cour suprême ait clarifié le droit applicable à ces situations. « Que la violation soit intentionnelle ou non, qu’elle ait été faite de mauvaise foi ou pas, il y a plusieurs façons dont la confiance envers l’avocat peut être minée par les policiers », dit-elle.
Dans son opinion unanime, la Cour suprême estime ainsi que « la conversation initiale qu’ont un avocat et un accusé permet normalement de satisfaire au droit de ce dernier d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Toutefois, si les policiers amènent l’accusé à mettre en doute les conseils juridiques qu’il a reçus ou la fiabilité de l’avocat qui lui a donné ces conseils, ils doivent fournir à l’accusé une autre possibilité de s’entretenir avec un avocat ».
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui a appelé du jugement de la Cour d’appel, était plutôt d’avis que le coup de fil avait permis de respecter les droits de l’accusé. Le DPCP était représenté en Cour suprême par Mes Isabelle Bouchard et Justin Tremblay.
Patrick Dussault était pour sa part représenté par Me Célia Hadid et Michel Marchand, de Raby, Dubé, LeBorgne.