Honoraires à pourcentage : faut-il reconnaître les cessions de créance ?

Julien Vailles
2018-06-18 15:00:00

Cette cause a contribué à changer les façons de faire chez Revenu Québec. L’année suivante, notamment, l’ARQ adoptait, dans un souci de transparence, la Charte des droits des contribuables.
Ironie du sort : Me Agnaou n’a jamais touché le pourcentage qui lui revenait dans cette affaire. La Cour supérieure a refusé de reconnaître une cession de créance opérée entre ses clients et lui; il a donc dû recourir à un règlement avec ceux-ci.
Comme le démontre le dossier Enico, l’avocat, qui souhaite redorer l’image de la profession, a à cœur les intérêts des moins nantis. « Les parties qui ont moins de ressources financières ont aussi des points importants à faire valoir », rappelle Me Agnaou. D’où la nécessité de recourir à des modes de facturation alternatifs avec eux, comme la tarification à pourcentage en cas de victoire.
Or, estime l’avocat, les règles actuelles découragent les avocats à prendre de telles causes. « Sans garanties pour les procureurs, ceux-ci doivent entièrement s’en remettre à la bonne foi de leurs clients. À défaut de quoi, ils risquent de ne jamais être payés », déplore-t-il.
Vente de droits litigieux
En effet, l’article 1783 du Code civil du Québec stipule clairement qu’un avocat ne peut se porter acquéreur de droits litigieux. La créance judiciaire d’un client est considérée comme un tel droit litigieux. Ce faisant, advenant le défaut de payer, un avocat qui prend un dossier à pourcentage n’a aucun recours face à un client insolvable.
Il en va de même lorsque le contrat de services conclut au versement d’une somme litigieuse à recevoir dans un compte en fidéicommis : la Cour a tranché que cela s’apparente en tous points à une cession de créance.
Encore aujourd’hui, Me Agnaou est convaincu que cette règle mine gravement l’accès à la justice. « Actuellement, lorsqu’un justiciable plus démuni fait face à une injustice, un avocat sera réticent à prendre son dossier à cause des risques financiers », explique-t-il.
Autre point important : ce genre de dossier oppose généralement une partie avec des ressources considérables, comme une banque, une compagnie d’assurances ou l’autorité gouvernementale, à une autre qui n’a presque rien. Partant, les avocats de la partie mieux nantie ont tout intérêt à étirer le recours, pour épuiser non pas la partie adverse, mais bien leur procureur qui sait sa rémunération à risque.
Des changements dans la loi ?
Dans les circonstances, que recommande Me Agnaou ? Il en appelle à faire pression sur le législateur pour changer les choses. « Une modification législative serait facile et n’aurait pas un grand effet préjudiciable, croit-il. Il suffirait d’amender l’article 1783 du Code civil », explique l’avocat. L’idée est de mettre davantage l’accent sur l’aspect garantie de la cession de créance dans ce cas, que sur l’aspect vente.
« On parle sans arrêt d’accès à la justice. Voilà un créneau où il serait intéressant d’intervenir, plaide l’avocat. On a un accès plus facile à l’information, notamment grâce à Éducaloi; on a mis ces dernières années l’accent sur les modes alternatifs de prévention et de règlement des différends; et on a créé le régime des actions collectives. La prochaine étape, c’est celle-là », conclut Me Agnaou.
Et vous, qu’en pensez-vous ?