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Procès Rozon : argent et vengeance peuvent-ils motiver une victime à dénoncer?

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Radio Canada

2025-08-26 12:00:39

Gilbert Rozon est poursuivi pour près de 14 M$ par neuf femmes qui l'accusent de les avoir agressées sexuellement.

Gilbert Rozon - source : Radio-Canada / Ivanoh Demers


Le procès civil de Gilbert Rozon a repris lundi, à Montréal, avec le témoignage d'une experte en matière de violences sexuelles qui a témoigné en lien avec la contestation, par l'ex-magnat de l'humour, de deux articles du Code civil, dont celui sur les mythes et les stéréotypes. Karine Baril, professeure au Département de psychoéducation et de psychologie à l’UQO, était la première des six derniers témoins qu'entendra la juge Chantal Tremblay avant les plaidoiries finales, prévues à compter du 22 septembre.

Mme Baril avait témoigné une première fois dans ce procès, qui s'était amorcé en décembre dernier. Gilbert Rozon, 70 ans, est poursuivi par neuf femmes qui lui réclament près de 14 millions de dollars pour agressions sexuelles alléguées.

L'ex-patron de l'empire Juste pour rire nie toutes les allégations qui pèsent contre lui. Parmi les autres témoins attendus cette semaine, le plus illustre est Pierre Karl Péladeau, PDG de Québecor, qui doit témoigner d'une soi-disant cessation de la relation d'affaires entre son entreprise et l'empire Juste pour rire. Mais la cour pourrait se contenter d'une déclaration écrite de sa part si l'assignation à comparaître est cassée; en fin de journée lundi, cette perspective a été une fois de plus évoquée.

Ce procès comporte un volet constitutionnel, puisque les avocats de l'homme d'affaires déchu contestent deux articles du Code civil du Québec : l'un qui a aboli le délai de prescription en matière d'agression sexuelle et l'autre qui prévoit que les faits relevant de mythes, de stéréotypes et de préjugés sont présumés non pertinents en cour de justice.

Cet aspect constitutionnel explique la présence en Cour supérieure du Procureur général du Québec, représenté par Me Michel Déom. En matinée, lundi, ce dernier a interrogé l'experte Karine Baril sur les impacts subis par les victimes à la suite d'agressions sexuelles. Des impacts tels qu'ils constituent des obstacles pour les victimes lorsqu'elles évaluent la balance des coûts et des bénéfices de dénoncer l'agression à la police, comme l'a décrit Mme Baril.

De l'avis de l'experte, qui s'appuie sur des études et des méta-analyses colligeant des données québécoises et canadiennes, seulement 6 % des agressions sexuelles sont signalées. D'autres crimes violents, des voies de fait par exemple, sont dénoncés dans une proportion beaucoup plus considérable. Qui plus est, en décortiquant ces 6 %, a poursuivi l'experte, on découvre que dans la moitié des cas, c'est une autre personne que la victime qui a engagé la démarche pour dénoncer l'agression à la police.

En matière d'agressions sexuelles, a rappelé Karine Baril, le phénomène de sous-signalement est important. Les demanderesses, Lyne Charlebois, Guylaine Courcelles, Annick Charette, Patricia Tulasne, Danie Frenette, Anne Marie Charette, Mary Sicari, Sophie Moreau et Martine Roy, avaient de 15 à 35 ans au moment des violences présumées, qui se seraient déroulées sur près de quatre décennies.

La professeure Baril a illustré qu'un délai important pouvait s'écouler entre le moment où l'agression sexuelle a été perpétrée et celui où la victime se décide à la dénoncer. Et en particulier lorsque l'agresseur est connu de la victime, ce qui est le cas pour les trois quarts des personnes agressées sexuellement.

Dénoncer, fruit d'un long cheminement

Dénoncer est souvent l'aboutissement d'un long cheminement, a affirmé la professeure Baril. La victime espère ainsi reprendre le pouvoir sur sa vie et montrer à l'agresseur qu'il n'a plus de pouvoir sur elle. D'autres victimes gardent le silence. Honte, craintes pour sa réputation, peur de ne pas être cru, peur du déshonneur et perception que la police et la justice ne seront pas utiles, voire nuisibles, sont autant de raisons pour motiver leur silence, a décrit Karine Baril.

Au Québec, par exemple, près de 30 % des infractions sexuelles avaient été signalées à la police plus d'un an après s'être produites. Dans bien des cas, a expliqué la professeure Baril, il s'était écoulé une trentaine d'années avant que les victimes révèlent ce qui leur était arrivé.

Argent, vengeance, envie

Dans le contre-interrogatoire de Karine Baril, lundi, l'avocat qui représente M. Rozon, Pascal-Alexandre Pelletier, a tenté de lui faire évaluer l'adhésion de la population québécoise aux mythes et aux stéréotypes qui blâment la victime. La professeure de l'UQO s'est-elle appuyée sur des études scientifiques? a-t-il questionné. Ses propres travaux ont-ils été révisés par ses pairs?

L'article du Code civil que conteste le défendeur prévoit que les faits relevant de mythes, de stéréotypes et de préjugés sont présumés non pertinents : le fait que la personne n’ait pas porté plainte ou ne se se soit pas enfuie après l’agression alléguée, par exemple, ou encore le fait qu'elle ait maintenu des relations avec son agresseur par la suite.

Me Pelletier a sans ambages demandé à Karine Baril si la vengeance pouvait pousser les victimes à dénoncer non seulement à la police l'agression sexuelle qu'elles disent avoir subie, mais aussi à leur entourage, à leur famille. Ce à quoi l'experte a répondu que le désir de vengeance n'était pas répertorié dans les données qu'elle avait consultées.

Ce ne sont pas les motivations dont les victimes font mention, a dit Karine Baril. De l'avis de Gilbert Rozon, les demanderesses lui ont intenté un procès pour l'argent. Advenant que le tribunal leur donne raison, cela donnerait lieu à une forme de légalisation de l’extorsion, selon lui. Et l'argent, et l'envie, a poursuivi l'avocat du défendeur, pourraient-ils être des motivations à dénoncer une présumée agression sexuelle? Je ne sais pas s'il existe des sources sérieuses pour documenter cela, a répondu Karine Baril.

Gilbert Rozon dénonce les médias, une fois de plus

Dans cette affaire, les témoignages du défendeur et des demanderesses sont cruciaux parce que les faits allégués datent, mais aussi parce qu'ils se seraient déroulés derrière des portes closes, bien que parfois dans des lieux publics. Gilbert Rozon, qui a été interrogé puis contre-interrogé en juin et en juillet derniers, affirme que les demanderesses se sont inventé une vérité et qu'elles ont communiqué les unes avec les autres durant les procédures, ce qui aurait pu avoir pour effet de contaminer la preuve. Lundi, dans les couloirs du palais de justice de Montréal, il a une fois de plus dénoncé le traitement injuste, selon lui, que lui font subir les journalistes dans ce procès au civil.

Disant citer l'acteur Denzel Washington, Gilbert Rozon a déclaré que les médias, si on ne les consulte pas, on n'est pas informés, et si on les consulte, on est mal informés. Mis sous pression par les médias sociaux, ces mêmes médias confondent militantisme et journalisme, ce qui leur fait par moments escamoter la vérité, affirme encore Gilbert Rozon.

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