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Tramway : des entreprises expropriées essuient un (autre) revers

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-10-24 10:15:01

Elles voulaient attendre la mise en service du tramway, en 2033, pour évaluer leurs dommages…


Le Tramway


Dans une décision qui pourrait faire jurisprudence en matière d'expropriation, le Tribunal administratif du Québec (TAQ) rejette la demande de trois entreprises expropriées dans le cadre du projet de tramway de la Ville de Québec.

Situées sur le boulevard Laurier, dans l'emprise du futur réseau de transport structurant, les trois entreprises concernées, soit un Bureau en Gros, l'Hôtel Lindbergh et l'Hôtel Plaza, souhaitaient reporter jusqu'en 2033 – année prévue pour la mise en service du tramway – le dépôt de leurs réclamations d'indemnisation, arguant qu'il leur était impossible d'évaluer l'étendue réelle des préjudices subis avant la fin du projet.

Le TAQ a refusé. La décision rendue le 3 octobre par les juges Sharon Godbout, Charles Gosselin et Guy Gagnon maintient donc intégralement celle qui avait été rendue par une première formation du TAQ (TAQ1) le 10 avril dernier.

Les entreprises expropriées étaient représentées par Me Antoine Pelletier, de Stein Monast.

Me Julie Savard agissait pour la Ville de Québec.


Antoine Pelletier - source : Stein Monast

Le contexte


Les avis d'expropriation ont été signifiés aux entreprises à l'automne 2022, et la Ville de Québec a pris possession des parcelles expropriées entre avril et juin 2023.

La stratégie des entreprises expropriées était audacieuse : demander au tribunal de suspendre le délai de production de leurs réclamations détaillées jusqu'à ce que le tramway soit non seulement construit, mais également mis en exploitation.

Les entreprises estimaient avoir le droit d'être indemnisées pour des dommages subséquents à la construction et à la mise en exploitation du tramway, s'appuyant sur une interprétation large de l'article 58 de la Loi sur l'expropriation. Subsidiairement, elles demandaient au minimum une suspension de deux ans, jusqu'en novembre 2026, avec possibilité de prolongation selon l'avancement des travaux.

La Ville s'oppose

La Ville de Québec s'est fermement opposée à cette demande. Son argument principal : seuls les dommages liés à la perte des parcelles expropriées et les travaux effectués sur celles-ci sont indemnisables.

La Ville invoquait l'application de l'article 7 de la Loi concernant le Réseau structurant de transport en commun de la Ville de Québec, une loi spéciale qui fixe une limite temporelle quant au préjudice causé à la date de l'expropriation.

Cette loi spéciale, adoptée spécifiquement pour le projet de tramway, a préséance sur la loi générale sur l'expropriation et impose des balises temporelles strictes.

La première formation du TAQ a donné raison à la Ville, concluant que les expropriations sont soumises à la loi spéciale, qui impose que seuls les préjudices qui sont, à la date d'expropriation, certains et liés à celle-ci, sont indemnisables.

Une tentative de révision infructueuse

Insatisfaites de cette décision, les trois entreprises ont demandé la révision du jugement en vertu de l'article 154 de la Loi sur la justice administrative.

Elles reprochaient au TAQ de leur avoir imposé un fardeau de preuve trop élevé pour obtenir la suspension. Le tribunal aurait dû, selon elles, appliquer les critères d'émission d'une injonction interlocutoire (apparence de droit, préjudice irréparable, prépondérance des inconvénients) pour statuer sur la demande de suspension.

La deuxième formation du TAQ a rejeté ces arguments, soulignant qu’ils n’avaient jamais été plaidés devant la première formation.

« La jurisprudence constante enseigne que la requête en révision ou en révocation ne constitue pas une occasion de soulever de nouveaux arguments qui n'ont pas été plaidés devant une première formation du Tribunal ni de combler les lacunes de la preuve qu'une partie a eu l'occasion de faire valoir », rappellent les juges Godbout, Gosselin et Gagnon dans leur décision.

Les trois entreprises alléguaient également n'avoir pas pu se faire entendre sur la possibilité ou la probabilité qu'elles subissent des préjudices indemnisables après les travaux de construction et l'exploitation du tramway.

Là encore, la deuxième formation du TAQ a rejeté ces prétentions, rappelant que dès le processus d'appel du rôle, il y avait divergence d'opinions sur la nature du préjudice indemnisable. Les entreprises devaient donc « envisager la possibilité que leur demande en sursis [...] puisse être rejetée » et avaient « l'opportunité d'administrer devant TAQ1 leur preuve ».

« C'est aux parties que revient la responsabilité première de préparer et présenter la preuve nécessaire au soutien de leur prétention », a tranché le tribunal.

Le fardeau de la preuve mal assumé

Un élément déterminant du jugement concerne la gestion de la preuve. Le tribunal a souligné que les entreprises n'ont pas assumé le fardeau de preuve quant à l'existence d'un préjudice sérieux ou irréparable. Le procureur des expropriées a même admis lors de l'audience que, à l'exception des travaux libératoires, les entreprises n'avaient « absolument aucune idée des postes de dommage qui pourraient éventuellement être réclamés ».

Selon les juges Godbout, Gosselin et Gagnon, cette absence de précision jouait contre la demande, puisque le TAQ1 avait déjà statué que seuls les préjudices « certains » étaient indemnisables.

Malgré le rejet de la demande de suspension pour attendre la mise en service du tramway en 2033, la première formation du TAQ a fait preuve de souplesse en accordant un délai de production des réclamations finales allant jusqu'à quatre mois après la fin des travaux dits « libératoires » sur les parcelles expropriées.

Les juges Godbout, Gosselin et Gagnon ont confirmé que le TAQ1 détenait le pouvoir discrétionnaire d'accorder cette brève prolongation.

Les entreprises sont donc contraintes d'évaluer l'impact complet de l'expropriation et du projet de tramway dans ce délai.

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