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Fusion de sociétés : ce que doivent savoir prêteurs et créanciers

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Annalays Castro Ramon Et Laurence Brosseau

2025-09-18 11:15:15

Quelles règles doivent suivre les prêteurs et créanciers lors d’une fusion de sociétés?

Annalays Castro Ramon et Laurence Brosseau - source : KRB


La fusion de sociétés soulève de nombreuses questions, notamment pour les prêteurs et créanciers garantis. Qu’advient-il des sûretés (cautions, hypothèques et autres garanties) consenties avant l’opération? Sont-elles automatiquement transférées à la société issue de la fusion? Restent-elles valides et opposables? Cet article offre un aperçu des règles applicables et des mesures à prendre pour préserver ces droits.

Règles applicables aux sûretés et aux fusions au Québec

Au Québec, le régime applicable aux sûretés s’appuie principalement sur le Code civil du Québec (CCQ), qui encadre les modalités de transfert des droits réels et personnels. À cela s’ajoutent les dispositions législatives encadrant les fusions elles-mêmes, principalement :

Article 186 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA, fédérale)

Article 286 de la Loi sur les sociétés par actions (LSAQ, provinciale – Québec).

L’article applicable dépendra de la juridiction des sociétés fusionnantes, mais les principes sont analogues.

La société issue de la fusion reprend l’intégralité du patrimoine des sociétés fusionnantes; cela inclut leurs droits, leurs obligations et, bien entendu, les sûretés. Elle devient ainsi responsable de l’ensemble des engagements de chacune des sociétés impliquées dans cette opération. Autrement dit, les sociétés fusionnantes poursuivent leur existence à travers cette nouvelle entité, dont le patrimoine devient celui des sociétés initiales, désormais unifié. Tous les droits et obligations sont transférés automatiquement, et la société issue de la fusion devient aussi partie à toute procédure judiciaire ou administrative en cours.

Les obligations liées aux sûretés des sociétés fusionnées continuent donc de s’appliquer à la société issue de la fusion sans qu’il soit nécessaire de les réenregistrer.

Cependant, lorsqu’une société fusionne avec une autre, certaines vérifications s’imposent pour les prêteurs :

Vérification du rang de l’hypothèque : la fusion peut affecter le rang de l’hypothèque détenue par le prêteur. La Cour d’appel du Québec a déterminé dans une décision de 2000 qu’il s’établit selon un ordre de priorité qui tient compte des sûretés détenues par tous les créanciers de toutes les compagnies originelles. En effet, la nouvelle entité fusionnée hérite de l’ensemble des sûretés consenties par les sociétés d’origine. Par conséquent, après la fusion, les créanciers garantis conservent leurs droits sur l’ensemble des actifs de la société issue de la fusion, et le rang de chaque sûreté demeure déterminé par sa date de publication originale.

Une nuance importante doit toutefois être apportée lorsque les biens en cause ont été acquis avant la fusion. Dans une décision de 1989, la Cour d’appel du Québec a établi une distinction entre les biens acquis avant et après la fusion. Elle a jugé que, pour les biens acquis avant la fusion, la priorité de rang ne dépend pas de la date d’inscription de l’hypothèque, mais plutôt de l’origine des biens. Ainsi, le créancier ne pouvait pas obtenir priorité sur des biens acquis avant la fusion par une société sur laquelle il ne détenait initialement aucune sûreté. Le créancier hypothécaire doit donc vérifier la date d’acquisition des biens hypothéqués pour déterminer si le rang découle de la publication de l’hypothèque ou de l’origine des biens.

Après la fusion, l’ensemble des droits et sûretés consenties par les sociétés d’origine subsistent et la société fusionnée en devient responsable. Toutefois, la priorité d’une sûreté grevant des biens acquis avant la fusion dépend de l’origine des biens : la sûreté consentie par la société qui détenait initialement ces biens prime, peu importe la date de publication de la sûreté de l’autre société fusionnante. Inversement, pour les biens acquis après la fusion, la priorité est déterminée selon la date d’inscription de la sûreté.

Mise à jour au RDPRM : si la société sur laquelle une hypothèque mobilière est enregistrée change de nom à la suite de la fusion, il est recommandé de mettre à jour l’inscription au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) à l’aide d’un formulaire RG (Réquisition générale d’une inscription) pour assurer que toutes les informations sur les droits, les sûretés et les biens de l’entreprise résultante soient enregistrées sous son nouveau nom légal. Cette démarche n’est pas obligatoire[4], mais elle est importante car mettre à jour le nom garantit que les droits et sûretés sont clairement associés à la nouvelle entité juridique, évitant toute confusion pour les parties concernées.

Validité des cautionnements : si l’emprunteur et la caution initiale d’un prêt fusionnent entre elles, le cautionnement devient invalide. En effet, une société ne peut pas garantir ses propres obligations. Dans ce cas, il peut alors être nécessaire d’obtenir de nouvelles sûretés pour garantir le prêt.

Vérifications et démarches pratiques pour les prêteurs

Lorsqu’un prêteur est avisé d’une fusion, voici les démarches pratiques à suivre :

  1. Vérifier les sûretés existantes : Confirmer leur validité et leur transfert automatique à la société issue de la fusion.
  1. Analyser le rang des hypothèques : Examiner la priorité des sûretés en fonction de leur date de publication et de l’origine des biens.
  1. Mettre à jour le RDPRM : Si le nom de la société change, mettre à jour les inscriptions pour assurer la clarté et l’opposabilité des droits.
  1. Valider les cautionnements : Vérifier si les cautionnements restent valides. S’ils deviennent caduques, le prêteur pourrait exiger de nouvelles sûretés.

Ces étapes permettent de sécuriser les intérêts du prêteur et de minimiser les risques liés à la fusion. Anticiper ces enjeux et mettre à jour les sûretés de façon proactive permet aux prêteurs de réduire leurs risques et de protéger efficacement leurs droits.

À propos des auteurs

Annalays Castro Ramon est stagiaire en droit chez KRB.

Laurence Brosseau est avocate chez KRB.

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