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L’envoi d’une politique d’entreprise par courriel est-il suffisant pour invoquer l’opposabilité de cette politique à un employé ?

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Myriane Le François Et Nadine Houle

2023-02-03 11:15:00

Focus sur une décision rendue par le Tribunal d’arbitrage du Québec sur l’envoi d’une politique d’entreprise par courriel…
Myriane Le François et Nadine Houle, les auteures de cet article. Source: McCarthy Tétrault
Myriane Le François et Nadine Houle, les auteures de cet article. Source: McCarthy Tétrault
Dans une décision de juillet 2022, l’arbitre Marie-Eve Crevier du Tribunal d’arbitrage du Québec (le « Tribunal ») a tranché à l’effet que la simple preuve de l’envoi d’un courriel auquel est jointe une politique est insuffisante pour démontrer qu’un employé a pris connaissance de ladite politique.

Les faits

Les faits à l’origine de cette affaire remontent au 27 mai 2019, lorsque le plaignant, un machiniste possédant plus de 20 ans d’ancienneté, s’est vu imposer une suspension d’une journée sans solde pour avoir omis de respecter une politique d’entreprise et pour avoir agi de façon irrespectueuse à l’égard du gardien de sécurité qui l’a interpellé.

Plus précisément, l’employeur reproche au plaignant d’avoir parlé au téléphone en se déplaçant sur le terrain de l’entreprise, chose qui est défendue en vertu d’une politique de l’employeur en matière de santé et sécurité au travail intitulée « Utilisation d’un appareil de communication sur les lieux de travail » (la « Politique »).

Le 27 mai 2019, le plaignant est aperçu par un garde de sécurité, alors qu’il parle au téléphone cellulaire tout en se déplaçant à pied sur le terrain de l’entreprise, en contravention avec la Politique. Le gardien de sécurité interpelle le plaignant, et s’ensuit alors un échange verbal dont les versions diffèrent, mais au cours duquel le plaignant aurait eu un comportement irrespectueux.

Suivant cet événement, une enquête disciplinaire a été déclenchée par l’employeur, au terme de laquelle un avis disciplinaire imposant une suspension d’une journée a été remise au plaignant pour avoir enfreint la Politique et pour avoir agi de façon irrespectueuse à l’égard du gardien de sécurité.

Le syndicat du plaignant a déposé un grief réclamant l’annulation de la suspension et le retrait de la mesure disciplinaire du dossier-employé du plaignant, notamment pour le motif que la Politique n’était pas connue du plaignant. L’employeur ne pouvait donc pas tenir compte de l’incident relatif à la Politique dans l’imposition de la mesure disciplinaire.

La décision

Le plaignant a-t-il enfreint la Politique de l’entreprise?

Le Tribunal répond à cette question par la négative. En effet, lorsqu’il est question de sanctionner un employé qui contrevient à une politique d’entreprise, la règle bien établie par la jurisprudence et que le sens commun commande est que cette politique soit connue de l’employé en cause. Il revient à l’employeur de démontrer cette connaissance par l’employé de la politique qu’il lui oppose.

En l’espèce, le Tribunal est d’avis que la preuve ne permet pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le plaignant connaissait la Politique de l’entreprise. En effet, lors de l’entrée en vigueur de la Politique, l’employeur a transmis un courriel à une liste d’envoi générale auquel elle était jointe, mais rien n’a démontré que le plaignant faisait partie de cette liste d’envoi. À l’audience, aucune preuve n’a contredit le témoignage du plaignant, qui a nié connaître la Politique, l’avoir vue dans l’intranet ou l’avoir reçue autrement.

Ainsi, le Tribunal conclut que la simple preuve de l’envoi d’un courriel est insuffisante pour démontrer que le plaignant avait bien pris connaissance de la Politique. Par conséquent, il est d’avis qu’il n’y a pas lieu de reprocher au plaignant la contravention à une règle qui n’a pas été portée à sa connaissance. De plus, le Tribunal assimile le simple envoi par courriel à une lettre qui serait transmise par la poste régulière. Dans les deux cas, il n’y a aucune preuve que le destinataire a bien reçu la correspondance.

Par conséquent, le Tribunal a accueilli partiellement le grief, a annulé la suspension d’une journée imposée au plaignant et a substitué à cette suspension un avertissement écrit en raison du comportement du plaignant.

Ce que les employeurs doivent retenir

Afin que les politiques d’entreprises soient opposables aux employés, les employeurs doivent s’assurer qu’elles ont été portées à la connaissance de leurs employés. La simple preuve de l’envoi d’un courriel est par ailleurs insuffisante pour démontrer qu’un employé a pris connaissance d’une politique.

Des bonnes pratiques consistent notamment à faire signer un formulaire de reconnaissance de la politique par les employés et d’afficher la politique sur les réseaux internes de l’employeur tels que l’intranet. De plus, lorsque les politiques sont modifiées, il importe de publiciser ces modifications en les portant à la connaissance des employés avec preuve à l’appui.

Cet article a été publié à l’origine sur le site du cabinet McCarthy Tétrault.

À propos des auteures

Me Myriane Le François est associée chez McCarthy Tétrault au sein des bureaux de Montréal.

Celle-ci pratique en droit du travail et de l’emploi en français et en anglais et offre ses services à une clientèle de toutes tailles.

Elle représente de nombreuses sociétés devant des tribunaux de droit civil et administratif, notamment le Tribunal administratif du travail, le Conseil canadien des relations industrielles, la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec.

Me Nadine Houle est sociétaire au sein du groupe de droit du travail et de l’emploi chez McCarthy Tétrault, au bureau de Montréal.

Sa pratique est axée sur la représentation d’employeurs, tant sous la réglementation provinciale que fédérale.
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