Les droits d’accès au tribunal de la concurrence par des parties privées sont étendus

Adam D.h. Chisholm, Samantha Gordon Et Hannah Johnson
2025-07-17 11:15:59

D’importantes modifications à la Loi sur la concurrence (la « Loi »)sont entrées en vigueur le 20 juin 2025. Elles élargissent les catégories de conduite pour lesquelles une partie privée peut s’adresser au Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») et introduisent des indemnités pécuniaires comme nouveau recours. Ces modifications sont appelées à remodeler la stratégie concernant les litiges en matière de concurrence pour les parties qui s’en remettaient traditionnellement au Bureau de la concurrence ou aux causes d’action civile devant les tribunaux.
L’historique de l’application de la Loi sur la concurrence
Au Canada, les pratiques anticoncurrentielles étaient principalement traitées par des mesures d’application de nature publique, plutôt que par des litiges privés. Pour réglementer les pratiques anticoncurrentielles, la loi utilise des infractions pénales (pour les dispositions concernant le complot, le truquage des offres et les indications fausses ou trompeuses d’une façon importante, par exemple) et présente des pratiques sujettes à un examen au civil (comme l’abus de position dominante, les accords anticoncurrentiels et les pratiques commerciales trompeuses).
Les parties privées qui subissaient une perte ou un dommage par suite d’une violation d’une disposition pénale pouvaient avoir recours à une cause d’action privée prévue par la loi. Les parties privées se fondaient également sur la common law en invoquant des délits tels que le complot et les fausses présentations. Avec l’introduction de la législation sur les actions collectives il y a trois décennies, les actions collectives en matière de concurrence sont devenues courantes au Canada. Il en résulte que la jurisprudence relative aux actions collectives en matière de concurrence est désormais bien établie, en particulier dans le contexte des affaires de cartels civiles.
Les modifications relatives à l’antitrust : une nouvelle priorité du gouvernement
Le Parlement a modifié la Loi sur la concurrence de façon importante trois fois depuis 2022. Le premier ensemble de modifications a permis aux parties privées de présenter des demandes au Tribunal relativement aux dispositions sur l’abus de position dominante prévues à l’article 79 de la Loi. Le Tribunal s’est récemment penché sur cet ensemble de modifications dans sa décision JAMP Pharma Corporation v Janssen Inc., que nous examinons ici.
Le deuxième ensemble de modifications portait entre autres sur les accords sujets à un examen au civil. La législation comprend maintenant les accords non horizontaux dont l’un des principaux objectifs est de réduire la concurrence.
Modifications actuelles – élargissement du critère concernant la permission de présenter une demande et des causes de réclamation, et nouvelle indemnité pécuniaire
Le troisième ensemble de modifications est contenu dans le projet de loi C-59, qui a reçu la sanction royale le 20 juin 2024. Les modifications sont entrées en vigueur un an plus tard, le 20 juin 2025.
Les causes de réclamation dont les parties privées peuvent désormais se prévaloir sont élargies
Les parties privées peuvent maintenant contester devant le Tribunal de nouveaux types de comportements. L’article 90.1 de la Loi permet aux parties privées de demander une permission d’engager une procédure concernant les accords anticoncurrentiels et l’article 74.01 de la Loi introduit la possibilité pour les parties privées d’engager des poursuites civiles concernant la publicité trompeuse. Par conséquent, une partie privée peut désormais demander une permission de présenter une demande d’accès privé en vertu des articles suivants :
Pratiques commerciales trompeuses (art. 74.1); Refus de vendre (art. 75);
Maintien des prix (art. 76);
Exclusivité, ventes liées et limitation du marché (art. 77) Abus de position dominante (art. 79)
Accords portant atteinte à la concurrence (90.1)
Les dispositions relatives aux pratiques sujettes à un examen exigent que soient pris en compte les effets anticoncurrentiels du comportement allégué, tandis que les infractions pénales et les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses interdisent certaines pratiques, qu’elles aient ou non des effets anticoncurrentiels.
Pour obtenir des renseignements et évaluer les effets anticoncurrentiels sur l’ensemble du marché, le Bureau dispose de pouvoirs d’enquête. Un requérant privé n’ayant pas de tels pouvoirs doit obtenir la permission d’engager une procédure pour obtenir des renseignements dans le cadre d’une enquête préalable auprès du défendeur. Un requérant privé doit demander des assignations au Tribunal pour obtenir d’autres renseignements de la part de tiers.
La compétence du Tribunal élargie par un critère de permission plus large
Le Tribunal a maintenant le pouvoir d’accorder sa permission pour qu’une procédure soit entreprise en raison de motifs supplémentaires.
Le critère révisé offre deux autres voies pour obtenir une permission auprès du Tribunal, à savoir quand :
le requérant est directement et sensiblement gêné dans tout ou partie de son entreprise par la conduite reprochée;
le fait d’accorder la permission est dans l’intérêt public.
Auparavant, un requérant qui demandait la permission du Tribunal devait démontrer l’incidence directe et sensible sur son entreprise, ce qui était interprété comme une incidence sur celle-ci dans son ensemble. Cette exigence a été modifiée pour permettre de demander au Tribunal une permission lorsque la conduite reprochée gêne directement et sensiblement une « partie » d’une entreprise. Ce critère pourrait permettre à des entreprises ayant des activités multisectorielles de demander une permission même si un seul segment de leur entreprise est sensiblement gêné.
L’introduction d’un motif d’intérêt public peut ouvrir la porte à des demandes émanant de parties qui ne sont pas directement lésées, mais qui peuvent démontrer que l’octroi d’une permission favoriserait la réalisation des objectifs de la Loi. La Loi a pour objet :
de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.
Déterminer quand le Tribunal doit accorder la permission et prendre en charge un litige entre parties privées risque de s’avérer compliqué. Une question importante qui devra être tranchée est de savoir si les concurrents, ainsi que les clients qui exploitent des entreprises, pourront, au lieu d’utiliser le volet de l’incidence sur l’entreprise du critère pour déposer une demande de permission, utiliser le volet de l’intérêt public ou si ce dernier ne sera accessible qu’à d’autres types de requérants.
Au cours des quinze dernières années, la Cour suprême du Canada a été saisie à deux reprises d’affaires concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public présentées devant les tribunaux (qui ont une compétence étendue). Entre-temps, d’autres tribunaux de réglementation contraints d’examiner des critères liés à la qualité pour agir dans l’intérêt public ont développé une jurisprudence importante pour déterminer quand une telle intervention est appropriée. Cette jurisprudence portait surtout sur l’objectif de la législation en cause et n’a pas adopté une approche générale quant aux parties qui peuvent comparaître.
Des indemnités pécuniaires sont désormais possibles
Les causes de réclamations élargies qui peuvent être présentées par des parties privées et les motifs plus larges sur lesquels le Tribunal peut accorder la permission sont étayés par un nouveau recours offert par le Tribunal. Historiquement, les parties privées pouvaient demander la permission d’intenter une poursuite fondée sur une violation des dispositions relatives aux pratiques sujettes à un examen, mais elles n’avaient aucune voie d’accès à un redressement pécuniaire.
Les ordonnances d’interdiction sont le principal recours prévu par ces dispositions et des ordonnances obligatoires supplémentaires sont également disponibles au besoin pour rétablir la concurrence. Compte tenu des modifications récentes, le Tribunal peut également ordonner le paiement d’une « somme — ne pouvant excéder la valeur du bénéfice tiré du comportement visé par l’ordonnance — devant être répartie, de la manière qu’il estime indiquée, entre le demandeur et toute autre personne touchée par le comportement ».
Le fardeau de la preuve pour le calcul du « bénéfice sur lequel l’accord ou l’arrangement a eu une incidence » nécessitera une interprétation. Cette expression est rarement utilisée dans la législation fédérale canadienne. Lorsqu’une expression semblable est utilisée à l’occasion dans la législation provinciale, il s’agit généralement d’un facteur à prendre en considération dans l’établissement d’une pénalité appropriée et non d’un plafond.
Au lieu de faire référence au « bénéfice sur lequel l’accord ou l’arrangement a eu une incidence », d’autres modèles réglementaires de recours financier d’intérêt public, comme celui que l’on trouve dans la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, décrivent le concept précis de la remise comme étant « les montants obtenus par suite du manquement » à la loi.
Toute utilisation du nouveau recours en tant que système de distribution aux parties touchées autres que le requérant soulèvera des questions essentielles sur la procédure, l’équité et la mise en œuvre, en particulier en ce qui concerne la distribution des fonds aux non-parties. Il n’est pas certain que la distribution d’un recours pécuniaire à « toute autre personne touchée par le comportement » permette de distribuer des fonds à de grands groupes d’entreprises ou de personnes qui ne sont pas identifiés individuellement.
Des régimes législatifs entiers régissent les actions collectives traitées par les tribunaux et les mécanismes correspondants sont notablement absents des modifications apportées à la Loi. Les questions relatives à l’approbation des règlements, aux avis aux bénéficiaires proposés d’une indemnité pécuniaire, aux libérations appropriées pour les défendeurs et au traitement des honoraires d’avocat ne sont que quelques-unes des questions qui devront être abordées si le Tribunal décide d’interpréter les nouvelles dispositions d’une manière qui pourrait s’appliquer à un « groupe » de bénéficiaires.
Quelles sont les prochaines étapes?
En pratique, on ne sait pas si ces modifications entraîneront des litiges importants ou des changements radicaux dans les litiges en matière de concurrence dont le Tribunal est saisi. Nous nous attendons à ce que ces litiges évoluent au fil du temps, à mesure que les normes seront établies et mises à l’examen.
Le Bureau de la concurrence devra également s’adapter. Le 20 juin 2025, le Bureau a publié un bulletin exposant son point de vue sur l’accès privé en vertu de la Loi, qui traite principalement de la vision qu’il a de son rôle lorsque des parties privées déposent une demande de permission, lorsque le Tribunal entend une demande et après la résolution de la demande. Le Tribunal n’entendra aucune demande d’accès privé concernant des questions qui font déjà l’objet d’une enquête du Bureau, que cette enquête soit en cours ou résolue.
L’augmentation du volume des procédures privées est susceptible d’avoir un impact sur les enquêtes et les priorités en matière d’application du Bureau, qui saura que certaines questions peuvent être soulevées par des parties privées si le Bureau ne prend pas de mesures. Le Bureau peut également intervenir dans la demande de permission et/ou dans une procédure privée après que la permission a été accordée. Le Bureau a indiqué qu’il évaluera s’il est dans l’intérêt public de le faire, en tenant compte notamment des retombées économiques, des conséquences juridiques et d’une perspective différente.
Au moins certains de ces points en suspens seront résolus par nécessité. Dans notre commentaire sur la décision JAMP v Janssen, nous avons indiqué qu’il est possible que le Tribunal souhaite éviter d’être débordé par des litiges stratégiques, d’où son examen préliminaire rigoureux d’une demande de permission.
Bon nombre des éléments inconnus mentionnés ci-dessus devraient être résolus en tenant compte d’une interprétation appropriée de l’objet de la Loi, de l’équité envers les parties et de la prise en compte des ressources administratives dont dispose le Tribunal.
À propos des auteurs
Adam Chisholm est avocat chez McMillan. Il est reconnu pour son expertise des marchés des capitaux et des valeurs mobilières, de la propriété intellectuelle (PI) et du droit administratif et du droit public.
Samantha Gordon est une associée chez McMillan dont la pratique est axée sur le litige et le règlement des différends.
Hannah Johnson est une avocate chez McMillan dont la vaste pratique est axée sur la concurrence, l’antitrust et les investissements étrangers.