Mariage à deux vitesses au Québec?
Stéphane Beaulac
2016-02-10 14:00:00
Souvenons-nous tout d’abord que, suivant le jugement de 2013 dans la célèbre affaire ''Éric c. Lola'', il est devenu clair que, chez nous contrairement aux autres provinces, les effets juridiques du mariage ne pouvaient aucunement s’étendre aux conjoints de fait. Quoique demeurant controversé, ce prononcé judiciaire a l’avantage d’être clair.
Un mariage, c’est un mariage, point.
Or, voici qu’un tribunal vient de nous dire qu’en matière de mariage, « on avait toujours eu tout faux, qu’un mariage religieux n’avait pas automatiquement de conséquences civiles et n’amenait pas obligatoirement de partage du patrimoine familial », comme le résumait bien Louise Leduc dans un article de La Presse jeudi dernier.
Le professeur Alain Roy de l’Université de Montréal, par ailleurs président du Comité consultatif sur le droit de la famille, a raison de souligner que ce jugement « ne sera rien de moins qu’une révolution ». Pourquoi? Parce que l’unicité de l’institution du mariage, qu’il soit célébré religieusement ou civilement, est ainsi fracturée.
On ouvre la possibilité qu’un prêtre, un rabbin, un imam puisse marier deux personnes devant le divin, mais sans envoyer les documents auprès du Directeur de l’état civil pour valider le mariage au civil. Selon la juge Alary, malgré l’article 366 du Code civil du Québec, l’habilitation en droit d’un célébrant religieux « ne veut pas dire qu’un mariage célébré par un ministre du culte a nécessairement des conséquences civiles » (jugement, para. 61).
Deux types de mariage au Québec
Force nous est de constater que, de toute époque, les autorités religieuses de la province – catholiques ou autres – ont toujours eu une lecture fort différente de la législation applicable, comme en fait foi incidemment l’Archevêché de Montréal, qui est venu témoigner au procès sur la pratique des autorités judéo-chrétiennes en matière de mariage.
Bref, depuis la semaine dernière, il existerait deux types de mariage au Québec : celui produisant des effets juridiques, y compris le partage du patrimoine familial, et celui qui ne protège d’aucune façon les conjoints en cas de séparation, puisque la célébration aurait été uniquement devant une autorité religieuse.
L’incertitude qui s’ensuit est majeure : ambiguïté entourant le mariage, qui se traduira par des consentements non-éclairés; sans parler des risques de dérapage dû aux possibles pressions pour un mariage seulement religieux, plaçant les conjoints (habituellement les femmes) en situation de vulnérabilité. Ceci étant, une telle disjonction des célébrations des mariages religieux et civils existe dans certains pays étrangers, comme ce serait le cas au Mexique notamment. Il est alors nécessaire dans ces endroits de célébrer le mariage deux fois : une fois devant le ministre du culte, une autre fois devant un représentant de l’État. Situation sans écho au Québec, du moins jusqu’à la semaine dernière.
Cette conclusion aurait suffi pour décider de l’affaire, puisque la position au centre du débat était que l’adéquation automatique et nécessaire entre mariage religieux et effets juridiques du mariage était inconstitutionnelle. Si l’on peut séparer les deux, la liberté de religion n’entre pas en jeu, aurait-on pensé, mettant fin au litige. Mais il n’en fut rien, puisque le jugement poursuit en analysant les prétentions d’ordre constitutionnel.
Analyse de la liberté de religion problématique
Ici aussi, avec égard, l’interprétation donnée aux droits fondamentaux invoqués à l’appui des arguments juridiques fondés sur les chartes québécoise et canadienne est pour le moins insatisfaisante. Par exemple, le constat de la juge Alary que la distinction existant entre les croyants et les non-croyants, s’agissant du choix de leur état civil (mariés, conjoints de fait), ne perpétue pas de stéréotypes ni n’entretient de préjugés est erronée en droit constitutionnel. En effet, depuis le jugement dans ''Éric c. Lola'', il faut uniquement que la distinction illicite crée un désavantage (sans se soucier des perceptions) pour qu’elle soit considérée discriminatoire au sens des chartes, un test de type objectif probablement satisfait en l’espèce.
L’analyse faite par la juge de la liberté de religion est également problématique puisqu’elle mélange les considérations comptables du mariage, en aval, avec le caractère subjectivement religieux de l’institution du mariage, en amont. Seul ce dernier importe, en vertu de la jurisprudence applicable.
En somme, si quelqu’un a eu tout faux – pour reprendre l’expression de la journaliste Leduc – je serais tenté de penser que c’est dans ce récent jugement de la Cour supérieure. Heureusement, me dira-t-on, que les appels sont de plein droit en ces matières familiales.
Sa formation est bijuridique : droit civil à Ottawa (''summa cum laude'') et common law à Dalhousie (premier au programme national). Il a été clerc à la Cour suprême du Canada.