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Peut-on contrecarrer les longs délais du Bureau d’évaluation médicale?

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Carl Lessard Et Camille Ouellet

2024-01-22 11:15:25

Focus sur une récente décision du tribunal administratif du travail…

Le marché du travail a considérablement évolué au cours des dernières années, notamment en raison de la pandémie ainsi que de ses répercussions.

Les employeurs et employés au Québec ont été confrontés à de nouvelles réalités, lesquelles semblent avoir fait augmenter de façon significative les réclamations pour faire reconnaître des lésions professionnelles psychologiques tels que les troubles de l’adaptation et les dépressions.

Les délais importants du Bureau d’évaluation médicale: quelles conséquences?

L’augmentation de ces cas de lésions psychologiques n’est pas sans conséquence pour un employeur et il n’est maintenant plus rare de voir les délais s’allonger de plusieurs années au niveau de la procédure d’évaluation au Bureau d’évaluation médicale (« BEM »). Le long délai d’attente afin d’obtention un avis produit par un membre du BEM provoque des conséquences majeures dans la gestion de ces dossiers de lésions professionnelles.

Par exemple, plusieurs intervenants de la santé (c’est-à-dire, les médecins traitants) refusent catégoriquement de consolider une lésion lorsqu’un employé est dans l’attente d’une expertise par le BEM, ce qui peut retarder la conclusion d’un dossier de plusieurs années. Sans un avis émis par le BEM statuant sur les questions médicales en litige, il est alors impossible pour les employeurs de fixer une date pour tenir une audience ou même de tenter des discussions de règlement.

De plus, ces délais peuvent même entraîner, dans certains cas, l’aggravation de la condition de santé de certains employés en raison de l’attente, ce qui peut s’avérer néfaste. Sans un avis du BEM, il peut être difficile pour un employeur de réintégrer son employé au travail sans qu’un diagnostic précis ou des limitations fonctionnelles soient déterminés définitivement. Il est alors aussi difficile pour un employeur de mettre en place les mesures adéquates pour réintégrer la personne salariée dans le milieu de travail de façon sécuritaire.

Évidemment, comme c’est le cas pour plusieurs autres organisations du Québec, il manque présentement beaucoup de ressources au BEM, surtout des experts spécialisés dans la psychiatrie. Cette problématique spécifique cause beaucoup d’enjeux au niveau de la gestion des dossiers de lésions professionnelles des employeurs du Québec, et entraîne des coûts faramineux. Cependant, pour pallier ces délais importants, une nouvelle option est désormais possible.

Affaire Paccar Canada (Usine de Ste-Thérèse)

Tout récemment, la division de la santé et de la sécurité du travail du Tribunal administratif du travail (« TAT ») a rendu une décision fort intéressante qui apporte une piste de solution pour les employeurs du Québec au niveau de la procédure du BEM, afin d’obtenir une expertise médicale de façon plus rapide.

Dans cette affaire, une travailleuse se blesse en faisant une chute dans le stationnement de l’usine où elle travaille. La CNESST accepte sa réclamation pour une lésion professionnelle ayant causé une contusion au coude et au poignet, une entorse cervicale et un traumatisme craniocérébral léger.

Quelques mois plus tard, le médecin traitant de la travailleuse pose un nouveau diagnostic, soit une dépression majeure, qui sera par la suite reconnue par la CNESST comme étant en lien avec l’événement initial.

L’employeur contestera cette décision. Toutefois, une date d’audience ne peut être fixée tant que la procédure en attente au BEM n’est pas finalisée, entre autres, sur la question du diagnostic à être retenu pour les fins de l’admissibilité de la lésion psychologique.

En effet, suivant la réception du certificat médical du médecin traitant de la travailleuse reconnaissant un diagnostic de dépression majeure, l’employeur mandate un psychiatre afin d’évaluer cette dernière. L’opinion médicale du psychiatre diffère de celle du médecin traitant, notamment quant au diagnostic à retenir.

En mai 2021, l’employeur fait une demande auprès de la CNESST afin qu’un avis du BEM soit rendu. En juin 2021, la CNESST fait une demande au BEM afin d’obtenir l’avis d’un membre, plus particulièrement l’avis d’un psychiatre.

Un mois plus tard, n’ayant toujours pas reçu d’avis de convocation d’un membre du BEM, l’employeur demandera à la CNESST de désigner un professionnel de la santé afin que celui-ci puisse rendre une opinion médicale liant les parties, demandant à la CNESST d’appliquer l’alinéa 3 de l’article 224.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »), prévoyant ce qui suit :

224.1. Lorsqu’un membre du Bureau d’évaluation médicale rend un avis en vertu de l’article 221 dans le délai prescrit à l’article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l’article 222, la Commission est liée par le rapport qu’elle a obtenu du professionnel de la santé qu’elle a désigné, le cas échéant.

Si elle n’a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu’elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l’article 212 qui a fait l’objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu’elle reçoit, du membre du Bureau d’évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu’elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu’elle reçoit même s’il ne la lie pas. Nous rappelons que l’article 222 de la LATMP prévoit que le membre du BEM doit rendre son avis dans les 30 jours de la date à laquelle le dossier lui a été transmis et l’expédier sans délai au ministre avec copie à la CNESST et aux parties.

Nous comprenons de l’article 224.1 de la LATMP que la CNESST sera liée par l’opinion médicale du professionnel de la santé désigné et rendra une décision en conséquence, laquelle pourra être contestée par l’employeur ou le travailleur, s’il y a lieu. Ceci permettrait ultimement aux parties d’être entendues par le Tribunal, lequel rendrait alors une décision sur le fond.

Dans l’affaire Paccar, la CNESST refusera de donner suite à la demande de l’employeur, lequel demandera une révision administrative de la décision de la CNESST refusant de soumettre le dossier à un professionnel de la santé, malgré l’article 224.1 al.3 de la LATMP. C’est ce refus qui sera au cœur du litige.

En effet, dans cette décision, le Tribunal doit alors déterminer s’il y a lieu pour la CNESST d’acquiescer à la demande de l’employeur. Le Tribunal répondra par l’affirmative, et ce, considérant l’incapacité du BEM de désigner un psychiatre dans un délai raisonnable.

La décision

Selon les prétentions de la CNESST, l’alinéa 3 de l’article 224.1 de la LATMP prévoit un pouvoir discrétionnaire, précisant que l’article indique que la CNESST peut demander à professionnel de la santé qu’elle désigne. Ainsi, le « peut » pour la CNESST lui accorde un pouvoir discrétionnaire et elle n’a pas dans tous les cas l’obligation de procéder à la désignation d’un professionnel de la santé.

Le TAT précise toutefois, en considérant les objectifs de la Loi, qu’il est nécessaire que la procédure de BEM s’effectue avec célérité et efficacité. Ainsi, dans le contexte où le BEM n’est pas en mesure de désigner parmi ses membres un psychiatre, et ce dans un délai raisonnable, les objectifs de la Loi ne peuvent être atteints et il en résulte alors une situation tout à fait incohérente, à savoir que la procédure du BEM ne peut aboutir.

Incontestablement, le législateur n’a pas voulu un tel résultat. Il serait alors difficile de justifier pour la CNESST qu’elle n’utilise pas son pouvoir pour désigner un professionnel de la santé, considérant que dans le cas contraire, il ne se passera rien au dossier et cela n’avantage aucune des parties impliquées, incluant la CNESST.

Le TAT conclut qu’en vertu de l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, il a le pouvoir de faire appliquer le troisième alinéa de l’article 224.1 de la LATMP. Dans ce contexte, notons que dans la décision Paccar, la CNESST s’est engagée lors de l’audience, advenant une décision du TAT en ce sens, à désigner dans un court délai un professionnel de la santé qui évaluerait la travailleuse et ensuite, rendrait une décision en conséquence.

À propos des auteurs

Carl Lessard est associé dans le domaine du droit du travail au sein du cabinet Lavery. Il se distingue par sa grande expertise dans les dossiers à incidence médico-légale.

Il est également régulièrement sollicité pour prononcer des conférences sur des sujets d'actualité en droit du travail.

Camille Ouellet est membre de l’équipe droit du travail et de l’emploi chez Lavery. Elle s’est jointe à l’équipe en janvier 2018 à titre d’étudiante dans le cadre de son troisième stage coopératif et y a effectué son stage de formation professionnelle du Barreau en 2019.

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