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Quand la dénonciation rapporte : les programmes de récompense des dénonciateurs en droit de la concurrence

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Quid des programmes de récompense des dénonciateurs en droit de la concurrence?

Les programmes de dénonciation assortis de récompenses prévoient le versement de récompenses pécuniaires à ceux qui fournissent au gouvernement des éléments de preuve clés pour l’aider à intenter des poursuites criminelles. Au cours des dernières années, ces programmes sont devenus une caractéristique des lois sur les valeurs mobilières au Canada et aux États-Unis.

Mishail Adeel, James B. Musgrove, François Tougas, Guy Pinsonnault et Yuha Khan - source : McMillan et LinkedIn

Aujourd’hui, avec la mise en œuvre du Whistleblower Rewards Program (le « Programme de récompenses ») par la Division antitrust du département de la Justice des États-Unis, ces programmes ont été élargis à l’application des règles de concurrence aux États-Unis. Pour l’instant, il s’agit d’une divergence par rapport aux programmes incitatifs en droit de la concurrence au Canada qui servent à encourager la déclaration des infractions.

Le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») administre des programmes d’immunité et de clémence afin d’inciter les particuliers et les entreprises à autodéclarer les infractions criminelles sous le régime de la Loi sur la concurrence, comme les complots de fixation des prix et le truquage des offres. Ces programmes procurent des protections et la réduction des pénalités en échange d’une coopération, mais ils n’offrent aucun incitatif financier.

Le programme d’immunité octroie l’immunité contre des poursuites pénales aux parties qui sont les premières à divulguer leur implication dans un comportement illégal visé par la Loi sur la concurrence et qui coopèrent à l’enquête du Bureau. Pour qu’un demandeur soit admissible au programme, le Bureau ne doit pas avoir connaissance d’une infraction. Dans le cas contraire, il devra s’être manifesté avant que le Bureau renvoie l’affaire au Directeur des poursuites pénales. Les parties qui demandent l’immunité sont tenues de faire une divulgation complète de tous leurs éléments de preuve.

En vertu du Programme de clémence, un « crédit de coopération de la clémence » est accordé aux personnes qui ne sont pas les premières à se manifester, mais qui admettent avoir participé à un complot ou au truquage des offres et qui fournissent des éléments de preuve pour aider dans les poursuites.

Le Programme de clémence vise à fournir un « moyen transparent et prévisible de régler la situation » des personnes ayant contrevenu aux dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux cartels, soit offrir aux demandeurs admissibles une réduction de leur amende proportionnellement à leur coopération.

Les programmes d’immunité et de clémence du gouvernement du Canada sont fondés sur des programmes semblables dans d’autres pays, plus particulièrement ceux des États-Unis. En plus de ces programmes d’immunité et de clémence, la Loi sur la concurrence contient des dispositions distinctes sur la dénonciation qui protègent les personnes dénonçant au Bureau des infractions potentielles.

La Loi sur la concurrence protège l’identité des dénonciateurs et interdit à l’employeur de congédier un employé, de le suspendre, de le rétrograder, de le harceler ou de le priver d’un bénéfice de son emploi parce que celui-ci, agissant de bonne foi et se fondant sur des motifs raisonnables, déclare des infractions potentielles, coopère avec le Bureau ou aide dans le cadre d’une procédure connexe.

De façon similaire, la Criminal Antitrust Anti-Retaliation Act des États-Unis protège les employés, les sous-traitants et les agents contre les représailles en lien avec leur déclaration d’infractions potentielles à la législation antitrust ou leur participation à des enquêtes, sauf dans les situations où l’individu a planifié le comportement illégal ou en est à l’origine.

Le 8 juillet 2025, le département de la Justice des États-Unis a lancé un Programme de récompenses en vertu duquel des récompenses pécuniaires sont offertes aux personnes qui fournissent volontairement des renseignements originaux sur des infractions criminelles admissibles aux lois antitrust américaines. Les infractions pénales admissibles sont définies comme des infractions potentielles ou réelles à une loi pénale fédérale relevant du pouvoir discrétionnaire du département de la Justice des États-Unis.

Parmi les exemples, citons les violations des dispositions de la Sherman Act relatives à la fixation des prix et au truquage des offres. Les conditions de récompense exigent que l’information soit auparavant inconnue de tout organisme gouvernemental et que l’information donne lieu à des amendes pénales ou à un recouvrement équivalent d’au moins 1 million de dollars américains dans le cadre d’un accord de suspension des poursuites ou de non-poursuite. Les dénonciateurs admissibles peuvent recevoir une indemnité se situant entre 15 % et 30 % de l’amende ou du recouvrement, le montant précis étant déterminé à la discrétion du département de la Justice des États-Unis.

Comme il a été mentionné, les programmes de récompense sont nouveaux en droit de la concurrence et antitrust. Bien que le Bureau n’ait actuellement pas de régime de récompense en argent, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») administre un programme en vertu de la Politique 15-601 depuis 2016.

Celui-ci peut accorder jusqu’à 5 millions de dollars canadiens aux particuliers qui fournissent des renseignements originaux et utiles sur des infractions aux lois ontariennes sur les valeurs mobilières, ce qui entraîne des sanctions pécuniaires totales de plus de 1 million de dollars canadiens.

Le 31 mars 2022, la CVMO a annoncé que plus de 9 millions de dollars canadiens avaient été accordés à un total de 11 dénonciateurs, dont les dénonciations ont entraîné environ 48 millions de dollars canadiens en sanctions et en paiements volontaires. Le modèle de la CVMO, même s’il n’est pas universellement considéré comme un mécanisme de contrôle puissant, prouve que les incitatifs financiers peuvent favoriser la coopération dans d’autres contextes.

De même, à une échelle un peu plus grande, le programme de dénonciation de la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») offre des incitatifs financiers aux personnes qui dénoncent des infractions possibles aux lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières.

Les dénonciateurs admissibles ont droit à une récompense se situant entre 10 % et 30 % de la valeur des sanctions pécuniaires perçues dans le cadre d’actions intentées par la SEC et d’actions connexes intentées par d’autres organismes de réglementation et d’application de la loi. Pour qu’un demandeur soit admissible à une récompense, l’information fournie doit mener à une mesure d’application de la SEC qui, elle, donne lieu à une ordonnance de sanctions pécuniaires de plus de 1 million de dollars américains.

Le programme de la SEC est très important. Il encourage fortement la dénonciation des infractions et a fait naître une petite industrie juridique organisée autour de la défense des dénonciateurs. Depuis la création du programme en 2011, plus de 2,2 milliards de dollars américains ont été accordés à un total de 444 dénonciateurs. À ce jour, le montant le plus élevé qu’un dénonciateur ait reçu se chiffrait à 279 millions de dollars américains. Le programme interdit également aux employeurs d’exercer des représailles à l’encontre des employés qui fournissent à la SEC des informations sur d’éventuelles infractions à la législation sur les valeurs mobilières.

Il reste à voir l’impact qu’aura le Programme de récompenses du département de la Justice des États-Unis, qui soulève des questions pratiques pour le droit de la concurrence au Canada. Le programme américain créera des incitatifs supplémentaires significatifs pour dénoncer les comportements anticoncurrentiels, comme cela s’est déjà produit dans le secteur des valeurs mobilières aux États-Unis.

Cela pourrait avoir des répercussions directes sur l’application de la législation canadienne en matière de concurrence, dans la mesure où des cartels pourraient opérer, ou s’ils sont soupçonnés de le faire, de l’autre côté de la frontière. Par conséquent, d’autres cartels impliquant des comportements canadiens et une responsabilité au Canada, tant par voie de recours gouvernementaux que de recours collectifs, pourraient être mis au jour.

De plus, le Canada pourrait évidemment s’inspirer de ce programme pour créer son propre programme assorti de récompenses. Les incitatifs financiers pourraient accroître le volume et la qualité des dénonciations, surtout celles des employés et des contractuels d’une entreprise qui ne bénéficieraient pas du programme d’immunité et de clémence.

L’adoption par le Bureau d’un programme comparable assorti de récompenses reste une question ouverte, mais elle a des implications potentielles sur la capacité du Bureau à détecter et à poursuivre en justice les comportements anticoncurrentiels dans un environnement national et mondial d’application de la loi. Que le Bureau adopte un tel programme ou non, il demeure que celui du département de la Justice des États-Unis a des conséquences importantes pour l’application du droit de la concurrence au Canada.

À propos des auteurs

Mishail Adeel est avocate au sein du cabinet McMillan.

James B. Musgrove est cochef du groupe Concurrence, antitrust et investissements étrangers de McMillan et membre du groupe Droit du marketing et de la publicité.

François Tougas est associé chez McMillan.

Guy Pinsonnault est associé chez McMillan.

Yuha Khan a rejoint McMillan en tant qu’étudiante.

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