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Tarification algorithmique dans le logement locatif

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Collectif D'auteurs

2025-12-01 11:15:31

Le Bureau de la concurrence clôt une enquête et publie des lignes directrices pour l’industrie.

Tolu Ogidi, William Wu et Joshua Chad - source : McMillan


Le 10 novembre 2025, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a annoncé la conclusion de son enquête sur l’utilisation de logiciels de tarification algorithmique fournis par RealPage Canada Inc. (« RealPage ») et Yardi Canada, Ltd. (« Yardi ») sur le marché canadien du logement locatif.

Lancée initialement en janvier 2025 à la suite de préoccupations soulevées par des locataires et des groupes de défense d’intérêts ainsi que d’une poursuite intentée par le département de la Justice des États-Unis contre RealPage, l’enquête du Bureau visait à déterminer si l’utilisation des logiciels de gestion des revenus de RealPage et de Yardi nuisait à la concurrence au Canada.

Le Bureau a indiqué que le préjudice à la concurrence pourrait prendre la forme, entre autres effets anticoncurrentiels possibles, d’une hausse des prix de location, des taux d’inoccupation et des taux de rotation des locataires. L’enquête du Bureau a porté sur la question de savoir si les actions de RealPage et de Yardi constituaient ou non un abus de position dominante ou si ces entreprises ont ou non conclu une collaboration anticoncurrentielle, ou les deux.

En ce qui concerne les abus de position dominante potentiels, le Bureau s’est concentré sur trois principaux types de comportements adoptés par les entreprises :

la collecte et la mise en commun de renseignements non publics et sensibles sur le plan concurrentiel;

l’utilisation de règles spéciales dans leurs algorithmes de tarification pour gonfler artificiellement les recommandations de prix;

la création d’incitatifs pour une conformité élevée à ses recommandations de prix en pénalisant les propriétaires qui rejetaient les recommandations de prix des logiciels.

Le Bureau a mobilisé un large éventail de parties prenantes dans son enquête, y compris des propriétaires immobiliers, des gestionnaires immobiliers, des associations de locataires et des fournisseurs de logiciels de gestion des revenus, ainsi que des experts universitaires, des groupes de défense d’intérêts et d’autres autorités en matière de concurrence.

Il a conclu que l’adoption et l’utilisation de logiciels de gestion des revenus de RealPage et de Yardi au Canada n’étaient pas suffisamment répandues pour étayer une conclusion d’abus de position dominante.

De plus, le Bureau n’a pas trouvé de preuves que les entreprises ont conclu des ententes ou des arrangements qui nuisent à la concurrence au Canada.

Lignes directrices du Bureau de la concurrence concernant les logiciels de gestion des revenus

Bien que le Bureau ait conclu son enquête sans constater de préjudice à la concurrence, il a présenté ses lignes directrices à l’industrie immobilière (à savoir les propriétaires et gestionnaires immobiliers ainsi que les fournisseurs de logiciels algorithmiques) sur la façon dont les logiciels de gestion des revenus peuvent être utilisés en conformité avec la Loi sur la concurrence :

Utilisation de données non publiques : Le Bureau a indiqué que l’utilisation de renseignements non publics et sensibles sur le plan concurrentiel soulève des préoccupations quant à un potentiel préjudice à la concurrence. Cela s’explique par le fait que l’algorithme pertinent générerait des prix pour divers concurrents en se basant sur des renseignements qui ne leur seraient autrement pas accessibles. L’utilisation de ces renseignements dans les recommandations de prix pourrait donc entraîner des prix de location moins concurrentiels. Les « renseignements non publics et sensibles sur le plan concurrentiel » désignent les renseignements qui ne sont pas accessibles par l’intermédiaire de sources publiques et qui sont utilisés pour éclairer la prise de décisions concurrentielles. L’utilisation de données non publiques comprend la pratique consistant à saisir des renseignements non publics ou sensibles sur le plan concurrentiel dans l’épine dorsale d’un algorithme.

Structure de conception des logiciels : Selon le Bureau, les caractéristiques de conception des logiciels qui facilitent l’acceptation et la mise en œuvre des recommandations en matière de prix plutôt que leur rejet ou leur annulation, ou qui pénalisent les utilisateurs pour le rejet des recommandations, sont préoccupantes. Ces pratiques augmentent le risque que les concurrents utilisant un logiciel commun mettent en œuvre des stratégies de prix communes et créent un environnement propice à la coordination des prix.

Inflation artificielle et prix planchers : Le Bureau a également signalé qu’utiliser des logiciels dont les fonctionnalités gonflent artificiellement les prix ou limitent le prix plancher soulèverait des préoccupations. Ces pratiques s’étendent aux fonctionnalités qui permettent aux utilisateurs de limiter les stocks disponibles, créant ainsi une fausse rareté.

Partage anticoncurrentiel de renseignements : Le Bureau estime que les fournisseurs de logiciels ne devraient pas révéler de renseignements sur les concurrents de leurs clients, intentionnellement ou par inadvertance, y compris sur le fait que les rivaux du client utilisent ou non le logiciel de tarification. Selon le Bureau, de telles pratiques soulèvent des préoccupations en matière de partage anticoncurrentiel de renseignements ou de facilitation de complots « en étoile ».

Autre mesure d’application du Bureau concernant la tarification algorithmique et son intérêt accru pour les logiciels connexes

En plus de son enquête maintenant close sur RealPage et Yardi, le Bureau en mène actuellement une autre sur Kalibrate Canada Inc. (« Kalibrate »), lancée en juillet 2024.

Cette enquête vise à déterminer si Kalibrate, qui offre des services de données aux stations-service de détail, a enfreint les dispositions relatives à l’abus de position dominante en incitant les stations-service à réduire la concurrence par les prix par l’utilisation de renseignements sensibles non publics sur les concurrents dans son algorithme. Dans son enquête, le Bureau tente également de déterminer si Kalibrate a conclu des ententes qui diminuent ou empêchent considérablement la concurrence. Le 24 juillet 2024, le Bureau a obtenu une ordonnance, rendue par la Cour fédérale du Canada, qui exige que Kalibrate produise des documents et des renseignements écrits afin de faire progresser son enquête.

Comme en témoignent ces deux enquêtes, la tarification algorithmique est désormais un domaine d’intérêt pour le Bureau. Cela a été confirmé le 10 juin 2025 lorsqu’il a publié un document de travail sur le sujet, lançant une consultation publique au cours de l’été 2025. La consultation cerne plusieurs préoccupations sur le plan concurrentiel relativement aux logiciels de tarification algorithmique, notamment la collaboration entre concurrents, la tarification abusive, les pratiques de mise en commun et de regroupement et les obstacles à l’entrée dans le marché.

Répercussions plus vastes

Bien que les plus récentes lignes directrices du Bureau émises à la suite de la conclusion de son enquête sur RealPage et Yardi visaient spécifiquement l’industrie immobilière, elles donnent un aperçu des points de vue du Bureau sur une utilisation élargie des algorithmes de tarification.

Clarté : Ces lignes directrices apportent des éclaircissements quant au type de données qui créent des risques importants en matière de droit de la concurrence lorsqu’elles sont utilisées dans les logiciels de tarification, à savoir les renseignements non publics ou sensibles sur le plan concurrentiel obtenus auprès des concurrents des utilisateurs du logiciel. Elles précisent aussi que les utilisations par les logiciels de ces renseignements (c’est-à-dire que les renseignements sont utilisés de manière anonyme) et les cas où la délégation des décisions de tarification à un algorithme tiers commun peuvent soulever d’importantes préoccupations sur le plan concurrentiel.

Manque de souplesse pour les entreprises : Les entreprises pourraient devoir effectuer des analyses coûts-avantages approfondies au moment de décider d’utiliser ou non des modèles de tarification algorithmique, compte tenu de l’avis du Bureau de ne pas recourir à des logiciels qui augmentent artificiellement les prix ou fixent des prix planchers. Dans le cours normal des affaires, les entreprises ont la possibilité de tirer parti des connaissances du marché pour fixer des prix arrondis élevés ou des prix de base pour leurs produits. Les lignes directrices du Bureau suggèrent qu’une telle souplesse pourrait ne pas exister (pour les prix planchers) ou devrait être atténuée (pour les prix gonflés) lorsque des logiciels de tarification sont utilisés, ou les deux.

Préoccupations liées aux développeurs de logiciels : Les lignes directrices du Bureau soulèvent une préoccupation particulière concernant les développeurs de logiciels de tarification algorithmique. L’un des outils de marketing les plus puissants pour les fournisseurs de logiciels consiste à prouver l’adoption généralisée de leurs produits en informant les clients potentiels des clients importants qui les utilisent déjà. Selon les lignes directrices du Bureau, le fait de divulguer l’utilisation d’un produit par un concurrent est une préoccupation sur le plan concurrentiel. Les développeurs de logiciels ne peuvent donc pas se fier à leur liste de clients pour générer des occasions d’affaires au sein de la même industrie. Cela pourrait constituer une contrainte importante à la croissance des activités d’un développeur.

Spectre des recours collectifs civils : Outre le risque d’enquête et de contestations judiciaires de la part du Bureau, les entreprises doivent garder à l’esprit que la perspective d’un recours collectif se profile également à l’horizon. Pour RealPage, un recours collectif a été intenté contre l’entreprise au Canada, alléguant que plus d’une douzaine de propriétaires et gestionnaires immobiliers ont conspiré pour utiliser son logiciel afin d’augmenter artificiellement les loyers. La poursuite vise à obtenir une compensation financière pour les locataires qui pourraient avoir payé un loyer excessif depuis 2009 en raison de ce stratagème présumé. Il n’est pas clair de quelle façon la conclusion de l’enquête du Bureau affectera ce recours collectif proposé. Les entreprises doivent être conscientes du fait que les risques associés à l’utilisation de ces logiciels de tarification ne se limitent pas à l’intervention réglementaire.

Lorsque vous participez à un service de gestion des revenus, que ce soit en le développant, en l’exploitant ou en y souscrivant, il est important d’avoir conscience des risques sur le plan concurrentiel, surtout ceux liés à la tarification algorithmique.

À propos des auteurs

Tolu Ogidi est avocat chez McMillan.

William Wu est associé chez McMillan.

Joshua Chad est associé chez McMillan.

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