Vous n’allez pas vous ennuyer : suspension des cautionnements d’exécution dans les procédures sous le régime de la LACC

Catherine Doyle, Jason J. Annibale, Tushara Weerasooriya, Emily Hush Et Alexander Overton
2025-10-01 11:15:45
Focus sur une récente décision en matière de restructuration et d’insolvabilité…

Un développement de l’actualité judiciaire pourrait avoir une incidence considérable sur le secteur de la construction et les procédures d’insolvabilité : la Cour supérieure de l’Ontario a rendu une ordonnance initiale en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») qui comprend une mesure rarement vue, à savoir la suspension des appels de fonds au titre des cautionnements d’exécution.
L’arrêt Re Earth Boring Co. Limited soulève d’importantes questions au sujet des limites du pouvoir judiciaire discrétionnaire en vertu de l’article 11 de la LACC et du rôle de l’article 11.04, qui traite du rôle des tiers garants dans une procédure de restructuration de débiteur.
Le présent bulletin analyse la portée et la motivation de l’ordonnance de la Cour, son alignement sur les principes juridiques et commerciaux existants et les conséquences pratiques qu’elle pourrait entraîner pour les donneurs d’ouvrage, les entrepreneurs et les cautions dans le secteur de la construction. S’agit-il d’un cas isolé reposant sur un ensemble unique de faits ou d’un signe avant-coureur d’un changement plus général dans la façon dont les tribunaux traitent le cautionnement dans les procédures d’insolvabilité? Nous en examinons les implications pour les donneurs d’ouvrage, les financiers et les entrepreneurs.
Contexte
Earth Boring Co. Limited (« Earth Boring ») est un important fournisseur de services de construction sans tranchée en Ontario. Confrontées à des difficultés financières, Earth Boring, ses deux sociétés de portefeuille et sa société de gestion inactive (respectivement Yarbridge Holdings Inc., Trolan Investments Ltd. et Yarfield Services Limited) (collectivement, les « Demandeurs ») ont déposé un avis d’intention en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, qu’elles ont ensuite poursuivi sous le régime de la LACC.
Dans leur demande d’ordonnance initiale du 17 avril 2025 en vertu de la LACC, les Demandeurs ont sollicité une « mesure préventive » inhabituelle : une suspension de l’application ou de l’appel des cautionnements d’exécution liés aux projets qu’ils avaient l’intention d’achever, sauf accord écrit entre eux et le contrôleur.
Aviva, Compagnie d’Assurance du Canada (« Aviva »), qui détient un total de 150 millions $ en cautionnements pour divers projets de construction dans lesquels les Demandeurs sont impliqués, n’a pas contesté l’ordonnance initiale, puisque la mesure de redressement a été accordée sous forme de « règlement complet ». À la suite de la suspension, les maîtres d’ouvrage des projets de construction cautionnés exécutés par Earth Boring ne peuvent plus se prévaloir de leur droit de demander un redressement à la caution en cas de manquement d’Earth Boring.
Motifs de la juge Steele
La juge Steele s’est fondée sur le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 11 de la LACC pour accueillir la demande des Demandeurs de suspendre les droits des donneurs d’ouvrage. Dans ses motifs publiés le 22 avril 2025, la juge Steele a établi une distinction entre la suspension du cautionnement d’exécution et les autres mesures de redressement « conventionnelles » sollicitées par les Demandeurs. Néanmoins, elle a conclu que l’octroi de la mesure de redressement demandée « contribuera utilement à la réalisation de l’objectif réparateur de la LACC » et à « éviter les pertes sociales et économiques résultant de la liquidation d’une compagnie insolvable ».
La juge Steele s’est appuyée sur deux arguments présentés par les Demandeurs. Premièrement, ils avaient besoin d’une (traduction) « marge de manœuvre pour discuter avec les maîtres d’ouvrage et les contreparties afin de faciliter l’achèvement des projets en cours d’EBCL, qui est essentiel à la restructuration des Demandeurs et de l’Activité ».
Deuxièmement, tout appel de cautionnement d’exécution déclencherait l’obligation d’Aviva d’agir, ce qui « risquerait de mettre à mal la capacité des Demandeurs à s’acquitter de leurs obligations dans le cadre du contrat en question », et les coûts supplémentaires qu’Aviva « pourrait » encourir « risqueraient d’affecter les financements ultérieurs des projets du Demandeur ».
L’article 11.04 de la LACC
Bien qu’il apparaît qu’aucune partie n’a évoqué cette restriction potentiellement pertinente devant la juge Steele, il convient de noter que le pouvoir judiciaire discrétionnaire visé à l’article 11 susmentionné est assujetti à l’article 11.04 de la LACC qui stipule que : L’ordonnance prévue à l’article 11.02 est sans effet sur toute action, poursuite ou autre procédure contre la personne — autre que la compagnie visée par l’ordonnance — qui a des obligations au titre de lettres de crédit ou de garanties se rapportant à la compagnie.
Une garantie est (traduction) « une promesse faite par une personne de répondre de la bonne exécution de l’obligation d’une autre personne (qu’il s’agisse d’une obligation légale ou contractuelle) dans le cas où cette autre personne manquerait à cette obligation ». On peut soutenir qu’un cautionnement d’exécution répond à cette définition. Certains tribunaux ont estimé que l’article 11.04 n’interdisait pas la suspension des garanties et ne limitait pas le pouvoir judiciaire discrétionnaire prévu à l’article 11. En revanche, d’autres l’ont interprété comme signifiant qu’une suspension est sans effet pour un garant.
Cette dernière approche est logique d’un point de vue commercial. Un cautionnement d’exécution donne au maître d’ouvrage du projet (et très souvent aux bailleurs de fonds du projet) une garantie de la promesse de l’entrepreneur cautionné d’exécuter les travaux conformément au contrat de construction, et offre une protection de crédit au maître d’ouvrage et à ses financiers en cas d’insolvabilité de l’entrepreneur cautionné. En général, si l’entrepreneur manque à ses obligations, le maître d’ouvrage ou les bailleurs de fonds peuvent se prévaloir du cautionnement d’exécution.
La caution enquêtera alors sur le manquement et, s’il est avéré, elle aura le choix de négocier une solution, d’engager un autre entrepreneur, de verser une compensation financière au maître d’ouvrage ou de réintégrer l’entrepreneur défaillant. Comme l’a déclaré le juge Barclay il y a de nombreuses années dans l’affaire Browne v. Southern Canada Power Co., (traduction) « [il est quelque peu surprenant qu’une caution puisse se prévaloir de la faillite de son débiteur principal pour se soustraire à sa propre obligation ou la modifier », car les contrats de cautionnement sont généralement « conclus dans le but même de garantir la solvabilité du débiteur principal ».
Même si l’article 11.04 n’empêche pas complètement la suspension des demandes visant l’application de garantie comme les appels de cautionnements d’exécution, les tribunaux ont convenu que pour obtenir une telle suspension, le demandeur doit démontrer que l’autorisation des demandes de tiers entraverait ou compliquerait le processus de restructuration en cours.
Il est incontestable qu’une caution pourrait, lorsqu’elle reçoit un appel de cautionnement d’exécution, prendre en charge le projet, et ainsi détourner les actifs de l’entrepreneur débiteur. Cependant, un tel scénario n’est pas des plus courants. Lorsqu’elle est saisie, la société de cautionnement procède généralement à une enquête préalable pour déterminer si le défaut est avéré. Si l’entrepreneur poursuit les travaux sur le terrain, la société de cautionnement aura plus tendance à faciliter la résolution du problème plutôt que de reprendre le projet à son compte.
Fait important, la caution peut également verser au maître d’ouvrage le montant maximal du cautionnement (souvent fixé au départ à la moitié du prix du contrat), comme dans le cas d’une garantie commerciale ordinaire. Tant que le choix de la caution n’est pas connu, il n’y a pas de risque imminent pour le débiteur ou le processus de restructuration, et ce n’est que dans certaines circonstances que les actifs du débiteur peuvent être touchés négativement.
La preuve présentée à la juge Steele
En général, la demande d’ordonnance initiale d’un débiteur aux termes de la LACC ne vise que des mesures de redressement nécessaires et urgentes. En l’espèce, la demande ne soumettait aucune preuve d’un risque imminent pour les Demandeurs. Les Demandeurs ont simplement allégué que toute perturbation des projets cautionnés (traduction) « aurait une incidence négative sur la suite des activités et du financement de (Earth Boring), au préjudice des Demandeurs et de leurs parties prenantes » et que « la suspension des cautionnements d’exécution vise à empêcher les mesures d’exécution précipitées et à faciliter les discussions et les arrangements appropriés avec les contreparties contractuelles (au besoin) pour garantir la continuité de l’exploitation des Demandeurs et la poursuite de leurs activités ».
Dans le même ordre d’idées, le rapport préalable au dépôt du Contrôleur indiquait que (traduction) « si les appels de cautionnement d’exécution ne sont pas suspendus, cela pourrait causer une instabilité et l’interruption des projets en cours d’EBC ».
À elles seules, ces vagues allégations d’un éventuel préjudice futur ne suffiraient normalement pas à justifier une mesure de redressement exceptionnelle au titre de l’article 11, d’autant plus que les Demandeurs ont reconnu qu’ils n’étaient pas au courant d’un manquement aux termes des cautionnements d’exécution au moment de la requête. De plus, les versements à un maître d’ouvrage au titre du cautionnement d’exécution n’auraient pas nui à la capacité des Demandeurs de poursuivre leurs activités.
Les conséquences de la suspension
La décision de la juge Steele de suspendre les appels de cautionnement d’exécution semble offrir une marge de manœuvre à court terme aux entrepreneurs en difficulté, mais elle remet également en cause la logique commerciale qui sous-tend les contrats de cautionnement et transfère le risque aux maîtres d’ouvrage de projets et à leurs financiers d’une manière qui semble difficile à justifier en vertu du cadre législatif.
En effet, une suspension des appels de cautionnement d’exécution transfère le risque lié à une éventuelle insolvabilité de l’entrepreneur de la caution, qui l’a volontairement assumée, au maître d’ouvrage, qui a payé pour l’éviter, imposant ainsi au maître d’ouvrage le fardeau de démontrer que la suspension devrait être levée afin que les modalités du contrat de cautionnement puissent être appliquées.
Dans le contexte des cautionnements d’exécution et des procédures sous le régime de la LACC, une approche équilibrée et nuancée refléterait mieux les réalités commerciales et respecterait la liberté contractuelle des parties. Au lieu d’empêcher les bénéficiaires de se prévaloir du cautionnement d’exécution, les tribunaux pourraient suspendre l’exercice des droits de la caution à l’égard du débiteur, c’est-à-dire de l’entrepreneur qui poursuit les travaux de construction, à moins qu’ils ne démontrent en quoi l’exercice de ces droits pourrait favoriser la réalisation des objectifs de la LACC.
Une telle approche imposerait le fardeau de la preuve à la caution plutôt qu’au maître d’ouvrage, ce qui reflète mieux la répartition du risque aux termes du contrat de cautionnement qui a vocation à être un instrument de protection de crédit auquel se fient tant le maître d’ouvrage que les financiers.
Il reste à voir si cet arrêt présage une nouvelle volonté des tribunaux de subordonner des droits négociés à des objectifs de restructuration, ou s’il se limitera aux faits qui le sous-tendent. En attendant, les maîtres d’ouvrage seraient bien avisés de réexaminer leurs accords de cautionnement et les termes de leurs contrats CCDC au regard de ces incertitudes.
À propos des auteurs
Catherine Doyle est associée chez McMillan.
Jason J. Annibale codirige le groupe de la construction et des infrastructures de McMillan.
Tushara Weerasooriya est associée en restructuration et insolvabilité chez McMillan.
Emily Hush est avocate en litige chez McMillan.
Alexander Overton est avocat en restructuration et insolvabilité chez McMillan.