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Conflit d’imprimés et clauses de juridiction

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Ogilvy Renault

2008-04-28 09:03:00

Une clause de juridiction écrite en petits caractères et figurant dans des documents types qui ne sont délivrés qu’après l’offre et l’acceptation initiales peut-elle s’appliquer à une relation contractuelle?

La Cour d’appel du Québec a récemment répondu à cette question par l’affirmative.

Dans l’affaire Matrox Graphics Inc. c. STMicroelectronics Inc., Matrox a poursuivi STMicroelectronics (« ST ») devant la Cour supérieure du Québec parce que ST lui avait fourni des composantes informatiques défectueuses(1). ST a invoqué une clause de juridiction (« clause 19 de ST ») qui prévoyait qu’advenant un différend, l’acheteur, Matrox, s’en remettrait à la compétence des tribunaux du Texas. La Cour d’appel du Québec a récemment rendu une décision sur les requêtes en exception déclinatoire de ST920.

En première instance, la Cour supérieure a jugé que cette clause n’était pas applicable car Matrox avait clairement indiqué, sur le bon de commande initial délivré à ST, que toutes les modalités « différentes ou incompatibles » pouvant figurer sur un bon de confirmation remis par le vendeur ne s’appliqueraient pas (« clause 5 de Matrox »). Même si le bon de commande de Matrox ne désignait pas de for en cas de différend, les documents subséquents de ST, comme le bon de confirmation, le bon de livraison et la facture, contenaient la clause 19 de ST.

La Cour supérieure a décidé que la clause 19 de ST était bel et bien une modalité « différente ou incompatible » étant donné que le bon de commande de Matrox ne désignait pas les tribunaux du Texas, pas plus qu’aucun tribunal compétent d’une autre juridiction, pour entendre les litiges nés ou à naître dans le cadre de leur relation contractuelle. Selon la Cour supérieure, puisqu’une clause semblable à la clause 19 de ST ne figurait pas dans le bon de commande de Matrox, il s’agissait par conséquent d’une modalité « différente » au sens de la clause 5 de Matrox.

La Cour d’appel n’a pas souscrit au raisonnement de la Cour supérieure, mais elle est néanmoins parvenue à la même conclusion. En obiter, la Cour d’appel a indiqué que la clause d’exclusion de Matrox visant toutes les « modalités différentes ou incompatibles » ne s’appliquait qu’aux modalités concernant l’annulation et les délais de livraison et de facturation, étant donné que la clause était précédée par quatre clauses traitant de ces questions.

Même si l’offre et l’acceptation initiales avaient pris la forme d’un bon de commande délivré par Matrox sur lequel ST avait indiqué son consentement en y annotant la mention « ok » et en le télécopiant à Matrox, la Cour d’appel a conclu que Matrox devait être réputée avoir tacitement accepté la clause 19 de ST. Une telle conclusion s’imposait parce que les documents délivrés ensuite par ST faisaient partie de l’échange commercial de documents entre les parties. La Cour d’appel a reconnu que cette conclusion impose un lourd fardeau de vérification à ceux qui participent à des relations commerciales caractérisées par l’échange de bons de commande et de documents de confirmation subséquents.

Ce type de relations commerciales est très répandu parmi les distributeurs et les fournisseurs qui exercent leurs activités au sein d’une vaste chaîne de production et qui sont soumis à des contraintes de temps. Le jugement de la Cour d’appel causera probablement une certaine incertitude quant à la question de déterminer les modalités de quelles parties s’appliquent lors d’un échange de bons de commande. En fait, la jurisprudence américaine a même inventé une expression pour décrire cette situation : le « conflit d’imprimés » (battle of the forms).

La Cour d’appel n’a pas énoncé de règle absolue pour déterminer l’issue d’un tel conflit d’imprimés, mais il est clair que l’interprétation de tous les faits et le contexte d’une relation commerciale donnée peuvent amener une partie à se voir imposer des obligations qu’elle n’a pas négociées.

En fin de compte, la tentative de ST de renvoyer la poursuite devant un tribunal du Texas a échoué, compte tenu du libellé de la clause 19 de ST qui prescrit :

Buyer agrees that it will submit to the personal jurisdiction of the competent Courts of the State of Texas and in the United States sitting in Dallas County, Texas, in any controversy or claim arising under the sale contract, and that service of process mailed to it at the address appearing on the reverse side hereof by registered mail, return receipt requested, shall be effective service of process in any such Court.

(traduction): L’acheteur convient de s’en remettre à la compétence personnelle des tribunaux de l’État du Texas et des États-Unis siégeant dans le comté de Dallas, Texas, dans le cas de tout différend ou de toute réclamation découlant du contrat de vente, et que la signification d’un acte de procédure qui lui est posté à l’adresse figurant au verso des présentes par courrier recommandé, avec accusé de réception, constitue une signification valable de cet acte de procédure devant ce tribunal.

Appliquant les principes de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire GreCon Dimter Inc. c. J.R. Normand Inc.[3], la Cour d’appel a jugé que le libellé de cette clause n’avait ni le caractère impératif nécessaire ni le degré de clarté et de spécificité requis pour conférer une compétence exclusive à un tribunal étranger. La Cour d’appel a accueilli l’argument de Matrox voulant que le libellé de la clause 19 de ST est tel qu’il ne constitue pas une clause d’élection de for exclusif, mais plutôt une clause de reconnaissance de juridiction (attornment clause), aussi appelée clause d’assujettissement à une compétence (submission-to-jurisdiction clause) ou clause relative à la signification des poursuites (service-of-suit clause).

Cette clause ne visait donc qu’à assurer que, si ST poursuivait Matrox, elle pouvait choisir de le faire devant les tribunaux du Texas sans avoir à faire face à une contestation en matière de compétence de la part de Matrox. En vertu de la clause 19 de ST, Matrox était réputée avoir renoncé à cette opposition à la compétence, d’où l’appellation « clause de reconnaissance ». Étant donné qu’en l’espèce c’était Matrox qui poursuivait ST, la clause 19 de ST n’a pas trouvé application.

La décision de la Cour d’appel rappelle l’importance du libellé des clauses de compétence. Même si une partie n’obtient pas gain de cause aux termes du conflit d’imprimés, elle peut néanmoins l’emporter parce que le libellé de la clause invoquée par la partie adverse n’étaye pas sa prétention. Au Québec, les parties devraient prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que leurs relations commerciales ne peuvent être interprétées de manière à créer une présomption d’acceptation tacite de modalités qu’elles n’ont pas négociées. Les entreprises doivent être informées non seulement de la nature des modalités qui peuvent être considérées comme leur étant implicitement applicables mais aussi de leur libellé afin d’en comprendre la véritable portée.

Par Azim Hussain et Sylvain Rigaud, d'Ogilvy Renault.
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