Jacques R. Fournier
Jacques R. Fournier
Les pouvoirs attribués par le gouvernement provincial à la Cour du Québec violent-ils la Loi constitutionnelle de 1867? C’est en effet la question qui tue, car on la pose depuis près de 100 ans. Les juges de la Cour supérieure, l’Honorable juge en chef Jacques R. Fournier en tête, poursuivent, en Cour supérieure, la Procureure générale du Québec et la Procureure générale du Canada, en quête d’un jugement déclaratoire pour enfin trancher l’affaire.

Les avocats sur le dossier seront William J. Atkinson, ainsi que deux juristes de Langlois Avocats, Sean Griffin et Véronique Roy.

Mes William J. Atkinson, Sean Griffin et Véronique Roy
Mes William J. Atkinson, Sean Griffin et Véronique Roy
La question posée a deux volets. D’une part, les juges contestent le fait que la Cour du Québec puisse avoir une compétence « exclusive » en civil, ainsi que le seuil de 85 000 $ qui lui est attribué. En effet, le nouveau Code de procédure civile fixe à 85 000 $ la barre en dessous de laquelle la Cour du Québec a compétence absolue pour entendre les litiges civils. Une disposition prévoit également l’indexation de ce montant, mais celle-ci n’est pas encore en vigueur.

D’autre part, on en a contre le pouvoir de surveillance et de contrôle attribué à la Cour du Québec en certaines occasions.

Pourquoi est-ce à ce moment-ci, dans un contexte « post-Jordan », où les tribunaux sont engorgés et le système de justice presque paralysé, que les juges décident de soumettre cette question à la Cour?

« Il s’est toujours agi, et il s’agit encore d’une question fondamentale. Plus que jamais, dans ce contexte, il faut savoir quel rôle doit avoir chacun des tribunaux, et quelles sont les ressources appropriées pour ceux-ci », explique l’ancienne bâtonnière et avocate Madeleine Lemieux, porte-parole du recours.


Compétence exclusive et concurrente

Pour comprendre, il faut revenir aux bases du système de justice canadien. Ainsi, la Cour suprême du Canada, ainsi que les cours d’appel et supérieures en place dans chaque province, relèvent de la prérogative du gouvernement fédéral. C’est donc le fédéral qui nomme, et qui paie, tous les juges de ces cours. À l’opposé, la Cour du Québec relève de Québec, qui nomme et paie les juges qui la composent.

Or, il est clairement établi – encore aujourd’hui – que la Cour supérieure, étant le tribunal de droit commun, doit entendre toutes les causes qui ne sont pas de la juridiction exclusive d’un autre tribunal. Et au moment de la Confédération, en matière civile et en première instance, seule la Cour de circuit possédait une telle compétence exclusive, soit pour les litiges n’excédant pas 200 $. Les juges de cette Cour étaient eux aussi nommés par le fédéral.

En 1869, la Cour de Magistrat, ancêtre de la Cour du Québec, a été créée par la législature québécoise. Ses juges, nommés par Québec, détenaient une certaine compétence concurrente avec la Cour de circuit, soit pour les litiges de 25 $ ou moins.

En 1922, la juridiction de la Cour de circuit a été suspendue dans les comtés et districts ou siégeait la Cour de Magistrat, ce qui a conféré à cette dernière une compétence exclusive dans les matières qui étaient autrefois du ressort de la Cour de circuit. En 1953, la Cour de circuit a finalement été supprimée au Québec. La combinaison des événements de 1922 et de 1953 a donc permis de transférer la compétence exclusive d’une cour de juridiction fédérale à une cour de juridiction provinciale. D’où la poursuite : on argue que ce transfert de pouvoirs est anticonstitutionnel.


Limite de 10 000 $

Me Madeleine Lemieux
Me Madeleine Lemieux
Au fil des ans, le montant maximal pour qu’un litige puisse être entendu à la Cour de Magistrat, puis à la Cour du Québec, a été progressivement indexé, jusqu’à atteindre 70 000 $ en 2002 et 85 000 $ l’an dernier. Donc, en attribuant une compétence exclusive à la Cour du Québec pour les litiges de moins de 85 000 $, le législateur québécois a violé la Loi constitutionnelle et a porté « atteinte au cœur de ce qu’est la Cour supérieure », écrit-on dans la demande en justice.

Les cours de juridiction fédérale ont donc compétence exclusive sur tous les litiges d’au moins 100 $ de 1867, clament les demandeurs. En dollars d’aujourd’hui, cela équivaut à 10 000 $. Quant à la Cour supérieure, elle aurait ainsi compétence exclusive sur tous les litiges de plus de 200 $, soit 20 000 $ de 2017.

Donc, la Cour du Québec ne devrait pas avoir compétence jusqu’à 85 000 $, mais bien jusqu’à 10 000 $, allègue-t-on. Et cette compétence pour les litiges de moins de 10 000 $ devrait être non pas exclusive, mais concurrente avec celle des cours de juridiction fédérale.


Pouvoir de surveillance et de contrôle

D’autre part, la Cour supérieure est de par sa nature investie d’un « pouvoir de surveillance et de contrôle » qui lui donne le droit de réviser les décisions d’ordre administratif, via le mécanisme de contrôle judiciaire.

Or, un certain pouvoir de surveillance et de contrôle est maintenant attribué à la Cour du Québec, dénoncent les juges. On pense notamment à des dispositions de la Loi sur la justice administrative ou de la Loi sur le courtage immobilier qui permettent d’en appeler à la Cour du Québec de décisions d’organismes administratifs.

Cela vient déposséder la Cour supérieure d’une partie de son pouvoir au profit d’une cour provinciale, ce que la Loi constitutionnelle de 1867 ne permet pas non plus, écrit-on dans la poursuite.


Renvoi à la Cour d’appel

Les demandeurs décochent par ailleurs une flèche au gouvernement du Québec. Ils ont maintes fois exhorté celui-ci à user de son pouvoir de demander un renvoi sur la question en jeu à la Cour d’appel, déclarent-ils dans la demande. En vain. Ils lui forcent à présent la main en procédant par requête en jugement déclaratoire.

Il faut donc croire que le débat sera plutôt tranché en Cour supérieure. Ironiquement, le juge qui aura à trancher la question doit être attitré au dossier par le juge en chef Fournier! Comment la chose est-elle possible?

« Quatre juges de la Cour supérieure, qui ont des compétences particulières en matière de droit public, ont été écartés des débats des juges de la Cour supérieure sur cette question. Le juge Fournier choisira donc l’un d’eux pour juger de l’affaire », explique Madeleine Lemieux.

À moins, bien sûr, que le Procureur général du Québec, en voyant cette poursuite contre lui, ne demande carrément le fameux renvoi à la cour d’appel pour que ce soit elle qui se prononce...