Marc-André De Sève, président de l’Association canadienne des parajuristes
Marc-André De Sève, président de l’Association canadienne des parajuristes
C’est en tout cas vers là que s’en va le Barreau de l’Ontario.

L’instance dirigeante a approuvé une proposition en décembre pour créer un nouveau permis pour les parajuristes. Il les formerait à certains aspects du droit de la famille qui leur seraient désormais ouverts, comme l’achèvement de certains formulaires ou encore la rédaction de motions.

Des consultations avec des avocats spécialistes du domaine devraient avoir lieu dans les prochains mois.

La proposition fait partie d'un plan d'action qui vise à améliorer l'accès à la justice pour le grand nombre de citoyens non représentés dans les tribunaux de la famille de l’Ontario.

Le Québec, à des années-lumière

Au Québec, accorder de telles prérogatives aux parajuristes semble à des années-lumière, puisque la profession n’a même pas son ordre. « La manière dont est faite la loi aujourd’hui ne nous permet pas de faire ce que les Ontariens ont fait, car rien n’encadre la profession au Québec. C’est aussi pour cela qu’on demande la création d’un ordre », explique Marc-André De Sève, président de l’Association canadienne des parajuristes.

Pour M. De Sève, le débat actuel qui existe sur la possibilité d’accorder aux étudiants le droit de donner des conseils juridiques devrait aussi concerner les parajuristes. « Si eux obtiennent la permission, je ne vois pas pourquoi nous on ne pourrait pas. Ce n’est pas vrai de dire que parce qu’on est étudiant en droit, on est plus calé que les parajuristes », appuie le président.

Me Éric Thibodeau, avocat au cabinet Langlois
Me Éric Thibodeau, avocat au cabinet Langlois
Me Éric Thibodeau, avocat au cabinet Langlois, est du même avis. « Il y a plusieurs parajuristes qui font un aussi bon travail, si ce n’est un meilleur, que certains avocats. Je ne vois pas pourquoi on les empêcherait d’effectuer certaines tâches à plus hautes responsabilités. Ce n’est pas parce qu’on est avocat qu’on est les meilleurs », ose-t-il même dire. Car pour l’avocat spécialiste en droit du travail, il faut prendre en compte les connaissances et l’expertise de certains parajuristes qui exercent depuis de nombreuses années.

D’ailleurs, il souligne que le droit du travail n’est pas un acte exclusif aux avocats, puisqu’il est permis aux représentants syndicaux de faire un travail de représentation, ce qui a, d’après lui, permet une meilleure accessibilité à la justice dans ce domaine du droit.

Mais tout le monde n’est pas de cet avis. En Ontario, certains avocats en droit de la famille disent qu'ils ont de sérieuses inquiétudes quant à savoir si le projet de loi permettra éventuellement aux parajuristes de pratiquer sans la supervision d'un avocat.

La protection du public compte

Me Thibodeau ne perd cependant pas du vu l’aspect très important de la protection du public. « Ce qui doit guider le législateur et tous les intervenants, c’est la protection du public et l’accessibilité à la justice.

« On sait que les parajuristes vont coûter moins cher. Ce serait bien qu’on considère élargir leur champ d’action, mais sans que ce soit au détriment de la qualité du service », ajoute Me Thibodeau.

Dans ce débat, l’accessibilité à la justice est une dimension importante. « On voudrait parfois aider des gens, mais on ne peut pas. Le travail qu’on fait pourrait permettre à Monsieur et Madame Tout-le-monde, qui ne peuvent pas se payer d’avocats, d’avoir tout de même un premier avis juridique », explique M. de Sève.

Perdre sa part du gâteau

Derrière la frilosité de certains, se cache aussi l’angoisse de perdre sa part du gâteau, et que les parajuristes finissent par marcher sur les plates-bandes des avocats.

Éric Thibodeau en parle spontanément : « je peux comprendre que les avocats soient préoccupés par la protection du public, et c’est un bon motif pour s’inquiéter. Mais ceux qui s’opposent à l’idée de donner plus de prérogatives aux parajuristes parce qu’ils ont peur de perdre du travail n’est pas un bon argument ».

Bencher Howard Goldblatt, président du comité pour l’accès à la justice du Barreau de l’Ontario.
Bencher Howard Goldblatt, président du comité pour l’accès à la justice du Barreau de l’Ontario.
M. De Sève, qui souligne que les jeunes sont plus ouverts à ce débat, ajoute que les avocats doivent garder en tête que confier certains travaux aux parajuristes leur libèrerait aussi du temps pour se concentrer sur d’autres tâches.

Me Heather Hansen, avocate au cabinet Martha McCarthy & Company, dit clairement qu’elle ne soutient pas l’idée. « Je pense qu’il s’agit d'un effort réel pour répondre à un besoin et que certains éléments de cette stratégie devraient faire partie de notre système. Mais ils doivent être intégrés, réfléchis et il faut faire des consultations », explique-t-elle dans un article publié par le Law Times déjà cité plus haut.

« Il est plus important de le faire correctement que de le faire rapidement », répond Bencher Howard Goldblatt, président du comité pour l’accès à la justice du Barreau de l’Ontario.

M. De Sève comprend les inquiétudes. « Il faudrait que tout soit bien balisé, mais les parajuristes ont leur rôle à jouer dans un meilleur accès à la justice », dit-il.

François Bibeau, président de la Chambre des notaires
François Bibeau, président de la Chambre des notaires
Et qu’en est-il des instances de décisions ? Le Barreau du Québec a indiqué ne pas vouloir réagir « sur des scénarios hypothétiques ».

Même son de cloche de la Chambre des notaires : Il serait prématuré de nous prononcer sur une question aussi hypothétique, dit Me François Bibeau, président de la Chambre des notaires du Québec. « Je ne peux que soutenir les initiatives visant tant à protéger le public qu’à améliorer l’accès à la justice. Ceci étant dit, ce dossier spécifique ne nous a jamais été soumis et donc aucune analyse ou réflexion n’a pu en découler. »