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PL 21 : l’ABC déplore le recours aux clauses dérogatoires

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Abc -québec

2019-04-05 14:30:00

L’ABC-Québec interpelle le gouvernement afin qu’il retire les clauses dérogatoires du Projet de loi 21 sur la laïcité. Voici pourquoi.

Me Audrey Boctor la présidente de la Division
Me Audrey Boctor la présidente de la Division
Le Projet de loi 21 soulève des enjeux d’une importance capitale pour la société québécoise.

La portée de l’interdiction du port des signes religieux est, à première vue, large : elle vise non seulement les personnes en position de coercition, mais également toute personne considérée comme étant en position d’autorité.

Cela inclut notamment tous les enseignants aux niveaux primaire et secondaire œuvrant dans le réseau public, de même que les directeurs d’école et les directeurs adjoints.

Dans le secteur judiciaire, le projet de loi vise notamment les juges, les procureurs incluant certains procureurs externes, les agents de la paix (policiers, gardiens de prison, agents de la faune), juges de paix, greffiers, commissaires membres de commissions d’enquête, et certains arbitres au sens du Code du travail. De plus, la clause reconnaissant des droits acquis aux employés existants ne les protègera que dans la mesure où ils demeurent dans leur poste actuel.

Un débat à avoir

Le port des signes religieux est clairement protégé par la Charte québécoise et la Charte canadienne au titre de la liberté de religion, tout comme la neutralité religieuse de l’État.

Il y a assurément un débat à avoir, ici et ailleurs, afin de savoir quelles interdictions associées au port des signes religieux pourraient se justifier au sein d’une société libre et démocratique, dans le respect des Chartes, instruments à la base de notre tissu social.

Dans une démocratie constitutionnelle comme la nôtre, c’est aux tribunaux que revient la responsabilité de déterminer si une loi viole les droits et libertés protégés par les Chartes, et si une éventuelle violation se justifie au sein d’une société libre et démocratique suivant des critères établis, soit que la loi répond à un objectif urgent et réel et qu’il s’agit d’une mesure proportionnelle.

En théorie, en vertu des Chartes, le législateur peut avoir recours à une clause dérogatoire dans certaines circonstances. Une telle dérogation est de par sa nature exceptionnelle. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Charte canadienne oblige le législateur à renouveler la clause dérogatoire à chaque cinq ans afin de laisser à la population l’occasion d’exprimer son accord ou non avec l’étendue de la dérogation à nos valeurs fondamentales.

L’équilibre des Chartes en péril

Dans le contexte actuel, l’équilibre à la base de nos Chartes est mis en péril. Le gouvernement soutient avoir la conviction que le projet de loi est modéré et respecte les Chartes, mais qu’il invoque les clauses dérogatoires « pour éviter de longues batailles juridiques ». Ce faisant, le gouvernement prive la population de l’information nécessaire afin de prendre une décision éclairée sur la question précise de l’étendue de la dérogation à nos valeurs fondamentales.

De plus, cette position a comme conséquence de remettre en question l’utilité d’un débat sur ces questions fondamentales devant les tribunaux, ou même, sa légitimité. Une telle position va directement à l’encontre du rôle essentiel que nos tribunaux jouent dans une démocratie constitutionnelle, notamment celui de statuer sur la constitutionnalité des lois après avoir eu l’occasion d’entendre toutes les parties intéressées sur la question à l’issue d’un débat complet.

Le recours aux clauses dérogatoires afin « d’éviter » ce débat a donc pour effet de miner le respect envers nos tribunaux lorsqu’ils exercent leurs fonctions et assument ce rôle fondamental dans notre société. Que les juges ne soient pas élus n’affecte en rien leur légitimité; en effet, c’est en raison de leur indépendance et de leur impartialité que notre société leur a octroyé le rôle primordial de protéger nos droits fondamentaux.

La décision de recourir aux clauses dérogatoires est d’autant plus préoccupante lorsqu’on comprend que, de toute façon, la loi ne serait pas à l’abri de contestations judiciaires.

En effet, penser le contraire est illusoire : des moyens de contestation basés sur d’autres articles de la Charte canadienne non couverts par la clause dérogatoire, sur le partage des compétences, sur les principes sous-jacents à la Constitution, ainsi que sur la portée des clauses dérogatoires elles-mêmes ont déjà été soulevés par des experts en droit constitutionnel dans les derniers jours. Il est à prévoir qu’il y aura bel et bien des débats judiciaires, mais au centre desquels les parties — et la société québécoise — seront privées d’une étude complète des réels enjeux que soulève l’interdiction du port des signes religieux.

Retrait des clauses

L’ABC-Québec interpelle le gouvernement afin qu’il retire les clauses dérogatoires du Projet de loi 21, et qu’il laisse les tribunaux remplir la fonction dévolue par la Charte canadienne et la Charte québécoise dans notre démocratie constitutionnelle.

Si, à la lumière d’un débat complet et d’une décision éclairée sur ces questions fondamentales provenant des plus hautes instances judiciaires, le gouvernement décidait tout de même, le cas échéant, d’invoquer les clauses dérogatoires, la population aura le bénéficie d’être pleinement informée sur les enjeux au cœur de cette législation.

L’Association du Barreau canadien, Division du Québec, se dresse en allié essentiel et en défenseur de ses membres, préconise des systèmes de droit équitables, facilite la réforme efficace du droit, soutient l’égalité au sein de la profession juridique et combat la discrimination.

L’ABC-Québec représente quelque 2 200 avocats et avocates, juges, notaires, professeurs et professeures de droit, étudiants et étudiantes en droit des quatre coins de la province.

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5 commentaires

  1. Avocat
    Avocat
    il y a 4 ans
    Raisonner à l'envers
    Bien au contraire, c'est justement pour protéger la population du gouvernement des juges non-élus qui appliquent le dogme multiculturaliste que la clause dérogatoire existe.

    Faut-il rappeler que la CAQ a été élue par la population avec une confortable majorité? Tout le monde sait que ce genre de loi ne passerait jamais le test des tribunaux, raison de plus pour aller de l'avant avec la clause dérogatoire.

    De quel droit l'ABC prend position dans ce débat? Est-ce que tous les avocats canadiens ont été consultés? C'est encore une fois une intervention totalement illégitime d'associations juridiques dans le monde politique.

    Faut-il rappeler que la Charte des droits et libertés a été enfoncée dans la gorge du Québec sans son accord en 1982? La clause dérogatoire a été sciemment placée là en 1982 pour permettre aux élus d'éviter l'arbitraire des tribunaux. Margaret Tatcher elle-même, en 1982, prévenait contre les dangers du gouvernement des juges.

    L'article parle aussi d'un "débat" à avoir. Fini les débats!!! Il n'y a plus de débat après 7 ans de discussions interminables. La population a parlé, la CAQ a été élue, passons à autre chose!

    Le recours à la clause dérogatoire est une bouffée d'air frais: ce qui est préoccupant, ce n'est pas ça, mais l'énorme pouvoir que la Cour suprême s'est arrogée en matière de droits et libertés depuis 1982.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    ABC=Anything but Chartes
    Les chartes. Quel genre de charte "moderne" n'est pas même pas pélibiscité par référendum.

    Les chartes devraient être abolis aussi rapidement qu'elles ont étés crées. Par un simple vote du parlement.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    Avocat
    Fortement en désaccord avec cet article.

    Le but du législateur est justement de faire en sorte que les débats soient faits d'un point de vue politique. Les citoyens et les organismes peuvent d'ailleurs y participer.

    J'ajouterai uniquement (parce qu'il y en aurait long à dire) que "l'équilibre des chartes" ne constitue pas un argument, car cet équilibre m'a jamais existé. Les chartes ont toujours protégés les droits individuels, sans reconnaissance des droits collectifs de la société. Le présent projet de loi constitue une amorce, imparfaite, à ce rééquilibrage. ===text===

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Franchement
      Facile à dire en 2019 quand on est dans une société à la majorité blanche. Il faut comprendre le contexte historique d'adoption des chartes, qui a suivi la deuxième guerre mondiale où UNE MINORITÉ A SUBI LA TYRANNIE DE LA MAJORITÉ. L'objectif des chartes est de protéger les minorités des limites de la démocratie, et la clause dérogatoire permet au gouvernement de prendre des décisions en passant outre de ces chartes, mais en invitant la population à réfléchir et à sanctionner politiquement son usage si ça ne lui convient pas. Je ne vois pas en quoi, dans ce contexte, on peut justifier un argument pour abolir les chartes.

      Si vous faisiez partie d'une minorité, vous comprendriez que ça serait assez facile de retomber dans l'engrenage où vous n'avez pas d'emprise politique parce qu'on prend les décisions pour favoriser la réception du plus de votes possible. Mais vraisemblablement, vous ne faites partie d'aucune minorité, et vous n'avez pas l'intelligence ou l'empathie nécessaire pour penser à autre chose qu'à vos propres droits et privilèges (typique caractère d'avocat en somme).

  4. Isabelle
    Isabelle
    il y a 4 ans
    Vous êtes dangereux.
    Le gouvernement n'a pas le choix.

    Sinon il n'y aurait donc aucun moyen pour le gouvernement de bouger sur cette question. En effet, il y aura autant de demandes d'injonctions qu'il y a de gens de la haute pour les financer, et c'est certain que plusieurs juges les accorderaient tant que le débat sur le fond ne serait pas tranché ...

    Et trancher sur le fond, mes amis, c'est un 10, 12 ans minimum. On le sait tous. L'ABC le sait parfaitement.

    Je suis la première à "rouler des yeux" quand on me parle du gouvernement des juges, mais des articles comme celui-ci me font honte. Ce ne sont pas les tribunaux qui nous ont donné nos droits et libertés, faut-il le rappeler ?

    Ceux qui ont peur de la démocratie me font peur, justement, surtout lorsqu'ils sont instruits et bien nantis.

    Quand à ceux, nombreux dans notre profession, qui sont croient dur comme fer être plus "éclairés" que la majorité, ils sont carrément dangereux. Je suis loin d'être modeste comme personne, mais qu'est-ce qui se passe dans la tête de ceux qui regardent autour d'eux et voient en majorité des gens qui leurs sont inférieurs? Ça fait peur, je vous dis.

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