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Atteinte à sa réputation… quelle réputation?

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Camille Laurin-desjardins

2020-10-09 14:15:00

Gilbert Rozon peut-il se permettre de poursuivre deux animatrices qui l’accusent d’agression sexuelle pour atteinte à sa réputation? Un Super plaideur en doute…

L’avocat spécialisé en litige Karim Renno. Photo : Site web de Renno Vathilakis
L’avocat spécialisé en litige Karim Renno. Photo : Site web de Renno Vathilakis
Gilbert Rozon a-t-il des chances de remporter sa poursuite pour atteinte à sa réputation contre Julie Snyder et Pénélope McQuade, qui l’accusent d’agressions sexuelles?

L’avocat spécialisé en litige Karim Renno, associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis, croit que le plus grand obstacle de l’ancien patron de Juste pour rire sera justement de démontrer qu’il a encore une réputation...

Droit-inc : Croyez-vous que Gilbert Rozon a des chances de gagner cette poursuite?

Karim Renno : Oui, il a des chances, s'il est capable de prouver que les affirmations sont fausses… C'est sûr que si on accuse quelqu'un d’agression sexuelle et que ce n’est pas vrai, c'est de la diffamation. Mais ce n'est pas évident de prouver le caractère mensonger des affirmations.

Dans la demande, M. Rozon affirme que dans le cas de Mme Snyder, il y a des témoins qui peuvent venir attester que ce qu'elle a dit n'était pas vrai. S'il est capable de faire cette preuve-là, oui, c'est concevable qu'il pourrait prouver la diffamation.

Contre Mme McQuade, sa cause est un peu moins bonne, parce que ce qu'elle a dit était plus nuancé, et elle répondait à une question.

Gilbert Rozon poursuit Julie Snyder et Pénélope McQuade. Photos : Radio-Canada et Facebook
Gilbert Rozon poursuit Julie Snyder et Pénélope McQuade. Photos : Radio-Canada et Facebook
Mais c'est sûr que dans son cas aussi, s'il est capable de prouver que ce que Mme McQuade dit est faux, oui, ça pourrait constituer de la diffamation.

Le très gros problème, ça va être au niveau des dommages. Sa requête passe complètement ça sous silence... mais tu demandes des dommages parce que des accusations atteignent ta réputation – et je le dis avec beaucoup d'égard pour M. Rozon que je ne connais pas... Je ne suis pas sûr qu’il lui reste une grosse réputation, aujourd'hui, après toutes les accusations qui ont déjà été faites contre lui.

Quand tu lis la requête, ça ignore complètement le fait qu'il y a déjà un recours collectif, il y a plusieurs femmes qui sont venues de l'avant et qui ont porté des accusations contre lui… Donc ça pourrait être très difficile pour M. Rozon de prouver que ç'a effectivement porté atteinte à sa réputation, et que ç'a créé chez les gens une image encore plus négative de lui que ce qui était déjà le cas.

M. Rozon situe cette affaire dans le contexte de son procès qui s'en vient, que ça pourrait lui nuire… Qu’en pensez-vous?

Je ne vois pas comment ça peut nuire dans son procès, si la preuve n'est pas faite dans son procès. Dans un procès, la seule chose qui est prise en compte, c'est la preuve qui est faite.
Si Mmes McQuade et Snyder ne viennent pas à son procès pour témoigner des accusations qu'elles portent contre lui... ça ne sera pas pris en considération dans son procès!

Ton dommage pour la diffamation, à la réputation, c'est toujours ton droit à l’image, ton droit à la réputation qui est atteint. Et si c'était son procès, son dommage serait purement hypothétique. Il faudrait que tu attendes de voir si effectivement, ç'a eu un effet sur ton procès, avant de pouvoir dire : « ça m'a causé un dommage ».

Tu ne peux pas, en droit québécois, poursuivre quelqu'un et dire : « je pense que ça va me causer un dommage dans le futur ».

Je pense que c'est à la lumière de ce problème-là qu'il a décidé de réclamer seulement des dommages moraux punitifs.

Mais encore là, ça va être difficile, parce qu'un des critères de la diffamation, c'est qu'il faut démontrer que les propos ont déconsidéré l’image que les autres ont de nous.

Donc hormis l'obstacle qu'il a de prouver la fausseté des allégations ou des accusations qui sont faites contre lui, M. Rozon a une autre difficulté, qui est celle de prouver ses dommages.

Vous ne pensez donc pas que cette demande est faite un peu en prévision de son procès…?

J’en doute, honnêtement. Ce que je pense, moi – et c'est une pure spéculation –, c'est que c'est quelqu'un qui dit : « ok, c’est assez ». Il faut que je fasse quelque chose parce qu'il y a de plus en plus de personnes qui viennent de l’avant. Ces deux personnes en particulier, Mme Snyder et mme McQuade, ont un grand profil public.

Ç'a l’air de quelqu'un qui essaie de passer un message : « je n'ai pas répliqué par la voie judiciaire pour les premières accusations, mais il faut que je fasse quelque chose; sinon, ça va continuer. »

Maintenant, est-ce que M. Rozon le fait de bonne foi, parce qu'il est innocent et qu'il est une victime dans tout ça, ou plutôt pour envoyer un message aux prochaines femmes de se la fermer, sinon elles vont se faire poursuivre? Je ne peux pas répondre à cette question.

Mais c’est légitime de se poser la question... Est-ce que c’est une slap, une poursuite bâillon, pour que les gens ne dénoncent pas à l’avenir...? Je ne le sais pas.

Pensez-vous que le fait qu'il fasse un peu du «victim bashing» – en affirmant par exemple que Julie Synder a continué d'avoir des contacts avec lui pendant de nombreuses années (quelques extraits de la poursuite ici) – pourrait lui nuire?

C'est dur à dire, parce que c'est un argument qui va des deux côtés. C'est légitime pour quelqu'un de dire : « ces allégations ne sont pas crédibles, regardez comment elle s'est comportée avec moi à travers les années ».

À l’inverse, c’est bien prouvé par les études que les femmes, ou même les hommes, qui ont été victimes de ce genre d’abus ne le rapportent pas tout le temps, et essaient souvent de normaliser leur relation avec la personne qui les a agressées.

Ça pourrait être vrai, ce qu'il dit, et ça ne voudrait pas nécessairement dire que les accusations qui sont portées contre lui ne sont pas vraies. Ça demeure pertinent dans le débat.

C'est une preuve circonstancielle qu'un tribunal pourrait prendre en considération, si on dit : « non seulement j'ai la preuve que ça ne s'est pas produit, mais c'est appuyé par le comportement des victimes ».

D'ailleurs, on avait ça dans l'affaire Gomeshi – bien que ce soit différent, parce que c'était une affaire criminelle.

C'est un exercice de balancement qu'il faut faire, et ce n'est vraiment pas évident. Ça ne peut pas tomber dans le ''victim bashing''... mais à l'inverse, c'est quand même un élément important que la cour doit prendre en considération.

Donc c'est légitime de l'alléguer dans les procédures, mais habituellement, c'est un élément qui va venir corroborer une version ou l'autre, et non pas un élément qui va être en soi décisif.

Le genre de victim bashing qui a vraiment été mis de côté, maintenant, c'est : « tu es arrivée chez moi et tu portais un décolleté ».

Et ce n'est pas là qu'il s'en va. M. Rozon ne dit pas : « oui, nous avons des relations, mais c'était consensuel » – du moins à l'égard de Mme Snyder, c'est moins clair pour Mme McQuade...

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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Il y a un précédent célèbre
    Vers la fin des années '70 début '80, un mafieu notoire avait poursuivi en diffamation

    Le juge l'ayant débouté avait déclaré laconiquement que pour perdre une réputaition, il faut commencer par en avoir une.

  2. Pirlouit
    Pirlouit
    il y a 3 ans
    Comedia
    Plutôt qu'avoir à prouver le caractère mensongé des accusations ce seront celles qui l'accusent qui devront prouver que leurs accusations sont vraies. Dans le cas de McQuade, il n'y a pas d'agression, elle a juste coucher avec le patron. Si ce qu'elle dit est vrai. Dans le cas de Snyder, si ce qu'elle dit est vrai, elle aurait pu simplement porter plainte en France. Pas très sérieux son histoire.

    Aussi, l'établissement d'une réputation ne devrait pas reposer sur des allégations et des accusations non prouvées. Pour toute personne raisonnable, Rozon a toujours sa réputation. Ce n'est pas parce que 2 000 personnes le désigne comme bouc émissaire de la vague #Moiaussi que ça en fait un coupable. Plutôt une victime.

    La quasi-totalité des plaintes criminelles n'a même pas été retenues par le DPCP sauf une obscure qui remonte à Mathusalem. L'action collective à du plomb dans l'aile. Personnellement je trouve sa réputation sans tache, sauf si on considère les fausses dénonciations comme probantes.

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